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CDDU - requalification des 30 ans de CDDU en CDI et licenciement sans cause d’un organiste de synagogue (CPH Paris 12 sept. 2023, non def)

Publié le 19/10/2023 Vu 1 690 fois 1
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« Nous serons tous des intermittents du spectacle » professait Jacques Attali.

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CDDU - requalification des 30 ans de CDDU en CDI et licenciement sans cause d’un organiste de synagogue (CPH Paris 12 sept. 2023, non def)

 

Dans un jugement de départage du conseil de prud’hommes de Paris du 12 septembre 2023, le conseil de prud’hommes requalifie les 30 ans de CDDU en CDI d’un organiste de synagogue.

Il prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

L’organiste intermittent du spectacle obtient également un rappel de salaire pendant les périodes interstitielles / intercalaires et un rappel de salaire pour des tâches administratives non payées.

Les 2 parties ont interjeté appel du jugement.

1)      Faits

Monsieur X a été embauché par le Mouvement Juif Libéral de France (MJLF) à compter du 1er septembre 1988, sous contrats à durée déterminée d’usage successifs, en qualité d’organiste pour remplacer son père quand celui-ci n’était pas disponible.

A partir de 1999, le MJLF a confié à Monsieur X le suivi des bné-mitsva. A compter du 1er janvier 2007, monsieur X a été engagé par le Centre culturel du MJLF avec reprise d’ancienneté au 1er septembre 1988.

A compter du 1er janvier 2007, Monsieur X a été engagé par le Centre culturel du Mouvement juif libéral de France avec reprise d’ancienneté au 1er septembre 1988.

Le 24 juin 2019, monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage successifs en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, et de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 2 décembre 2020, Monsieur X a de nouveau saisi le conseil de prud’hommes de paris d’une demande de rappel des salaires.

A l’issue de l’audience devant le bureau de jugement, la juridiction a, par décision du 13 avril 2021, informé les parties qu’il y avait partage de voix dans les deux affaires.

Le 1er juillet 2021, le Centre culturel du MJLF a été dissout amiablement, sans liquidation judiciaire.

Par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2023, Madame Y a été désignée en qualité de mandataire ad’ hoc du Centre culturel du MJLF.

L’affaire a été de nouveau plaidée devant le juge départiteur à l’audience du 19 juin 2023. La décision a été mise en délibéré au 12 septembre 2023.

2)      Jugement du conseil de prud’hommes du 12 septembre 2023

Dans un jugement du 12 septembre 2023, le Conseil de prud’hommes de Paris, présidé par le juge départiteur statuant seul après avis du conseiller présent, publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, rendu par mise à disposition au greffe, 

-          Ordonne la jonction de l’affaire enregistrée sous le numéro RG 20-09077 à celle enregistrée sous le numéro RG 19-05485 ;

-          Met hors de cause la Délégation UNEDIC Ile-De-France Ouest-AGS ; Rappelle que le jugement lui est opposable en qualité de personne morale attraite à l’instance ;

-          Met hors de cause l’association « Judaïsme en mouvement », venant aux droits du Mouvement Juif Libéral de France ;

-          Prononce la requalification des contrats de travail à durée déterminée du 1er septembre 1988 au 13 juillet 2019 ;

-          Prononce la résiliation judiciaire de ce contrat de travail aux torts de l’employeur à la date du 13 juillet 2019 ;

-          Fixe le salaire de référence à la somme de 1 068 euros par mois ;

-          Fixe au passif la liquidation amiable du Centre culturel du MJLF, représenté par la mandataire ad’ hoc Madame Y, les sommes suivantes allouées au titre des sommes dues à Monsieur X :

-          La somme de 14 400 euros bruts en principal, outre la somme de 1 440 euros brut au titre des congés payés, au titre du rappel de salaire concernant le travail administratif non payé ;

-          La somme de 5 340 euros net au titre de l’indemnité de requalification ;

-          La somme de 14 400 euros brut en principal, outre la somme de 1 440 euros brut au titre des congés payés, au titre du rappel de salaire concernant les périodes interstitielles non payées (juillet 2016 à juillet 2019) ;

-          La somme de 2 136 euros brut en principal, outre la somme de 213,60 euros brut au titre des congés payés, au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

-          La somme de 10 096,16 euros brut au titre de l’indemnité légale de licenciement,

-          La somme de 16 020 euros net au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-          La somme de 1 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail.

-          Ordonne la remise par le Centre culturel du MJLF, représenté par la mandataire ad’ hoc Madame Y, à Monsieur X des documents de fin du contrat (certificats de travail, bulletins de paie récapitulatifs, solde de tout compte, attestation Pole Emploi) :

-          Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;

-          Rappelle que les intérêts au taux légal commencent à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances salariales, et à compter du prononcé du présent jugement pour les créances indemnitaires ;

-          Déboute Monsieur X de l’intégralité de ses autres demandes ;

-          Dit n’y avoir pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et déboute les parties de leurs demandes relatives à l’application à leur bénéfice des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

-          Dit que le Centre culturel du MJLF, représenté par la mandataire ad’ hoc Madame Y, devra supporter les dépens de l’instance.

Les parties ont interjeté appel du jugement. 

2.1)            Sur la jonction des affaires :

Il est constant que les affaires enregistrées sous les numéros RG 19-05485 et RG 20-09077 concernent les mêmes parties et la même relation contractuelle d’ensemble.

Les moyens et prétentions sont connexes.

Les parties ont sollicité la jonction de ces deux affaires.

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu d’ordonner la jonction de l’affaire enregistrée sous le numéro RG 20-09077 à celle enregistrée sous le numéro RG 19-05485. 

2.2)            Sur la demande de rappel de salaire au titre du travail administratif :

Les pièces versées au débat par Monsieur X montrent que ce dernier effectuait du travail administratif en dehors de sa fonction initiale d’organiste.

Ce travail administratif consistait en des échanges avec d’autres membres du personnel (notamment les autres organistes), avec les familles, les rabbins etc.

Il s’occupait de diverses activités de gestion administrative (envoi des RIB, des GUSO, des fiches de renseignement, etc.).

Compte tenu des pièces versées aux débats et des explications des parties, Monsieur X est bien fondé à solliciter le paiement de la somme de :

24 euros/heure X 5 heures par semaine X 40 semaines X 3 ans = 14 400 euros en principal outre la somme de 1 440 au titre des congés payés. 

2.3)            Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée :

 2.3.1)       Sur le principe de la requalification :

Il est constant que Monsieur X a travaillé pour le même employeur (sous réserve d’un transfert de contrat de travail en 2007) de 1988 à 2019.

Ses activités « de base » n’ont pas varié pendant cette période.

La succession de contrats à durée déterminée sur un même poste de travail est interdite par les dispositions de l’article L.1244-3 et L.1245-2 du Code du travail.

Il résulte de ces textes que la succession de contrats à durée déterminée en vue de pourvoir un emploi stable dans le cadre de l’activité normale d’une entreprise est interdit, sous réserve d’exceptions prévues par la loi ou la convention collective.

Au demeurant, les défendeurs ne se sont pas opposés à la requalification.

Compte tenu de ces considérations, il y a lieu d’ordonner la requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée.

 2.3.2)      Sur l’activité d’enseignement :

Les pièces versées par Monsieur X, si elles montrent qu’il exerçait une véritable activité de répétiteur, ne caractérisent pas un emploi d’enseignement comme il le prétend.

Ses demandes à ce titre seront rejetées.

 2.3.3)      Sur le travail à temps plein ou à temps partiel :

Monsieur X a affirmé qu’il travaillait à temps plein et demande donc une requalification en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.

Toutefois, les pièces versées aux débats ne montrent pas que l’intéressé était, tous les jours de la semaine, et durant les week-ends, la totalité de cette période, à la disposition permanente de son employeur.

Par ailleurs, il ne s’est pas exprimé dans ses conclusions sur le fait qu’il bénéficie du statut des intermittents du spectacle et qu’une partie de son activité non travaillée était payée par le régime spécial des intermittents du spectacle.

 2.3.4)      Sur l’indemnité de requalification :

Cette indemnité ne peut pas être inférieure à un mois de salaire. Les faits de l’espèce montrent un salaire de référence s’élevant à la somme de 1 068 euros par mois. Etant rappelé que l’intéressé sollicitait la somme de 30 000 euros, il sera alloué à Monsieur X une indemnité de cinq mois de salaires nets, soit :

1        068 X 5 = 5 340 euros

 2.3.5)      Sur le rappel des salaires au titre des périodes interstitielles :

Les pièces versées aux débats ne montrent pas que l’intéressé était, tous les jours de la semaine, et durant les week-ends, la totalité de cette période, à la disposition permanente de son employeur.

Par ailleurs, il est constant que Monsieur X gérait son temps de travail comme il l’entendait, dans le cadre d’une large autonomie, sans réel contrôle de l’employeur.

Si Monsieur X affirme qu’il était à la disposition permanente de l’employeur, il n’en fournit pas les éléments d’information permettant de confirmer cette allégation.

La somme réclamée à hauteur de 114 983,24 euros au titre de trois années de travail (juillet 2016 à juillet 2019) apparait comme disproportionnée. Compte tenu des pièces versées aux débats, il lui sera alloué la somme de 400 euros par mois durant cette période :

36 mois X 400 euros = 14 400 euros, outre la somme de 1 440 euros au titre de congés payés.

 

2.4)            Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Monsieur X a invoqué l’existence d’un travail dissimulé, une précarisation de sa situation pendant environ 30 ans, l’existence d’un délit de marchandage, l’absence de fourniture de travail par le CC-MKLF à compter du 13 juillet 2019.

 

2.4.1) Sur les moyens qui n’ont pas convaincu la juridiction :

Le délit de travail dissimulé et le délit de marchandage supposent la volonté et la conscience de commettre de tels délits par celui qui les commet. En l’espèce, Monsieur X a vu sa situation évoluer au fil des années : d’abord organiste en remplacement de son père, il a vu des activités se développer.

Si les deux employeurs ont pu être négligents dans la gestion juridique du statut de Monsieur X, il n’est pas prouvé qu’ils aient eu l’intention de frauder la loi et de violer les droits de l’intéressé.

Pour ces deux délits, l’élément moral et intentionnel n’est pas caractérisé de manière certaine.

Monsieur X sera débouté de ces deux moyens ainsi que des indemnités qu’il réclame à ce titre.

2.4.2)      Sur les moyens qui ont convaincu la juridiction :

Il est constant que de 1988 à 2019, le statut juridique de Monsieur X était incertain.

Le salarié a connu, comme il le souligne, « une précarisation de sa situation pendant environ 30 ans ».

De même, « l’absence de fourniture de travail » à compter du 13 juillet 2019 découle manifestement de l’engagement de la première instance devant le conseil de prud’hommes.

Cette précarisation de la situation juridique et la cessation implicite de la relation contractuelle par l’employeur montrent une faute de ce dernier.

La rupture du contrat de travail lui est imputable.

Il en découle que la résiliation judiciaire du contrat de travail sera constatée, aux torts de l’employeur, à compter du 13 juillet 2019.

 2.5)            Sur les sommes dues par l’employeur au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Il est constant que Monsieur X a droit au versement de diverses sommes dues au titre de la rupture du contrat de travail :

-          Indemnités compensatrices de préavis : 2 mois X 1 068 = 2 136 euros, outre 213,60 euros au titre de congés payés ;

-          Indemnité légale de licenciement : [(1 068 / 4) X 10] + [(1 068 / 3) X 20,86] = 2 670 + 7 426,16 = 10 096,16 euros ;

-          Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : la juridiction applique le barème prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail. L’indemnité est comprise entre un minimum de 3 mois de salaire et un maximum de 20 mois de salaires. Compte tenu des faits de l’espèce, il sera alloué à Monsieur X une indemnité de 15 mois de salaires : 15 mois X 1 068 = 16 020 euros.

2.6)            Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail :

Les faits de l’espèce montrent une rupture vexatoire du contrat de travail. Le préjudice sera réparé par l’allocation d’une indemnité de 1 000 euros à ce titre.

 

2.7)            Sur les demandes accessoires :

La juridiction n’ayant pas retenu les délits de travail dissimulé et de marchandage, il n’y a pas lieu d’ordonner la transmission du jugement à l’inspection du travail de l’URSSAF.

Il y a lieu d’ordonner la remise à Monsieur X des documents de fin de contrat conformes au présent jugement.

Les faits de l’espèce ne justifient pas le prononcé d’une astreinte.

Le prononcé de l’exécution provisoire apparait compatible avec l’ancienneté du litige.

Compte tenu de l’équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Les deux parties seront déboutées de leurs demandes respectives su ce sujet.

L’employeur devra supporter les dépens de l’instance en tant que partie perdante au sens des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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1 Publié par larbiose
20/11/2023 14:24

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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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