La Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 janvier 2025 infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Paris et prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail avec les effets d’un licenciement nul, juge le forfait jours du salarié nul et condamne la société à payer un rappel d’heures supplémentaires, des dommages intérêts pour harcèlement moral et non-respect de l’obligation de prévention et de sécurité.
La société Christian Dior Couture a engagé M. X par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2015, avec une reprise d’ancienneté au 29 juillet 2002, en qualité de coordinateur informatique / CTO.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective régionale de la couture parisienne.
La Société Christian Dior Couture occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Le 6 mai 2020, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par lettre notifiée le 12 juin 2020, M. X a été convoqué à un entretien préalable fixé au
24 juin 2020.
M. X a ensuite été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 6 juillet 2020.
A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. X avait une ancienneté de 17 ans et 11 mois.
Le 20 octobre 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement.
Les affaires ont été jointes.
L'affaire a été appelée à l'audience du 10 décembre 2024.
1) EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 27 septembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, la société Christian Dior couture demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire et de ses autres demandes ;
- d’infirmer le surplus ;
- de débouter le salarié ;
subsidiairement,
- d’ordonner une expertise sur le temps de travail effectif de M. X afin de déterminer si celui-ci est créancier d’heures supplémentaires sur la période non prescrite antérieure à son départ de l’entreprise ;
- de statuer ce que de droit sur les dépens et faire application des dispositions de l’article
699 du code de procédure civile au profit de Maître Audrey Hinoux, SELARL LX Paris-
Versailles-Reims.
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 octobre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, M. X demande à la cour de :
- de juger son appel incident recevable et bien fondé ;
- d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes de résiliation du contrat de travail, de nullité du licenciement, d’heures supplémentaires et congés payés afférents, de travail dissimulé, d’indemnité pour harcèlement moral et pour manquement à l’obligation de sécurité et en ce qu’il a fixé à 22 589,10 euros l’indemnité compensatrice de préavis.
Il réitère les demandes formulées en première instance sauf à porter à 15 000 euros sa demande de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral, et à y ajouter une demande de 10 000 euros en réparation de préjudices nés du manquement à l’obligation de sécurité et 15 000 euros en réparation des préjudices nés de l’exécution déloyale de la convention de forfait jours.
2) MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour d’appel de Paris statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
. Confirme le jugement rendu le 24 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Parisen ce qu’il :
- a débouté le salarié de sa demande d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
- a condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
. 22 589,10 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
. 2 258,91 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents,
. 42 557,65 euros d’indemnité légale de licenciement,
. 70 000 euros en réparation des préjudices nés de la rupture abusive du contrat de travail ;
. 9 000 euros au titre du rappel de primes 2019,
. 900 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents,
. 4 500 euros au titre du rappel de primes 2020,
. 450 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents ;
- a ordonné la remise des documents de fin de contrat ;
- a condamné l’employeur aux frais irrépétibles et aux dépens ;
Infirme le surplus,
Statuant à nouveau, dans la limite des chefs d’infirmation, et y ajoutant,
Prononce à compter du 6 juillet 2020, la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur avec les effets d’un licenciement nul ;
. Condamne la SA Christian Dior couture à payer à M. X, avec intérêts au taux légal à compter 27 mai 2020, les sommes suivantes :
- 31 885,70 euros au titre des heures supplémentaires,
- 3 188,57 euros à titre de congés payés afférents,
Condamne la SA Christian Dior couture à payer à M. X, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt les sommes suivantes :
- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral,
- 2 000 euros titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement l’obligation de prévention et de sécurité,
Rappelle que les condamnations sont prononcées sous réserve de déduire le cas échéant les charges sociales éventuellement applicables ;
Condamne sans astreinte la SA Christian Dior couture à remettre à M. X un bulletin de paie, un certificat de travail, et une attestation France travail conforme au présent arrêt ;
Condamne la SA Christian Dior couture à rembourser à France travail les allocations chômage versées au salarié depuis le licenciement jusqu’à la date du présent arrêt, dans la limite de six mois ;
Condamne la SA Christian Dior couture à payer à M. X la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d’appel.
2.1- L'exécution du contrat de travail
2.1.1) La rémunération variable (2019 et 2020)
L'employeur soutient que le bonus selon le contrat de travail est discrétionnaire excluant tout engagement contractuel de l'employeur sur ce point.
Le salarié, soutient à tort que l’employeur ne forme aucune contestation. Il soutient que le contrat prévoyait un bonus discrétionnaire de 0 à 10% de sa rémunération brute de base en fonction de l’atteinte de ses objectifs et/ou des résultats de la société et versée au mois de février de l’année suivante. Il affirme avoir perçu 100% de sa prime en 2017 et 2018 mais que sa hiérarchie ne lui a pas fixé d’objectif en 2019, le privant ainsi, sans explication d’une partie de sa rémunération. Il sollicite donc paiement de l’intégralité de sa prime pour 2019 et de sa prime 2019 proratisée en fonction de son départ de l’entreprise.
Concernant son caractère discrétionnaire, il faut rappeler que le caractère obligatoire du versement par l’employeur à ce titre peut découler de sources légales, conventionnelle, contractuelle ou de la volonté de l’employeur (usage, accord ou engagement unilatéral).
Lorsqu’elle est payée en exécution d’un engagement unilatéral de l’employeur, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l’employeur dans les conditions fixées par cet engagement, peu important son caractère variable et peu important l’absence du caractère général de la prime.
À l’inverse, le versement ne présente aucun caractère obligatoire dans le cas d’une libéralité qui est considérée comme une gratification bénévole, c’est-à-dire lorsque l’employeur décide librement de l’opportunité de son versement et du montant octroyé. Dans ce cas, le versement effectué n’est pas juridiquement considéré comme un salaire et n’est pas contraignant pour l’employeur.
Néanmoins, il appartient aux juges du fond de rechercher, lorsqu’ils y sont invités, si le bonus présente un caractère discrétionnaire. Ils apprécient souverainement les éléments de fait et de preuve permettant de caractériser ou non un engagement unilatéral de l’employeur et dispose du pouvoir souverain d’interprétation des engagements ambigus.
Le contrat de travail prévoyait un bonus annuel dans un article 4 ainsi rédigé : “ la performance du titulaire sera évaluée selon les procédures en vigueur dans la société et les augmentations seront faites au mérite.
Ainsi, le titulaire pourra bénéficier d’un bonus annuel discrétionnaire de 0 à 10% de sa rémunération annuelle brute de base en fonction de l’atteinte des objectifs fixés chaque année et/ou des résultats de la société”.
Il ressort de la rédaction de cette clause que le bonus représentait la contrepartie de la performance annuelle du salarié de sorte qu’il n’était ni bénévole ni exceptionnel, excluant de fait son caractère discrétionnaire.
C’est donc à raison que le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
2.1.2) Les heures supplémentaires
Le salarié soutient que la convention de forfait à laquelle il était soumis, assise sur l'accord collectif du 7 janvier 2000, est nulle dès lors que cet accord ne prévoit pas de mesures suffisantes pour garantir le droit à la santé et au repos. Il prétend également que cette convention serait privée d'effet faute de suivi régulier de sa charge de travail, aucun entretien annuel à ce sujet n'ayant été organisé entre 2015 et 2020.
Il prétend présenter des éléments justifiant ces heures supplémentaires pendant toute la durée du contrat, suffisamment précis, pour faire droit à sa demande en l'absence d'éléments fournis par la société employeur. À titre subsidiaire, en cas d'infirmation, il demande à la cour de lui allouer 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait.
L'employeur soutient que le salarié produit des calendriers stéréotypés sur lesquels sont mentionnées des heures de début et de fin de journée de travail standardisé et un nombre d'heures de travail ainsi qu'un tableau récapitulatif établi pour le besoin de la cause, approximatif et erroné dès lors que les temps de pause ne sont pas indiqués et que des jours non travaillés sont comptabilisés et qu'au final le salarié est impuissant à rapporter la preuve des heures supplémentaires.
A peine de nullité, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires et faire l’objet d’un accord individuel avec le salarié.
Toutefois, l’article L 3121-65 I du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, permet à l’employeur de pallier la carence des stipulations conventionnelles en mettant en place un forfait jours accompagné d’une évaluation et d’un suivi réguliers de la charge de travail du salarié et d’une communication périodique sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise.
Selon la convention collective de la couture parisienne, des conventions de forfait en nombre de jours sur l’année pourront être mises en oeuvre pour le personnel d’encadrement disposant d’une autonomie dans l’organisation de son temps de travail et pour lequel l’utilisation du critère temps de présence sur le lieu de travail n’est pas déterminant pour mesurer l’accomplissement des fonctions qui lui sont confiées, par exemple, les cadres exerçant ou des activités commerciales, ou des activités d’études, de recherche ou de développement, ou des activités de management, ou des activités se déroulant partiellement en dehors de l’entreprise ou comportant des déplacements professionnels ne permettant pas le contrôle du temps passé au service de l’entreprise. Ces conventions de forfait en nombre de jours devront être précisées au personnel concerné dans le cadre d’un avenant au contrat de travail, celui-ci devant notamment prévoir :
- le nombre de jours de travail à effectuer qui ne pourra en tout état de cause être supérieur
à 217 jours,
- les modalités de décomptes des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées et des demi-journées de repos,
*ces repos pourront être pris dans l’année par journées entières ou par demi-journées,
*le salarié concerné pourra choisir 50 % des journées de repos correspondantes, en informant la hiérarchie au moins une semaine à l’avance ; les responsables hiérarchiques auront la faculté de reporter la prise de ces repos à d’autres dates dans l’année lorsque les nécessités de service l’exigent, sous réserve du respect d’un délai de prévenance de 7 jours,
- les modalités de contrôle de l’amplitude des journées d’activité et de respect du repos journalier, ce contrôle pouvant par exemple se baser sur un relevé du nombre de jours de travail accomplis chaque mois par le salarié, celui-ci mentionnant notamment les repos effectivement pris ; ce relevé sera transmis mensuellement à sa hiérarchie,
- les conditions dans lesquelles un entretien d’activité pourra permettre au salarié de faire le point, chaque année, de l’impact de ces dispositions sur l’organisation et la charge de travail,
- la rémunération forfaitaire annuelle.
La convention collective applicable au contrat ne détermine donc pas les garanties qui doivent être accordées aux salariés et renvoie sur ces points au contrat qui est, en l’espèce, taisant sur cette question.
Certes l’accord d’entreprise du 19 décembre 2019 prévoit un forfait jours de 218 jours avec un système de contrôle des journées travaillées et un entretien annuel relatif à la charge de travail. Toutefois cet accord intervenu à la fin du contrat n’a pu régir les relations contractuelles qui étaient en réalité soumise à l’accord du 7 janvier 2000 modifié le 8 février 2000, non versé au débat.
Il résulte donc de ces éléments que la cour n’a pas la preuve que le forfait jours a été adossé à des accords collectifs dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
En outre, l’employeur ne démontre ni ne prétend avoir mis effectivement en oeuvre les outils de contrôle de la charge de travail du salarié comme indiqué à l’article L 3121-65 I précité.
La convention de forfait est donc nulle de sorte que le salarié est soumis au régime du temps de travail légal de 35 heures hebdomadaires.
Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Le jugement a rappelé les règles de droit sans en faire application. En effet, en déboutant le salarié au motif qu’il n’a jamais réclamé d’heures supplémentaires pendant la relation contractuelle, que son décompte présente une constante entre les heures d’arrivée et de départ et comporte des incohérences et erreurs de calcul, sans analyser les éléments produits par l’employeur, le conseil de prud’hommes a fait une mauvaise application des textes susvisés et a fait peser sur le salariée l’intégralité de la charge de la preuve, alors qu’il avait rappelé que cette charge n’incombait pas exclusivement à l’une ou l’autre partie.
Or, le fait que le salarié n’ait pas, pendant la durée de la relation contractuelle, réclamé paiement de ses heures, n’est pas de nature à éluder ses droits si sa demande n’est pas prescrite.
En l’espèce, le salarié produit, en pièce 21 de son dossier, un décompte précis des heures qu’il prétend avoir effectuées. Le salarié produit également une attestation de l’hôtesse d’accueil du bâtiment où il travaillait et qui atteste qu’il arrivait tôt et finissait tard.
Le calendrier produit par l’employeur en pièce 1 de son dossier ne saurait apporter la preuve du temps de travail dans la mesure où s’y trouvent retranscrits des rendez-vous qui ne constituent pas l’intégralité du temps de travail. Aucune pièce versée par l’employeur ne permet de faire la preuve du temps de travail du salarié de sorte que celui-ci n’est pas fondé à réclamer une expertise sur ce point.
Par conséquent, la cour est convaincue de l’existence des heures supplémentaires.
Il sera fait droit après correction des erreurs de calcul contenus dans le décompte du salarié à la demande dans la limite de 31 885,70 euros outre 3 188,57 euros de congés payés afférents
2.1.3) Le travail dissimulé
Le salarié prétend qu'il effectuait de nombreuses heures supplémentaires sans être déclaré
ni rémunéré, ce que ne pouvait ignorer l'employeur, destinataire de nombreuses alertes au
sujet de la charge de travail, ce qui selon lui, caractérise l'intention de se soustraire à ses
obligations.
L'employeur a conclu au rejet de la demande en conséquence du rejet de la demande
d'heures supplémentaires. En tout état de cause, à supposer accueillie la demande d'heures
supplémentaires, il conteste l'intention dissimulatrice en l'espèce non justifiée selon lui.
Or, le salarié était soumis à un forfait jours dont la nullité ne suffit pas à caractériser le travail dissimulé.
Si la charge de travail du salarié était importante et en adéquation avec ses responsabilités, l’existence d’un forfait empêche de considérer que l’employeur avait connaissance d’heures supplémentaires qu’il aurait voulu dissimuler. En outre, aucune pièce du dossier ne permet de considérer que l’employeur a mis en oeuvre une convention de forfait qu’il savait nulle pour empêcher le décompte d’heures supplémentaires.
Par conséquent, la demande ne peut aboutir de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
2.1.4) Le harcèlement moral
Le salarié qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l’article
L 1154-1 du code du travail en sa version applicable en l’espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, étant rappelé que le harcèlement est défini par l’article L 1152-1 du code précité comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, il soutient qu'il a été victime de harcèlement moral caractérisé par :
- la surcharge de travail et la méconnaissance des alertes à ce sujet,
- les engagements non tenus et les manœuvres pour accepter une rupture conventionnelle transactionnelle qui lui est défavorable,
- la mise à l'écart et l'absence de fourniture du travail,
Le salarié produit les échanges de mails sur la rupture conventionnelle envisagée d’où il ressort que le salarié a sollicité la rupture conventionnelle (pièce 16). Après la rupture envisagée du contrat de travail, il proposait d’intervenir en qualité de prestataire selon un tarif qu’il précisait dans un mail du 24 janvier 2020 (pièce 18). Il justifie que l’employeur n’a pas souhaité assumer le coût d’une rupture conventionnelle préférant une démission non exclusive d’un accord transactionnel postérieur dont le contenu est inconnu de la cour hormis les propositions de M. X sur une prestation effectuée en qualité de prestataire.
Aucun engagement de l’employeur sur la fin de la relation contractuelle n’est justifié. De même, rien ne vient justifier de manoeuvres de l’employeur pour amener le salarié à accepter l’accord défavorable dont il parle le salarié et qui n’est pas produit.
Il produit également des pièces justificatives des réorganisations intervenues en 2019. Ainsi
Le 1er avril 2019 a été nommé à nouveau directeur technologies et services à qui M. X devait rapporter (Pièce 15).
Le 14 avril 2020, a été nommé une nouvelle “chief technical officer” , et un salarié de l’équipe I&T a rejoint le service de M. X (Pièce 22 ).
Le salarié justifie avoir été rattaché pour la validation de son congé à des personnes qui n’étaient pas ses managers ( pièce 30 32).
Toutefois, les pièces qu’il verse au débat montrent qu’il s’agit d’erreurs informatiques. Cependant à cette occasion il apprend être rattaché à un nouveau manager. Il ressort de ces éléments une réorganisation des équipes aux termes de laquelle le salarié était en voie de remplacement. En revanche, l’absence de fourniture de travail n’est pas justifiée dans la mesure où il apparaît clairement aux termes de ces pièces que le salarié devait venir en support de son remplaçant à qui il a lui-même d’ailleurs donné habilitation informatique pour certains actes.
Le salarié produit également des pièces sur la surcharge de travail. Outre le fait que les heures supplémentaires ont été accueillis, la revue de performance et de carrière du salarié pour 2018 et 2019 (pièce 12), mentionne une année 2018 très chargée. Il est indiqué que les limites de l’organisation avec une personne sur le poste était atteinte. À cette occasion, le salarié évoque la nouvelle organisation prévue en 2018 avec des recrutements. Le salarié précise en outre : « 2018 a été une année compliquée à propos de l’équilibre vie privé/vie professionnelle , les décisions d’évolution de l’organisation ont pris du retard mais sont en cours d’implémentation en juin 2019".
Les réorganisations et la mise à l’écart du salarié ainsi que la charge excessive de travail sont des éléments qui, dans leur ensemble, sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du code du travail dans la mesure où il s’agit d’agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
D’ailleurs le salarié justifie avoir été en arrêt de travail du 29 novembre 2018 au 6 janvier
2019.
Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Or, la mise à l’écart du salarié s’explique par son départ annoncé qu’il avait lui-même sollicité, son maintien n’ayant pour seul but que d’organiser la transition avant la rupture définitive du contrat de travail à son initiative.
En revanche, la charge de travail excessive et non contrôlée n’est pas justifiée de sorte que le harcèlement moral doit être retenu.
Le préjudice qui en résulte sera entièrement réparé par l’allocation d’une somme de 2 000 euros.
- Les dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement par l’employeur à son obligation de sécurité et de prévention Le salarié soutient l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et de prévention en ne prenant pas les dispositions utiles pour prévenir le harcèlement moral malgré les alertes.
Il est vrai que le salarié lors de son évaluation en 2019 de l’année 2018 a fait valoir une charge de travail lourde en raison d’une augmentation considérable de son périmètre d’activité. D’ailleurs, dans son courrier du 8 janvier 2020, le salarié a expliqué son départ par une fatigue accumulée après des années intenses. Dans ce courrier il indique « ces dernières années ont été très intenses, riches en expérience et en succès mais aussi en stress et en fatigue accumulée. En raison des changements successifs de hiérarchie et du manque de moyens avérés, aujourd’hui je ne me sens plus la force de poursuivre l’aventure au sein du groupe LVMH ». Or, l’employeur qui supporte la charge de la preuve, ne justifie pas avoir mis en place un suivi du forfait jours auquel le salarié était soumis ni avoir réagi à l’information liée à une charge de travail trop importante de nature à porter atteinte à la santé du salarié, lequel a d’ailleurs été en arrêt de travail entre novembre 2019 et janvier 2020.
Le manquement ainsi avéré à l’obligation de prévention et de sécurité, a causé au salarié un préjudice distinct de santé qui sera réparée par l’allocation d’une somme de 2 000 euros.
2.1.5) L’exécution déloyale de la convention de forfait
Cette demande étant subsidiaire à la demande d’heures supplémentaires qui a été satisfaite
plus haut, elle est donc devenue sans objet.
2.2- la rupture du contrat de travail
2.2.1) La résiliation judiciaire
Le salarié demande la résiliation du contrat de travail en reprochant à l'employeur divers faits. Il invoque :
- des agissements déloyaux ayant pour but de faire accepter une rupture conventionnelle, en arguant de ce que son employeur l'a placé en difficulté par une surcharge de travail qu'il n'a proposé de solutionner que par une rupture amiable ou négociée qu'il a fini par accepter en raison des pressions exercées sur lui ; qu'ainsi, il a accepté une indemnité dérisoire contre la promesse qu'il interviendrait en qualité de consultant postérieurement à la rupture du contrat de travail ; qu'il s'est rétracté après avoir constaté que la contrepartie qui lui avait été promise n'a pas été mise en oeuvre par son employeur ;
- une mise à l'écart par une absence de fourniture de travail après son remplacement par un collègue ;
- une surcharge de travail jusqu'à son éviction en janvier 2020 ;
- un harcèlement moral,
- une illicéité de la convention de forfait,
- des heures supplémentaires impayées,
- une rémunération variable impayée,
- une succession de départ et une désorganisation démontrant qui n'avait plus sa place dans la société,
- des décisions d'augmentation sur l'année 2020, des rémunérations des membres de son équipe sans qu'il ne soit consulté,
- des changements successifs de sa hiérarchie,
- un manque de moyens,
- une dégradation de ses conditions de travail suite au départ de nombreux collègues,
- une éviction d'un séminaire qui s'est tenu le 24 février 2020,
- une absence de mesures après la dénonciation de fait de harcèlement moral,
- une absence de mesures pour répondre sur la surcharge de travail,
- une dégradation de son état de santé consécutive à la surcharge de travail
Il soutient que la résiliation doit avoir les effets d'un licenciement nul dans la mesure où l'impossibilité de poursuivre la relation de travail résulte directement des faits de harcèlement moral dont il a été victime. Il soutient à titre subsidiaire qu’à tout le moins la résiliation doit avoir les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque la rupture est imputable aux griefs faits à l'employeur. Il réclame une indemnité en réparation de son préjudice moral, physique et financier très important en raison de son absence de retour à l'emploi et de ses charges de famille.
L'employeur soutient que le salarié a souhaité dès la fin de 2019 quitter l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle pour faire aboutir des projets personnels mais s'est heurté au refus de l'employeur ; qu'à partir de ce moment le salarié a manoeuvré pour aboutir à une rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur en invoquant des griefs infondés de harcèlement moral et de manquement l'obligation de sécurité.
Il n’est pas inutile de rappeler que le salarié supporte la charge de la preuve des griefs qu’il impute à l’employeur pour justifier la résiliation de son contrat de travail.
Il ressort des pièces qu’il verse au débat qu’il a exprimé fin 2019 sa volonté de quitter l’entreprise au printemps 2020 en proposant à l’employeur une collaboration en qualité de prestataire dont il a fixé le tarif. Il n’est pas contesté que l’employeur a refusé la rupture conventionnelle comme il en a le droit, et les manœuvres dénoncées par le salarié en vue de l’amener à conclure un accord défavorable que d’ailleurs il ne produit pas, ne sont pas justifiées. Le salarié ne peut se plaindre en outre d’avoir été remplacé par un collègue dans la mesure où il a proposé lui-même d’organiser la transition en vue de son départ. De même, il ne peut se plaindre de n’avoir pas été associé à différentes décisions ou d’avoir été évincé d’un séminaire à une époque où il été en train d’organiser son départ de l’entreprise. De même, le salarié ne peut se plaindre d’une absence de mesures après la dénonciation de fait de harcèlement moral alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait effectué telle démarche. L’absence de fourniture de travail n’est pas justifiée, la pièce produite sur la quantité de mails générés n’apparaît pas probante puisque rien ne permet de rattacher des mouvements qui y figurent à M. X. En tout état de cause, la période considérée correspond à la période de confinement lié à l’épidémie de COVID 19.
Le manque de moyens n’est pas avéré dans la mesure où les recrutements qu’ils avaient sollicités en période de tension ont été acceptés et mis en oeuvre, même tardivement. En revanche, la surcharge de travail, le harcèlement moral, l’illicéité de la convention de forfait, la rémunération variable et les heures supplémentaires impayées, ont été admis plus haut. S’y ajoutent les changements successifs de la hiérarchie perturbant son positionnement qui ressort clairement des échanges de mails.
Ces éléments constituent des manquements aux obligations contractuelles de l’employeur, suffisamment graves, car de nature à porter atteinte à la santé du salarié, pour justifier qu’il soit mis fin aux torts de l’employeur au contrat de travail.
La résiliation, prendra effet au 6 juin 2020, date de la fin des relations contractuelles, doit avoir des effets d’un licenciement nul dans la mesure où elle résulte notamment du harcèlement moral.
Le salarié peut donc prétendre :
- à une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire selon les stipulations contractuelles, étant rappelé que le salaire est entendu au sens du salaire que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé incluant les heures supplémentaires ( 8 623,23 euros), soit une indemnité de 25 869,70 euros, de sorte qu’il faut faire droit à la demande de 22 589,10 euros, par confirmation du jugement,
- à des congés payés afférents, soit la somme de 2 258,91 euros,
- à une indemnité légale de licenciement égale à 44 469 euros sur la base d’un salaire de 8
653,41 euros égal à la moyenne la plus favorable des salaires perçus entre juillet 2019 et juin 2020 incluant les heures supplémentaires et la rémunération variable, de sorte que le jugement qui a alloué la somme de 42 557,65 euros et dont la confirmation est demandée par le salarié, sera confirmé,
- à des dommages-intérêts en application des dispositions de l’article L 1235-3-1 du code du travail, qui ne peuvent être inférieur aux salaires des six derniers mois (54 289,42 euros incluant la rémunération variable). Compte tenu de l’âge du salarié, de son niveau de salaire, de sa situation de chômeur indemnisé jusqu’en 2024, la somme de 70 000 euros allouée par le conseil de prud’hommes réparera entièrement les préjudices subis.
2.3) Les autres demandes
- La remise des documents de fin de contrat
L’employeur sera condamné à remettre au salarié les documents de fin de contrat tels qu’ils
seront détaillés dans le dispositif.
- Les intérêts
Les condamnations portent intérêts au taux légal comme il sera dit au dispositif en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil.
- L’application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail
Il sera fait application du texte précité dans la limite de six mois de salaire.
- Les frais irrépétibles et les dépens
Succombant au sens de l’article 696 du code de procédure civile, l’employeur doit supporter les frais irrépétibles les dépens de première instance par confirmation du jugement. En appel il sera débouté de ses demandes à ce titre et condamné à payer au salarié la somme de 2 000 euros.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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