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Droit des journalistes : Télérama condamnée à réintégrer une journaliste pigiste suite son licenciement jugé nul, consécutif à la saisine des prud’hommes (CA Paris 2 mai 2024, definif)

Publié le Modifié le 26/07/2024 Vu 1 561 fois 1
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Dans un arrêt du 2 mai 2024 (RG 21 /00021), la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Paris.

Dans un arrêt du 2 mai 2024 (RG 21 /00021), la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de départage du

Droit des journalistes : Télérama condamnée à réintégrer une journaliste pigiste suite son licenciement jugé nul, consécutif à la saisine des prud’hommes (CA Paris 2 mai 2024, definif)

 

Dans un arrêt du 2 mai 2024 (RG 21 /00021), la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Paris qui a ordonné la réintégration d’une journaliste pigiste de Télérama suite à son licenciement du 20 décembre 2017 consécutif à sa saisine du conseil de prud’hommes de Paris.

 

La relation de travail avait été requalifiée en CDI à temps complet.

 

La Cour d’appel de Paris confirme l’indemnité d’éviction octroyée  par le juge départiteur du conseil de prud’hommes de Paris du fait de la nullité de la rupture ainsi que les rappels de salaire pendant les périodes intercalaires du fait de la disposition permanente.

 

L'arrêt de la Cour d'appel de Paris est définif car les parties ne se sont pas pourvues en cassation.

 

1)      EXPOSE DU LITIGE

 

La société Telerama édite un magazine culturel hebdomadaire. Elle compte plus de 10

salariés.

 

Mme X, née en …, a rédigé des piges pour le compte de la société Telerama entre novembre 2009 et octobre 2017 dans le cadre de contrats à durée déterminée.

 

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des journalistes.

 

Par lettre datée du 16 novembre 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 29 novembre suivant, en vue d’un éventuel licenciement.

 

Celui-ci lui a été notifié par lettre du 20 décembre 2017 dans les termes suivants :

 

« Vous vous étiez engagée auprès de la société à rédiger un article sur le documentaire

"La saison italienne-Raphaël" et à nous le remettre le 11 octobre 2017 au plus tard.

Pourtant, à la date convenue, vous ne l’avez pas transmis. Lors de l’entretien préalable, vous avez indiqué que vous l’auriez mis en ligne sur le système informatique "Theleme" sans en avertir Y, Responsable du service Télévision. Ce faisant, vous avez sciemment perturbé le bouclage du magazine. En tout état de cause, l’article mis en ligne sur le système informatique comporte 2500 signes au lieu des 1500 signes attendus et n’est pas signé. Il n’était donc pas publiable en l’état.

 

Sans nouvelle de votre part avant le bouclage, Y a tenté de vous joindre à deux reprises dans l’après-midi, ainsi qu’une troisième fois le lendemain matin. Vous n’avez répondu à aucune de ses sollicitations, que ce soit par un appel ou par l’envoi d’un message pour l’informer de la mise en ligne de votre article.

 

Vous vous étiez également engagée à assister aux tables rondes de comédiens organisées par la chaîne Canal + à propos de la série « Paris etc », le mercredi 11 octobre 2017 à 9h30, dans le cadre d’une enquête concernant la fiction française. A la date convenue, et alors même que vous aviez vous-même proposé ce sujet, vous ne vous êtes pas présentée et n’avez de surcroît pas prévenu la chaîne au préalable. Lors de l’entretien préalable, vous nous avez confirmé que votre omission de les informer était délibérée. Un tel comportement est inacceptable et porte fortement atteinte à l’image de Télérama, au nom duquel vous deviez assister à cet événement.

 

Lors de l’entretien préalable, vous nous avez expliqué que cette série était « estimée faible » et qu’aucun papier vitrine n’était prévu. Si vous ne souhaitiez pas assister aux tables rondes, vous auriez cependant dû en faire-part à la Société avant de l’accepter. Nous vous rappelons que pour chaque commande de pige, vous êtes libre d’accepter ou de refuser la proposition. Les explications que vous nous avez apportées lors de notre entretien du 16 novembre 2017 n’ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. En effet, que

ce soit pour l’article « La saison italienne-Raphaël » ou pour votre absence aux tables rondes organisées par Canal +, vous n’avez apporté aucune justification valable à vos manquements et avez, au contraire, précisé que vous aviez délibérément agi de la sorte et donc mis en difficulté la rédaction.

 

Pour justifier vos agissements délibérés, vous avez prétexté de votre colère ainsi que d’une prétendue gestion catastrophique du service. Outre que rien ne justifie de mettre une rédaction en difficulté, nous vous rappelons que vous ne nous avez jamais fait part du moindre problème lors de nos différentes collaborations. Nous ne pouvons donc pas accepter de telles explications de votre part pour justifier vos manquements.

 

Votre comportement nous contraint donc à mettre fin à notre collaboration, dont la poursuite s’avère désormais impossible. Nous ne solliciterons en conséquence plus vos services à l’avenir. Nous vous notifions donc, par la présente, votre licenciement ».

 

Mme X a saisi le 8 novembre 2017 le conseil de prud’hommes de Paris, aux fins de voir :

 

- requalifier les piges et les contrats à durée déterminée de Mme X en

contrat de travail à durée indéterminée à temps complet avec reprise d’ancienneté au 1er

novembre 2009 et fixer son salaire mensuel brut de base de 3.371,53 euros,

subsidiairement de 2.686,42 euros,

 

- ordonner sa réintégration au sein de la société Télérama et ce sous astreinte de 50 euros

par jour de retard,

 

- condamner la société Télérama à payer à Mme X certaines sommes.

 

 

Par jugement du 10 novembre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Paris :

 

- A dit que la relation professionnelle liant les parties depuis le 1er novembre 2009 s’analyse en un contrat de travail à durée indéterminée,

 

- A condamné la société Telerama à payer à Mme X les sommes suivantes :

 

* 2.686,42 euros à titre d’indemnité de requalification,

* 16.225 euros de rappel de salaires, outre 1.622,50 euros d’indemnité de congés payés

afférents,

* avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017,

 

- A prononcé la nullité du licenciement,

 

- A ordonné la réintégration de la demanderesse dans son emploi de journaliste au sein de

la société Telerama, moyennant une rémunération brute mensuelle fixe d’un montant

minimum de 2.686,42 euros,

 

- A condamné la défenderesse à payer à Mme X :

 

* la somme brute totale de 94.924,70 euros à titre de rappel de salaire pour la période du

1er novembre 2017 à septembre 2020 inclus, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2018 sur la somme de 29.550,62 euros et à compter du 13 octobre 2020 pour le surplus,

* la somme totale de 5.000 euros de dommages-intérêts pour application illicite de la déduction forfaitaire spécifique, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2018,

 

- A ordonné le versement par l’employeur aux organismes de sécurité sociale des cotisations de retraite régularisées concernant l’année 2017,

 

- A ordonné la remise par la société Telerama à Mme X d’un bulletin de salaire conforme au présent jugement, dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement,

 

- rejeté le surplus des demandes de Mme X,

- ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Telerama aux dépens,

- condamné la société Telerama à payer à Mme X la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

 

- ordonné, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, le remboursement par

la société Telerama au Pôle Emploi Ile-de-France la somme de 8.116,33 euros.

 

Par déclaration du 11 décembre 2020, la société Telerama a interjeté appel de cette

Décision.

 

2)      MOTIFS

 

Par arrêt du 2 mai 2024, la Cour d’appel de Paris :

 

. Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

 

. Rejette la demande tendant à voir écarter des débats le texto échangé entre Mme

X et Mme Z le 17 octobre 2017 ;

 

. confirme le jugement déféré, sauf sur les demandes Mme X en paiement de dommages-intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle Emploi devenu France Travail, de dommages-intérêts pour application de l’abattement forfaitaire pour frais professionnel de journalistes et régularisation auprès des organismes sociaux des cotisations de retraites concernant l’année 2017 ;

 

Statuant à nouveau ;

 

. rejette les demandes de dommages-intérêts pour application irrégulière de l’abattement forfaitaire pour frais professionnel de journalistes et de régularisation auprès des organismes sociaux des cotisations de retraites concernant l’année 2017 ;

 

. condamne la société Télérama SA à payer à Mme X la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts en réparation de la remise tardive de l’attestation Pôle Emploi devenu France Travail ;

 

Y ajoutant ;

 

. déclare irrecevable la demande d’indemnité de congés payés afférents à l’indemnité de réintégration ;

 

. condamne la société Télérama SA à payer à Mme X la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

 

. condamne la société Télérama SA aux dépens d’appel ;

 

***

 

 

Le texto du 19 octobre 2017, échangé entre Mme X et Mme Z n’a pas lieu d’être écarté au titre de la loyauté des débats, dès lors que les parties sont à même d’en débattre librement et que son contenu, fût-t-il comme s’en plaint la salariée la réponse à un courriel précédent, n’en perd pas pour autant sa valeur probante.

 

1 : Sur l’abattement forfaitaire des frais professionnels de journalistes

 

Mme X sollicite le paiement de la somme de 5 000 euros en réparation de l’application irrégulière par l’employeur de la réduction forfaitaire de 30% dite spécifique, qui permet de réduire dans cette proportion censée correspondre aux frais professionnels, l’assiette des cotisations sociales, en lui faisant ainsi perdre des droits à la retraite notamment.

 

La société Télérama SA répond qu’elle n’a fait qu’appliquer un accord collectif conclu en faveur des salariées pour leur faire bénéficier d’un salaire net supérieur.

 

Sur ce

Aux termes de l’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002, l’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif l’a explicitement prévue ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

 

En l’espèce, les articles 1er et 2 de l’accord du 12 novembre 2003 de la convention collective des journalistes dispose que les parties s’accordent pour fixer le principe de la déduction forfaitaire spécifique de charges sociales, sauf refus exprès du journaliste exprimé durant le mois de novembre précédant l’année d’application de la déduction notifiée à l’employeur par lettre recommandée avec accusé de réception.

 

Ainsi c’est régulièrement que la société Télérama SA a pratiqué l’abattement forfaitaire spécifique.

 

Dés lors la demande de dommages-intérêts formulée en réparation sera rejetée et de même que la demande de versement par la société Télérama SA aux organismes de sécurités sociale des cotisations de retraite afférentes à l’année 2017.

 

2 : Sur la requalification en contrat à durée indéterminée

 

2.1 : La qualification de la relation de travail

 

Aux termes de l’article L. 7111-3 du Code du travail est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

 

Il est constant que Mme X est journaliste professionnelle.

 

Aux termes de l’article L. 7112-1 du Code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.

 

Il s’ensuit que la salariée est présumée avoir été liée par un contrat de travail à la société

Télérama SA tout au long de sa collaboration pour la société soit entre le 1er novembre

2009 et le 20 décembre 2017.

 

Il appartient à la société de presse qui conteste cette qualification de renverser la présomption.

 

Le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

 

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

 

En l’espèce, l’existence du contrat de travail a été formalisée pour des durées déterminées, par trois contrats à durée déterminée conclus pour les périodes du 26 avril au 7 mai 2010, du 26 au 30 juillet 2010 et du 16 janvier 2017 au 10 février 2017, chacun conclu pour des périodes comprises entre un jour et sept semaines. Par ailleurs les parties ont conclu des

forfaits piges” stipulés pour le remplacement de salariés absents, par 13 forfaits entre le

13 juillet 2015 et le 26 août 2016, puis par 4 forfaits entre le 18 janvier 2017 et le 31 octobre 2017.

 

Il ressort des attestations versées aux débats que pendant ces périodes de remplacement d’un autre journaliste, Mme X travaillait dans les locaux de la société, où elle bénéficiait d’un bureau, d’un ordinateur et d’un téléphone, tandis qu’elle participait aux réunions hebdomadaires de rédaction.

 

Pour ce qui est des conditions dans lesquelles étaient exécutées les piges pendant les autres périodes, les échanges de courriels entre la direction et l’intéressée établit que les tâches lui étaient confiées entre quelques jours en avance et le dernier moment, sur un mode d’expression qui n’envisageait pas de refus.

 

L’employeur n’apporte pas d’éléments permettant d’écarter le lien de subordination, tel que des refus de missions ou de directives, des négociations sur les conditions de la collaboration, si ce n’est pour demander la signature d’un contrat à durée indéterminée.

 

Aussi la cour retient-elle la qualification de contrat à durée indéterminée.

 

En application de l’article L. 3123-6 du Code du travail, l'absence d'un écrit constatant l'existence d'un contrat de travail à temps partiel fait présumer que ce dernier a été conclu pour un horaire à temps complet.

 

Pour échapper à la qualification en temps plein, l'employeur doit prouver, d'une part la durée exacte de travail mensuelle ou hebdomadaire convenue et sa répartition et, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'entreprise.

 

Or précisément, Mme X dont les piges étaient commandées souvent au dernier moment ou à tout le moins tardivement, de manière irrégulière, comme le montrent les courriels versés aux débats, était dans l’impossiblité de prévoir à quel rythme elle devait travailler.

 

Par suite la relation de travail est requalifiée en contrat à durée indéterminée à temps complet.

 

2.2 : Sur l’indemnité de requalification

 

Aux termes de l’article L. 1245-2 du Code du travail lorsque le conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine.

 

Lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s'applique sans préjudice de l'application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.

 

Il est demandé au titre de la requalificaiton de la relation de travail, la requalification, non seulement d’une activité de pigiste sur plusieurs années, mais de trois contrats à durée déterminée.

 

Au vu des circonstances de la cause, la cour fixe l’indemnité de requalification à la somme de 2 686,42 euros en reprenant les motifs pertinents du premier juge.

 

2.3 : Sur les rappels de salaire des périodes interstitielles

 

Il résulte des développements qui précèdent et des motifs du premier juge que la cour adopte, que l’intéressée devait se tenir constamment à la disposition de l’employeur pendant la période non prescrite courue de 2015 à 2017.

 

Le rappel de salaire sur les périodes interstitielles correspond, pour chaque période intercalaire, en fonction de la rémunération qui avait été la sienne au cours de la période de travail précédente.

 

Dés lors, la proposition de la salariée de ne retenir que le dernier salaire perçu en octobre

2017 comme référence, par plus que l’offre de la société Télérama SA de retenir le minimum conventionnel ne sont pertinents.

 

Au vu des éléments du dossier, le rappel de salaire auquel peut prétendre Mme Hélène

Rochette est exactement d’un montant de 16 225 euros brut, outre 1 622,50 euros brut d’indemnité de congés payés y afférents.

 

Par suite, la condamnation prononcée par le premier juge enjoignant à l’employeur de remettre des bulletins de paie conformes à la décision sera confirmée.

 

3 : Sur le harcèlement moral

 

Mme X sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de

10 000 euros en réparation du harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime.

 

La société Télérama SA répond que les agissements invoqués soit sont déformés, soit sont justifiés par des raisons objectives indépendantes de tout harcèlement moral.

 

Sur ce

 

Aux termes de l’article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

 

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Il convient donc d’examiner la matérialité des faits invoqués, de déterminer si pris isolément ou dans leur ensemble ils font présumer un harcèlement moral et si l’employeur justifie les agissements invoqués par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

3.1 : Sur la matérialité des faits

 

S’agissant de l’ambiance de travail nocive du service France télévision, auquel était affectée Mme X, et de son exclusion à raison de son statut précaire, la salariée se fonde sur l’attestation de son conjoint, inopérante comme partiale, ou sur des attestations faisant état d’une ambiance au sein de l’entreprise qui ne la concernait pas directement.

 

S’agissant de la dénonciation de harcèlement par la salariée, elle ne constitue qu’une pseudo preuve inopérante, puisque préconstituée par l’intéressée pour elle-même.

 

S’agissant de la suppression de l’adresse mail nominative de Mme X le 16 octobre 2017, soi-disant pour l’isoler, un courriel interne du 15 septembre 2017 démontre qu’il était prévu dès cette date, que cette adresse ne serait valide que jusqu’au 13 octobre, soit en-de ça même de la date effective de la suppression. Il apparaît que comme le rappelle l’employeur cette adresse était attribuée pour les besoins d’une mission précise.

 

S’agissant de l’annulation du déjeuner du 19 octobre 2017, il ressort d’un courriel du supérieur de la salariée du 18 octobre 2017.

 

S’agissant des témoignages de soutien des collègues, ils font apparaître un mouvement de sympathie à la suite de la disparition inquiétante de Mme X, ayant conduit à lui manifester la reconnaissance de ses qualités, mais nullement de faits précis dont aurait pu souffrir Mme X du fait de son employeur.

 

Quant à l’absence, probablement provisoire de remise d’un ordinateur muni de tous ses logiciels, elle ressort d’échanges de courriels.

 

S’agissant du grief tiré d’un entretien humiliant qu’aurait subi l’intéressée lorsqu’elle a formé sa candidature à un poste du service écran qui se libérait, aucun élément de preuve ne vient étayer ce fait.

 

S’agissant des conditions de travail à la suite de la réintégration, la salariée dénonce son affectation, non pas dans son emploi précédent mais sur les pages Web du service enfants, ce qui ne correspondrait pas à ses compétences, ce changement d’affectation est établi.

 

S’agissant de l’attribution, après sa réintégration, de 27 jours seulement de congés, durée inférieure à ce à quoi elle avait droit, ce fait est avéré, puisque ce n’est que sur plainte de sa part, qu’elle s’est vu reconnaître ses droits.

 

Il est également prouvé que son travail n’a pas été publié sur le magazine papier, sauf deux fois à la suite d’une plainte de sa part.

 

Ainsi, seuls quatre faits sont établis à savoir la suppression d’un déjeuner et la remise d’un ordinateur non muni des logiciels nécessaires, de sorte que la salariée a écrit travailler chez elle en attendant que ces manques soient réparés, la réintégration à un autre poste que celui qu’elle avait en tant que pigiste, l’octroi d’un nombre de jours de congés inférieur au nombre dû, la non diffusion dans le magazine papier du travail de Mme X.

 

3.2 : Sur la justification par l’employeur de sa décision

 

Le courriel de l’employeur du 18 octobre 2017 explique à Mme X, à la suite de sa disparition inquiétante, en termes mesurés et compréhensifs, qu’elle doit recouvrer sa santé, qu’un examen par le médecin du travail est nécessaire, qu’aucune collaboration ne doit reprendre immédiatement en attendant et que le dîner prévu doit être différé en attendant qu’elle soit déclarée apte.

 

Ainsi l’employeur a justifié sa décision.

 

Le défaut provisoire d’installation de logiciel sur son ordinateur ne saurait caractériser un agissement tel que défini par l’article du code du travail.

 

L’octroi d’un nombre de jours de congés inférieur au nombre dû, rapidement réparé par l’employeur, s’explique par une erreur dans l’ancienneté retenue par le service compétent qui a pris en compte non pas le début de la relation de travail, mais la date de réintégration.

 

Ainsi ce fait traduit une simple erreur humaine réparée rapidement et n’est pas de nature à caractériser un harcèlement moral.

 

La réintégration de la salariée s’est faite, dans le cadre d’une médiation, à un poste de journaliste. La réintégration ne pouvait se faire exactement sur le même poste que celui que détenait l’intéressée auparavant, puisqu’elle n’était que pigiste, travaillant sur des missions précaires. Ainsi l’employer a rempli son obligation.

 

Demeure l’absence de diffusion de travaux de sa part dans le magasine papier. Ce fait unique ne peut caractériser un harcèlement moral. Ainsi le harcèlement moral n’est pas caractérisé et la demande de dommages-intérêts sera rejetée.

 

3.3 : Sur l’exécution déloyale

 

Mme X sollicite la condamnation de la société Télérama SA à lui payer la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en cas de rejet de la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral, en considérant que les agissements imputés à l’employeur du chef dudit harcèlement sont de nature à tout le moins à caractériser une exécution déloyale du contrat de travail.

 

Cependant, les développements qui précèdent ne permettent pas de retenir une telle faute et cette demande subsidiaire sera également rejetée.

 

4 : Sur le licenciement

 

4.1 : Sur la nullité du licenciement

 

La nullité du licenciement comme lié au harcèlement moral en application de l’article

L.1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail n’est pas encourue en l’absence de reconnaissance de celui-ci.

 

Par texto du 19 octobre 2017 une secrétaire, Mme Z, indiquait à Mme X que son supérieur hiérarchique avait été très surpris d’apprendre que l’on avait conseillé à celle-ci de prendre un avocat. Un avis d’aptitude médicale donné par le médecin du travail a été dressé le 2 novembre suivant et la procédure de licenciement a été engagée par lettre de convocation à un entretien préalable du 16 novembre 2017.

 

Cette chronologie et les motifs du premier juge que la cour adopte établissent que le licenciement a été provoqué par l’intention de la salariée d’agir en justice.

 

Ainsi cette rupture viole la liberté fondamentale d’agir en Justice proclamée par le préambule de la constitution de 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme.

 

Il s’ensuit que le licenciement est nul.

 

La réintégration sollicitée par la salariée est de droits et sera ordonnée.

 

4.2 : Sur le remboursement des indemnités de chômage

 

Au vu des motifs qui précèdent, il sera ordonné le remboursement des indemnités Pôle

Emploi en confirmation du jugement déféré en application de l’article L.1235-4 du Code du travail.

 

4.3 : Sur les salaires postérieurs au licenciement

 

Mme X sollicite le paiement des salaires échus entre la date de la rupture et sa réintégration, soit du 11 octobre 2017, dernier jour travaillé à octobre 2020, dernier mois précédant le jugement prononçant sa réintégration. Elle fixe sa créance à la somme de 121 819 euros équivalant à 36,5 mois de salaire, le salaire mensuel étant évalué 3 337,53 euros, à quoi elle ajoute l’indemnité de congés payés y afférents, soit la somme de 12 181 euros. Elle se déclare recevable à solliciter pour la première fois, postérieurement à ses premières conclusions d’appel, cette indemnité de congés payés, en ce que celle-ci s’intègre dans l’indemnité d’éviction d’un montant total de 134 000 euros, correspondant à l’addition des rappels de salaire et de l’indemnité de congés payés y afférents.

 

La société Télérama SA soulève au contraire l’irrecevabilité de cette demande nouvelle d’indemnité de congés payés comme contraire au principe de la concentration des demandes édicté par l’article 910-4 du Code de procédure civile. Le salaire à retenir selon l’employeur est la salaire conventionnel soit la somme de 1 498 euros par mois ou à défaut celui qui lui a été servi lors de son dernier contrat à durée déterminée, déduction faite de ce que le salarié a perçu au cours de la période considérée. Il soutient que faute par le salarié de justifier de ce qu’il n’a rien perçu à cet égard, il doit être débouté de sa demande.

 

Sur ce

 

Aux termes de l’article 910-4 du Code du travail, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

 

Néanmoins, poursuit ce texte, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

 

Sur ce

 

Le droit méconnu qu’est le droit d’agir en Justice résulte du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, de sorte que la salariée a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu’elle ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période.

 

L'indemnité d'éviction due au salarié qui a fait l’objet d’un licenciement nul a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire. Il en résulte que cette indemnité ouvre droit à des congés payés.

 

Une nouvelle jurisprudence issue d’un arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 2021 qui reconnaît le droit à une indemnité de congés payés sur l’indemnité d’éviction en ce qu’elle a le caractère d’un complément de salaire ne caractérise pas une question née postérieurement aux premières conclusions, mais seulement une réponse à une question née antérieurement aux premières conclusions. La question du droit à l’indemnité de congés payés ne résulte par plus de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

 

Par suite, elle est irrecevable.

 

L’indemnité d’éviction recouvre les salaires perdus pendant la période litigieuse. Ce salaire ne correspond ni au salaire conventionnel, ni au dernier salaire perçu, mais au salaire que l’intéressé aurait dû percevoir pendant la période d’éviction.

 

La cour retient à l’instar du premier juge la rémunération mensuelle de 2 686,42 euros brut, ce qui donne sur les mois couvrant la période comprise entre le 20 décembre 2017, date de notification du licenciement, et la fin du mois de novembre 2020, pour tenir compte de la date de signification du jugement de première instance, la somme de 3594 024,70 euros, L’indemnité d’éviction sollicitée couvre la période comprise entre la date du licenciement

et la date du jugement qui ordonnait la réintégration avec exécution provisoire.

 

4.4 : Sur la remise tardive de l’attestation Pôle Emploi

 

Mme X sollicite l’allocation de la somme de 3 000 euros en réparation de la remise tardive et intentionnelle par l’employeur de son attestation Pôle Emploi.

 

La société Télérama SA répond que l’intéressée demande deux fois la réparation du même préjudice, puisqu’elle réclame à la fois les salaires échus après la rupture et le bénéfice d’une attestation Pôle Emploi qui lui aurait procuré des indemnités de chômage auxquelles elle n’avait pas droit.

Il est constant que Mme X a réclamé à la société Télérama SA son attestation Pôle Emploi par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mars 2018 et du 19 mars 2018, n’a obtenu satisfaction que par suite d’une ordonnance du bureau de conciliation et d’orientation du conseil des prud’hommes.

 

De ce fait, alors qu’il fallait qu’elle attende une décision de justice exécutoire pour obtenir paiement d’une indemnité correspondant aux salaires perçus, elle s’est trouvée sans ressources.

 

Ce manquement de l’employeur justifie l’allocation de la somme de 2 000 euros.

 

5 : Sur la demande de publication, les intérêts, la demande de dommages-intérêts pour transmission tardive de l’attestation Pôle Emploi, sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

 

Mme X sollicite la publication dans les journaux Le Monde et Télérama de la présente décision.

 

Toutefois, une telle mesure, qui a plutôt valeur d’exemplarité pénale, n’est pas de nature à réparer un quelconque préjudice subi par Mme X et cette demande sera rejetée.

 

Les sommes allouées de nature contractuelle, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes. Les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter de la décision qui les a prononcées. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu’il l’est demandé, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

 

Il est équitable au regard de l’article 700 du code de procédure civile de condamner la société Télérama SA qui succombe sur l’essentiel à payer à Mme X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d’appel.

 

Pour le même motif, l’employeur sera condamné aux dépens.

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

www.chhum-avocats.fr

https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr

.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644

.Lille: : 45, Rue Saint Etienne 59000 Lille – Ligne directe +(33) 03.20.57.53.24

                                        

 

 

 

 

 

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1 Publié par Carlossaldivia
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