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Droit à la preuve : une preuve illicite ou déloyale peut être recevable (c. cass. 22/12/2023)

Publié le 25/01/2024 Vu 1 236 fois 0
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Dans un arrêt du 22 décembre 2023, la Cour de cassation admet que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Dans un arrêt du 22 décembre 2023, la Cour de cassation admet que, dans un procès civil, l'illicéité ou l

Droit à la preuve : une preuve illicite ou déloyale peut être recevable (c. cass. 22/12/2023)

1)      Faits et procédure

Un salarié a été engagé à compter du 14 octobre 2013 en qualité de responsable commercial « grands comptes » par la société Abaque bâtiment services (la société ABS).

Le 16 octobre 2016, il a été licencié pour faute grave.

L'employeur a saisi la juridiction prud'homale aux fins notamment de condamnation du salarié à des dommages et intérêts pour non-exécution du préavis et en réparation d'un préjudice commercial. Le salarié a contesté son licenciement et demandé la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes.

Pour apporter la preuve de la faute grave reprochée au salarié, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.

Cet enregistrement avait été réalisé à l’insu de l’employé.

La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 28 juillet 2020, a déclaré cette preuve irrecevable en raison du caractère clandestin de l’enregistrement, et, faute d’autres preuves recevables, a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

2)      Moyens

La société fait valoir au soutien de son pourvoi que :

-    L’enregistrement audio, même obtenu à l'insu d'un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu'il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu'il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l'employeur et qu'il a pu être discuté dans le cadre d'un procès équitable ;

 -          Qu'en écartant des débats les pièces numérotées 7.3, 7.3b, 7.5 et 7.5b produites par l'employeur, qui démontraient que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale, ce au motif erroné et insuffisant qu'elles ont été obtenues par un procédé déloyal et à l'insu du salarié, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3)      Solution

Au visa de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans.

L’assemblée plénière procède en premier lieu à un rappel de la position antérieure de la Cour de cassation en matière de preuve :

-          La Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi ;

 -          La Cour de cassation juge néanmoins qu'est irrecevable la production d'une preuve recueillie à l'insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème. Cette solution est fondée sur la considération que la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d'une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité.

L’assemblée plénière constate en second lieu que « l'application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits ».

La Cour de cassation rappelle ensuite la position de la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne retient pas par principe l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve entre en conflit avec d'autres droits et libertés, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.

En conséquence, l’assemblée plénière de la Cour de cassation conclut que :

 

« Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

4)      Analyse

Par cet arrêt, la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence en matière civile.

Comme l’explique l’assemblée plénière elle-même, l’existence d’un droit à la preuve devant être mis en balance avec les droits antinomiques était d’ores et déjà reconnue par les différentes chambres de la Cour de cassation :  par la première chambre civile depuis 2012 (Cass. civ. 1ère., 5 avril 2012, n°11-14.177), par la chambre sociale depuis 2016 (Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203), par la chambre commerciale (notamment Com., 5 juin 2019, n° 17-22.192 ; Com., 15 mai 2019, n° 18-10.491 ; Com., 17 mai 2023, n° 19-25.007).

Cependant, les solutions différaient lorsqu’il était question d’une preuve illicite ou déloyale : les juges écartaient d’office les preuves jugées illicites ou déloyales, sans procéder à un contrôle de proportionnalité (notamment Ass. plén, 7 janvier 2011, n°09-14.316 ; Civ. 1ère, 26 septembre 2019, n° 17-19.997 ; Civ. 2ème, 9 janvier 2014, n° 12-17875 ; Civ. 3ème, 22 juin 2017, n° 15-26.940 ; Com., 10 novembre 2021, n° 20-14.669 ; Soc., 14 mars 2020, n° 98-42.090).

En matière de droit du travail, l’appréciation de la recevabilité d’une preuve illicite ou déloyale variait selon que la preuve litigieuse provenait de l’employeur ou du salarié. Lorsque la preuve illicite ou déloyale provenait de l’employeur, elle était presque toujours considérée comme irrecevable, notamment en application des dispositions du Code du travail. En revanche, lorsque la preuve déloyale provenait d’un salarié, il arrivait qu’elle soit tout de même reçue au nom du droit à la preuve du salarié.

Ainsi, dans son arrêt du 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, procédant à une conciliation entre le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, opère un revirement de jurisprudence.

Désormais, en présence d’une déloyale ou illicite, il ne faut pas nécessairement la rejeter des débats. Il convient de raisonner en plusieurs temps :

-        Le juge doit apprécier si la preuve présentée est illicite ou déloyale ;

-       L'une des parties doit demander au juge d’apprécier la recevabilité de la preuve jugée illicite ou déloyale ;

-    Si cela lui est demandé, le juge devra apprécier si la preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence ;

-       La preuve pourra être déclarée recevable uniquement si sa production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte portée au droit antinomique est strictement proportionnée au but poursuivi.

Il est toutefois remarquable qu’en mars 2023 (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-17.802), la chambre sociale utilisait déjà un attendu de principe presque identique à celui utilisé dans l’arrêt du 22 décembre 2023 :

 

« Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

 

La solution diffère en matière pénale. En effet, si une preuve illicite ou déloyale doit être déclarée irrecevable lorsqu’elle provient d’une autorité publique, la chambre criminelle considère qu’aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter des moyens de preuve produits par un particulier au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (Crim., 11 juin 2002, n° 01-85.559).

 

L’assemblée plénière mentionne d’ailleurs qu’une des raisons de son revirement est « le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile ».

 

Sources

Cass. soc., 22 décembre 2023, n°20-20.648 https://www.courdecassation.fr/decision/65855660673fa80008f8d98d

Communiqué : usage devant le juge civile d’une preuve obtenue de façon déloyale

Communiqué : Usage devant le juge civil d’une preuve obtenue de façon déloyale | Cour de cassation

Rapport de Monsieur Dominique Ponsot à propos du pourvoi n°20-20.648

 

Rapport de Monsieur Hugues Fulchiron à propos du pourvoi n°21-11.330

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

Mathilde Fruton – Letard élève avocate EFB PARIS

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A propos de l'auteur
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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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