Au visa de l’article L.1222-4 et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Cour de cassation considère qu’une enquête réalisée à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral sans avoir été portée à la connaissance préalable de la salariée visée par ces dénonciations, ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié.
1) Faits
Une salariée recrutée par une société en qualité de responsable trafic le 1er septembre 2005, a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 22 septembre 2014.
Licenciée pour faute grave le 13 octobre 2014, au motif qu’elle a proféré des insultes à caractère racial et discriminatoire en plus que d’avoir causé des perturbations graves de l’organisation et de l’efficacité collective durant des entretiens s’étant déroulés les 25 septembre et 1er octobre 2014, elle décide de contester son licenciement.
Il convient de souligner tout particulièrement que la gravité de ces faits a été révélée sans que la salariée en soit informée, par un audit confié avec l’accord des délégués du personnel à une entreprise extérieure spécialisée en risques psycho-sociaux, missionnée aux fins d’entendre et d’accompagner psychologiquement les salariés après que des agissements de harcèlement aient été dénoncés.
Par un arrêt rendu le 26 septembre 2018, la cour d’appel de Paris a fait droit aux demandes de la salariée tenant à la contestation de son licenciement.
En effet, la cour d’appel de Paris a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur aux paiement de diverses sommes afférentes, considérant que l’audit révélant les propos racistes et discriminatoires tenus par la salariée est un mode de preuve illicite car il a été confié à un organisme tiers à l’entreprise quoique spécialisée en risques psycho-sociaux, et que l’enquête a été menée à l’insu de la salariée, la privant de cette manière de tout moyen de défense.
L’employeur se pourvoit donc en cassation sur le fondement du principe de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail, sur le fondement du principe de loyauté dans l’administration de la preuve ainsi que sur le fondement de l’article L1222-4 du code du travail qui dispose qu’ « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
2) Moyens
L’employeur fait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’écarter le compte-rendu de l’enquête confiée à une entreprise extérieure à l’entreprise spécialisée en risques psycho-sociaux, qui constitue pourtant son principal élément probant pour justifier le licenciement de la salariée.
A cet égard, l’employeur soutient que « ne constitue pas un mode de preuve illicite l’enquête réalisée dans l’entreprise par un tiers en vue de recueillir des témoignages après que des faits de harcèlement ont été dénoncés, peu important que le salarié auquel les faits de harcèlement sont imputés n’en ait pas été préalablement informé, ni n’ait été entendu dans ce cadre ».
3) Une enquête interne à l’entreprise en matière de harcèlement moral, peut-elle être confiée à un organisme extérieur à l’entreprise sans même que la salariée à qui sont reprochés les faits en ait au préalable connaissance ? Oui, répond la Cour de cassation.
La Cour de cassation répond par la positive, et casse et annule en conséquence l’arrêt rendu le 26 septembre 2018 par la cour d’appel de Paris.
Sur le fondement de l’article L.1222-4 du code du travail et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Cour de cassation juge « qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié ».
En d’autres termes, le fait que la salariée faisant l’objet d’accusation de faits de harcèlement moral, n’ait été, ni informée de la mise en œuvre de cette enquête, ni entendue dans le cadre de celle-ci, ne suffit pas à dire que le compte-rendu de l’enquête confié à l’employeur par un organisme extérieur constitue un moyen de preuve déloyal et par-là, illicite.
Car en effet, selon l’interprétation de la Cour de cassation, une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail.
Cette décision est importante en ce qu’elle a été rendue sur une question jamais abordée auparavant.
Néanmoins, d’autres décisions avaient déjà été rendues sur le champ d’application de l’article L.1222-4 du code du travail, selon lesquelles un audit interne comme il était le cas en l’espèce, ne relevait pas de ce texte (Cass. Soc., 26 janvier 2016, n°14-19.002), car il ne s’agit nullement d’un dispositif illicite tel que mentionné par l’article.
Toutefois, cette décision se démarque tout particulièrement en ce qu’elle assimile l’enquête interne, non pas comme une conséquence de la dénonciation de faits de harcèlement moral, mais comme relevant du pouvoir de contrôle de l’employeur sur le salarié à qui sont seulement reprochés ces faits.
De cette manière, si en l’espèce la décision apparaît plutôt favorable pour les salariés destinataires des propos racistes et discriminatoire débités par la salariée mise en cause, une certaine mise en perspective s’impose.
En effet, la mise en place de ces enquêtes et la manière dont elles sont conduites sans que le salarié, objet des dénonciations, en soit informé au préalable, n’accordent-elles pas à l’employeur un certain élargissement de ses pouvoir quelque peu discrétionnaire ?
De même, cette décision ne va-t-elle pas au-delà du principe de contradiction et de loyauté dans l’administration de la preuve dans la mesure où elle ne permet pas au salarié dénoncé d’apporter des éléments pour sa défense avant l’enquête ?
Il conviendra à la jurisprudence de se positionner sur ces questions.
Sources :
C.cass., 17 mars 2021, n°18-25.597
Frédéric CHHUM, Avocat à la Cour et Membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Sarah BOUSCHBACHER juriste
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
e-mail : chhum@chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr
.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300
.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644
.Lille: 25, rue Gounod 59000 Lille tel: 0320135083