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Harcèlement sexuel : licenciement pour inaptitude nul lorsque la salariée, responsable des achats, a subi un harcèlement sexuel (CPH Nantes 20 janvier 2022)

Publié le 11/06/2022 Vu 3 864 fois 0
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Dans un jugement du 20 janvier 2022 (n°20/00304), le Conseil de prud’hommes de Nantes juge nul le licenciement pour inaptitude d’une salariée, responsable des achats, ayant subi un harcèlement sexuel.

Dans un jugement du 20 janvier 2022 (n°20/00304), le Conseil de prud’hommes de Nantes juge nul le licenciem

Harcèlement sexuel : licenciement pour inaptitude nul lorsque la salariée, responsable des achats, a subi un harcèlement sexuel (CPH Nantes 20 janvier 2022)

 

Dans un jugement du 20 janvier 2022 (n°20/00304), le Conseil de prud’hommes de Nantes juge nul le licenciement pour inaptitude d’une salariée, responsable des achats, ayant subi un harcèlement sexuel en affirmant que « les gestes déplacés et l’insistance de Monsieur W, alors que Madame O a refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui, à plusieurs reprises, sont constitutifs d’agissements répétés et non consentis qui ont conduit à un mal être croissant et à une souffrance de Madame O ».

La salariée, responsable des achats, a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes de Nantes.

Faits et procédure

Madame O a intégré la société ENGIE ENERGIE SERVICES en qualité de responsable des achats, au sein de l’établissement de Puteaux par contrat à durée indéterminée signé le 27 avril 2015.

En décembre 2017, Madame O intègre ELECTRABEL, une filiale d’ENGIE, puis le 1er juin 2018, elle rejoint la Direction régionale centrale Ouest d’ENGIE ENERGIE SERVICES à Noyal Châtillon, en qualité de responsable des achats.

Lors d’un séminaire manager, les 21 et 22 juin 2018, Monsieur W, responsable commercial, s’introduit dans la chambre d’hôtel de Madame O et tente de passer la nuit avec elle.

Madame O repousse Monsieur W et refuse ses avances.

Monsieur W quitte la chambre.

S’ensuivent des échanges par SMS, que Monsieur W initie, jusqu’au 31 juillet 2018, dans lesquels Monsieur W insiste auprès de Madame O et tente à nouveau de parvenir à ses fins.

Madame O lui oppose constamment un refus d’aller plus loin avec lui.

Madame O, vivant très mal la situation, informe son supérieur hiérarchique, Monsieur T, fin septembre 2018, du harcèlement sexuel et moral qu’elle dit subir de la part de Monsieur W depuis la nuit du 21 au 22 juin 2018, lors du séminaire manager.

Le 27 novembre 2018, Madame O est placée en arrêt maladie jusqu’au 2 janvier 2019, puis reprend le travail.

Le 25 février 2019, Monsieur C, responsable fonctionnel de Madame O, lance des invitations bimensuelles, appelées points commerce achats, entre Monsieur W et Madame O.

Ces rendez-vous sont fixés les 25 février 2019, 11 mars 2019 et 25 mars 2019.

Malgré la contestation de Madame O, les deux premiers points ont été maintenus par Monsieur C et se sont déroulés en sa présence.

Le 4 mars 2019, Madame O reçoit de la part de Monsieur T, son supérieur hiérarchique, une proposition de rendez-vous, partagé avec Monsieur N, le responsable RH de l’agence de Bretagne, pour faire le point sur la situation et évoquer une demande de rupture conventionnelle de Madame O.

Le 12 mars 2019, un entretien a lieu réunissant Madame O, son supérieur hiérarchique, Monsieur T et Monsieur N, le responsable RH de l’agence Bretagne.

Le 28 mars 2019, Madame O rencontre la médecine du travail pour lui faire part de son mal être.

Le médecin du travail préconise la mise en place du télétravail pour Madame O, de façon temporaire.

A cette même date, Madame O prend contact avec les membres du CHSCT pour leur faire part de la situation et de son mal être.

Le 29 mars 2019, le DRH Territoire Ouest d’ENGIE écrit à Madame O pour faire suite à l’entretien du 12 mars 2019.

Il s’étonne d’être informé tardivement des faits par rapport à leur date de déroulement, il informe que plusieurs actions ont été diligentées, que Monsieur T a été sollicité et que Monsieur W a été reçu.

Monsieur H explique qu’il n’est pas en mesure de caractériser la situation et renouvelle sa demande de communication des pièces démontrant la réalité des faits.

Le 30 mars 2019, Madame O écrit à la Direction Générale d’ENGIE ENERGIE SERVICE et à l’Inspection du Travail d’Ille et Vilaine pour leur relater les faits.

Le 2 avril 2019, les membres du CHSCT reçoivent d’une part, Madame O pour l’écouter et, d’autre part, prennent contact avec Monsieur C, le Directeur de l’agence Bretagne, à qui ils témoignent de leur étonnement de ne pas avoir été avertis plus tôt.

Le 3 avril 2019, les membres du CHSCT ont un entretien téléphonique avec Monsieur R, DRH ENGIE France et déontologue, qui les informe de la démarche de rencontre des deux protagonistes de l’affaire et de l’arrêt de travail de Madame O.

Le 3 avril 2019, Madame O est placée en arrêt maladie, jusqu’au 3 septembre 2019.

Le 5 avril 2019, le CHSCT émet un droit d’alerte, estimant que Madame O encourt des risques psychosociaux qui risquent de porter atteinte à sa santé.

Ce droit d’alerte est consigné le jour même sur le registre des dangers graves et imminents par le coordinateur santé sécurité du territoire.

Le 9 avril, l’Inspection du travail prend contact avec les membres du CHSCT.

Le 10 avril, Madame O est reçue par Monsieur R, DRH ENGIE France et déontologue.

Le 11 avril, Madame O informe l’Inspection du travail qu’elle a été reçue par Monsieur R.

Le 17 avril, Monsieur W est reçu par Monsieur R pour avoir sa version des faits.

Les élus CHSCT convoquent un CHSCT extraordinaire, le 25 avril 2019, au cours duquel ils regrettent d’avoir été informés tardivement, ils s’étonnent que Monsieur H n’ait pas compris le motif de la convocation de ce CHSCT extraordinaire, au vu de la situation connue de tous.

Les élus CHSCT indiquent avoir eu un entretien avec Monsieur D, le collaborateur de Monsieur W, mais pas avec Madame E, la collaboratrice de Madame O.

Monsieur H, de son côté, indique qu’une déclaration éthique a été réalisée auprès du DRG ENGIE France et déontologue, et que les démarches RH, déontologue et CHSCT sont quasi terminées.

A l’issue de ce CHSCT, les élus indiquent ne pas pouvoir statuer et rendre de conclusions, au vu des éléments en leur possession.

Le 25 avril 2019, Madame O transmet à Monsieur R les copies d’écran des SMS et autres éléments probants.

Le 2 mai 2019, Madame O fait part par email à Monsieur R de son désaccord face aux conclusions du CHSCT.

Le 7 mai 2019, Monsieur R transmet à Madame O sa synthèse des entretiens menés suite à l’alerte éthique dont il a été saisi et conclut à une tentative de séduction de Madame O par Monsieur W.

Le 21 juin 2019, Madame O se porte candidate au second tour des élections professionnelles du CSE du Territoire Ouest de ENGIE ENERGIE SERVICES.

Elle est nommée représentante de proximité le 26 juin 2019.

Le 3 juillet 2019, le coordinateur CGT du groupe ENGIE lance une alerte harcèlement sexuel et moral, estimant que l’enquête menée par le CHSCT est insuffisante et partiale.

Le 10 juillet 2019, Madame O effectue sa visite médicale de pré reprise.

A ce stage, il est envisagé une inaptitude médicale.

Le 31 juillet 2019, Monsieur R DRH ENGIE France et déontologue, engage une nouvelle analyse indépendante effectuée par le cabinet externe SIWA.

Les 2 et 3 août 2019, Madame O précise à Monsieur R et aux représentants du personnel qu’elle ne prendrait pas part à cette nouvelle enquête.

Le 16 août 2019, Monsieur W quitte l’entreprise au moyen d’une rupture conventionnelle.

Le 3 septembre 2019, l’avis d’inaptitude médicale de Madame O est rendu.

Le 13 septembre 2019, Monsieur H, DRH Territoire Ouest, écrit à la médecine du travail et lui demande de reconsidérer ses conclusions, au vu de nouveaux éléments du dossier, dont le départ de Monsieur W et le mandat de représentante de proximité de Madame O, élue pour 4 ans.

Le 18 septembre 2019, le médecin du travail confirme ses conclusions auprès de Monsieur H.

Par mail du 7 octobre 2019, Monsieur H demande au médecin du travail de lui confirmer qu’il peut bien proposer un poste dans la filière achat à Paris La Défense à Madame O.

Le médecin du travail répond le 14 octobre qu’il ne modifie pas ses conclusions et n’est pas en capacité de se prononcer sur un poste situé en dehors de sa zone de compétence géographique.

Madame O est convoquée à un entretien préalable à son licenciement le 13 novembre 2019.

Elle n’assistera pas à l’entretien prévu le 21 novembre 2019.

Le 13 novembre 2019, Madame O est convoquée à la réunion d’information consultation du CSE du 28 novembre 2019.

Le 25 novembre 2019, Madame O s’excuse de son absence auprès des membres du CSE lors de la réunion information consultation du CSE prévue le 28 novembre et leur précise son désaccord avec la note afférente à l’Ordre du jour de la réunion.

Le 28 novembre 2019, le CSE se tient et rend un avis défavorable au licenciement de Madame O.

Le 11 décembre 2019, ENGIE ENERGIE SERVICES demande l’autorisation de l’Inspection du travail pour licencier Madame O pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

Le 2 janvier 2020, Madame O écrit à l’Inspection du travail pour exprimer son désaccord et son mécontentement.

Le 30 janvier 2020, l’Inspection du travail donne son accord pour le licenciement de Madame O qui intervient le 10 février 2020.

Le 28 février 2020, Madame O dépose une plainte pénale à l’encontre de Monsieur W.

Le 30 avril 2020, Madame O saisit le Conseil de prud’hommes de Nantes des demandes précitées.

Le 20 janvier 2022, le Conseil de prud’hommes de Nantes, par jugement contradictoire :

-          Dit que le licenciement pour inaptitude médicale de Madame O est nul et de nul effet en raison du harcèlement sexuel subi et d’une gestion insuffisante de la situation par l’employeur ;

-          En conséquence, condamne la SA ENGIE ENERGIE SERVICES à verser à Madame O les sommes suivantes :

o   12.816,96 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

o   1.281,69 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

o   30.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

o   1.700 euros bruts à titre de rappel de prime variable pour l’année 2019 ;

o   170 euros bruts au titre des congés payés ;

o   1.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du Conseil, soit le 30 avril 2020, pour les sommes à caractère salarial et de la notification du présent jugement pour celles à caractère indemnitaire, les intérêts produisant eux-mêmes des intérêts conformément à l’article 1343-2 du Code civil ;

-          Ordonne la remise à Madame O d’un bulletin de salaire récapitulatif des sommes dues et d’une attestation Pôle emploi rectifiée, tous documents conformes au présent jugement, et ce sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour et jusqu’au 45ème jour suivant la notification du présent jugement ;

-          Dit que le Conseil de prud’hommes se réserve expressément le pouvoir de liquider cette astreinte provisoire, charge à la partie intéressée d’en formuler la demande au greffe ;

-          Limite l’exécution provisoire du présent jugement à l’exécution provisoire de droit définie à l’article R. 1454-8 du Code du travail et, à cet effet, fixe à 4.272,32 euros le salaire mensuel moyen de référence ;

-          Déboute Madame O de ses autres demandes ;

-          Déboute la SA ENGIE ENERGIE SERVICES de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

-          Condamne la SA ENGIE ENERGIE SERVICES aux dépens éventuels.

Au total, Madame O obtient la somme de 47.468,65 euros.

La salariée responsable des achats a intejeté appel du jugement.

1)      Sur la demande de dire que le licenciement pour inaptitude médicale de Madame O est nul et de nul effet en raison du harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime de la part de Monsieur W et du harcèlement moral subi de la part de son employeur

a)      Sur le harcèlement sexuel et moral subi de la part de Monsieur W et le harcèlement moral subi par son employeur

Le Conseil de prud’hommes de Nantes, dans son jugement du 20 janvier 2022 (n° RG 20/00304), rappelle les dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du Code du travail.

Pour rappel, le rôle du juge dans la preuve du harcèlement sexuel est le même que pour le harcèlement moral.

Cf notre article Harcèlement sexuel : office du juge devant le Conseil de prud’hommes et en appel (https://www.village-justice.com/articles/harcelement-sexuel-moral-office-juge-devant-conseil-prud-hommes-appel,36245.html).

Le Conseil de prud’hommes de Nantes affirme qu’en l’espèce, Madame O relate des faits et gestes déplacés qu’elle a subis de la part de Monsieur W lors du séminaire des 12 et 22 juin 2018.

Elle indique, lors d’un entretien avec son responsable Monsieur T, à l’automne 2018, que Monsieur W s’est introduit dans sa chambre, a tenté de l’embrasser, a posé ses mains sur ses fesses et a voulu s’allonger sur son lit en invitant Madame O à en faire de même, afin de passer la nuit avec elle.

Elle ajoute qu’à partir de son retour de congés, les relations de travail avec Monsieur W se sont dégradées, celui-ci étant vexé du refus persistant de Madame O.

Lors de la réunion CHSCT du 28 mars 2019, Madame O décrit de nouveau la même situation.

Madame O a dont été surprise et mal à l’aise de voir Monsieur W pénétrer dans sa chambre d’hôtel, se trouvant démunie pour lui faire comprendre de partir, d’autant plus que récemment arrivée dans l’entreprise, elle ne le connaissait que depuis 2 ou 3 semaines et devait entretenir avec lui des relations professionnelles régulières en tant que responsable des achats.

Elle a donc cherché à l’éconduire sans mettre en péril sa relation professionnelle avec lui et sa place au sein de l’entreprise.

Pour autant, Madame O a gardé son calme et est parvenue, au terme d’échanges qui ont duré plus d’une heure, à lui faire quitter sa chambre.

Cependant, entre temps, Monsieur W aura tenté de l’embrasser, aura posé ses mains sur ses fesses, aura insisté pour rester dormir avec elle.

Ces gestes et intentions à connotation sexuelle ont été suivis de messages insistants et répétés jusqu’aux congés d’été de Madame O, dans lesquels Monsieur W, pourtant éconduits par Madame O, insistait afin de parvenir à ses fins.

Ces messages proposaient de réévoquer ce qui s’était passé la nuit du 21 au 22 juin 2018, traduisaient un souhait insistant de Monsieur W d’avoir une relation avec Madame O, proposaient d’aller au restaurant pour en parler.

Lorsqu’il a été interrogé, Monsieur W a reconnu s’être retrouvé dans la chambre de Madame O, avec elle, avoir tenté de l’embrasser et avoir eu l’intention de passer la nuit avec elle.

Il a également reconnu être resté pendant 1 heures 30 dans la chambre et que Madame O l’a repoussé calmement et a décliné toute relation sentimentale avec lui.

En conclusion, les gestes déplacés et l’insistance de Monsieur W, alors que Madame O a refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui, à plusieurs reprises, sont constitutifs d’agissements répétés et non consentis qui ont conduit à un mal être croissant et à une souffrance de Madame O.

Le Conseil de prud’hommes de Nantes dit ainsi que Madame O a subi du harcèlement sexuel à partir du 21 juin et jusqu’à l’automne 2018 et que de ce fait, son licenciement pour inaptitude doit être considéré comme nul.

En conséquence, le Conseil de prud’hommes de Nantes condamne la SA ENGIE ENERGIE SERVICES à verser à Madame O les sommes suivantes :

-          12.816,96 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

-          1.281,69 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

-          30.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul.

b)      Sur le harcèlement moral subi de la part de Monsieur W et par son employeur

Le Conseil de prud’hommes de Nantes, rappelle en premier lieu les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail.

-          Sur le harcèlement moral subi par Madame O de la part de Monsieur W

Les conseillers prud’homaux affirment qu’en l’espèce, Madame O prétend qu’elle a subi du harcèlement moral de la part de Monsieur W.

Madame O fait valoir que suite à son refus d’avoir des relations sexuelles ou pour le moins extra professionnelles avec Monsieur W, ce dernier, vexé, lui a adressé un mail de reproches le 5 septembre 2018.

Ce mail, adressé en dehors des horaires de travail, visait le travail de Madame O qui aurait pu entraîner la perte de l’affaire IFREMER, affaire pour laquelle Monsieur W avait précédemment adressé un SMS à Madame O pour la remercier de son aide sur ce dossier.

Monsieur C lui-même, responsable fonctionnel de Madame O, reconnait que ce mail était déplaisant.

Le Conseil considère que le mail qu’a envoyé Monsieur W à Madame O le 5 septembre était maladroit et traduit son agacement d’avoir été éconduit.

Madame O qui, récemment arrivée dans l’entreprise, cherchait à s’intégrer et à tisser son réseau de connaissances et de relations professionnelles, écrit le 7 septembre à son ancienne collègue que Monsieur W avait déjà donné sa version des faits à tous ses commerciaux, dont il était le responsable, stigmatisant ainsi Madame O, qui se retrouvait nécessairement mise à l’écart par les commerciaux de l’équipe de Monsieur W.

Enfin, Madame O avait créé un groupe WhatsApp Afterwork et lancé une invitation à tous les commerciaux, y compris Monsieur W qu’elle n’avait pas voulu évincer de peur de se faire mal voir.

Le 27 novembre 2018, via WhatsApp, Madame O a finalement annulé l’évènement auprès du seul répondant à son invitation, constatant par-là même qu’aucun des commerciaux ne lui avait répondu, ce qui ne faisait que renforcer son sentiment d’isolement.

Deux autres témoignages viennent corroborer ces propos : Monsieur F parle d’une situation plus tendue qu’avant entre les deux protagonistes et Monsieur A évoque le fait qu’ils sont désormais agacés alors que la relation était cordiale.

L’enquêteur externe du cabinet SIWA a relevé une concomitance entre les faits de harcèlement et des questions directement liées au travail, et indique que la souffrance de Madame O face à cette solitude, cette impression d’être stigmatisée et ce sentiment de trahison, est bien réelle.

En conséquence, le Conseil dit que Madame O n’a pas subi de harcèlement moral de la part de Monsieur W, mais qu’elle s’est sentie incomprise et non considérée, puis mise à l’écart.

-          Sur les manquements de l’employeur dans la réactivité et la prise en compte du mal être de Madame O

Madame O fait valoir des manquements de son employeurs dans la réactivité et la prise en compte de son mal être.

En premier lieu, elle s’est confiée à Monsieur T, responsable achats et son supérieur direct, dès la fin du mois de septembre 2018, comme le rapporter Monsieur R, DRH d’ENGIE France, dans son compte rendu du 30 juin 2019.

Or, Monsieur T, informé de la situation à cette date, n’escalade par les informations auprès de sa hiérarchie.

Monsieur C ne découvrira la situation que le 22 février 2019.

Monsieur T n’a pas plus pris en considération la situation, lorsque Madame O, placée en arrêt maladie du 27 novembre 2019 au 2 janvier 2020, lui évoque la difficulté de la situation qu’elle vit et le besoin de « rester à l’écart du travail pour aller mieux », ni quand par mail, en date du 4 mars 2019, celle-ci sollicite son soutien et manifeste sa souffrance en parlant d’une situation intenable pour elle.

Pendant la première enquête menée par ENGIE ENERGIE SERVICES, plusieurs déséquilibres sont relevés.

Tout d’abord, l’auditeur de Monsieur W lui permet de relire son témoignage alors que Madame O n’a pas cette possibilité.

Puis, force est de constater que les autres femmes qui auraient pu témoigner, à savoir Madame U, membre du CODIR, Madame E et Madame Q, toutes deux collègues de Madame O, n’ont pas été appelées à témoigner.

Seuls des hommes ont été interrogés, ce qui déséquilibre les témoignages, et ce qu’a d’ailleurs relevé le CHSCT du 28 novembre 2019.

Le 1er mars 2019, Madame O a prévenu Monsieur C qu’elle n’acceptera pas de rendez-vous professionnel qui la conduirait à se retrouver seule avec Monsieur W.

Ce mail est resté sans réponse et n’a pas alerté Monsieur C quant au motif qui pouvait conduire Madame O à formuler cette demande, alors même qu’il était informé des faits de harcèlement sexuel depuis le 22 février.

Dans son mail du 8 mars 2019, qu’elle a adressé à Monsieur T, Madame O répète qu’elle est affectée par le ton que Monsieur C emploie avec elle.

De même, dans le SMS qu’elle a adressé le 2 avril 2019 à Monsieur T, elle s’interroge sur l’attitude de Monsieur C, qu’elle sent plus agressif et nerveux et employant un ton plus amer envers elle.

L’auditeur du cabinet SIWA, Monsieur B, le rapporte dans son enquête, évoquant le changement de comportement de ce dernier vis-à-vis de Madame O, avec une difficulté à aller au contact, un ton plus agressif et une demande formulée auprès de Madame O de « passer à autre chose ».

Monsieur C, parfaitement informé de la situation, s’en est agacé au lieu de mettre en place la procédure adaptée.

Alors même que son supérieur hiérarchique direct connaissait la situation depuis fin septembre 2018 que Monsieur C, son responsable fonctionnel, la connaissait depuis le 22 février 2019, qu’il en était même irrité, que Madame O a réexpliqué les faits face à Monsieur T, son supérieur hiérarchique direct, et à Monsieur N, responsable RH de l’agence Bretagne, le 4 mars 2019, puis le 12 mars 2019, la SA ENGIE ENERGIE SERVICES s’est bornée, à cette date, à écouter les deux protagonistes et à conserver un niveau de confidentialité intra agence.

C’est Madame O elle-même qui a pris contact avec la médecine du travail, le 28 mars 2019, et avec les élus de son entreprise et l’Inspection du travail, le 30 mars 2019.

Et ce n’est que le 29 mars 2019 que Monsieur H, DRH Territoire Ouest d’ENGIE, apparaît dans le traitement de l’affaire, s’étonnant lui-même d’être informé si tardivement.

La désignation tardive du référent harcèlement sexuel, lors du CSE du 26 juin 2019, soit plus d’un an après les faits, prouve également qu’ENGIE ENERGIE SERVICES n’avait pas mis en place de process adéquat pour traiter ce genre de situation et s’est retrouvée à devoir gérer dans l’urgence cette problématique de harcèlement sexuel.

Ainsi, les multiples actions diligentées tardivement, plus de 8 mois après les faits, sont propices à démontrer qu’ENGIE ENERGIE SERVICE s’est trouvé dans l’incapacité à faire face à cette affaire de harcèlement sexuel dont elle a tardé à faire cas et qu’elle ne sait pas gérer de façon conforme.

L’ensemble de ces éléments reste cependant inopérant pour justifier le harcèlement moral que Madame O prétend avoir subi de la part de son employeur.

Le Conseil dit que Madame O n’a pas subi de harcèlement moral, ni de la part de Monsieur W, ni de la part de son employeur, mais qu’elle a ressenti un manque total de considération de sa souffrance du fait de l’incapacité d’ENGIE à réagir et à mettre en place une procédure de prise en charge adéquate.

En conséquence, le Conseil de prud’hommes de Nantes dit que le licenciement de Madame O est nul et de nul effet du fait du harcèlement sexuel subi et d’une gestion insuffisante de la situation par l’employeur.

Considérant le harcèlement sexuel déjà indemnisé par la nullité du licenciement, le Conseil de prud’hommes de Nantes considère qu’il n’y a pas lieu à l’octroi de dommages et intérêts pour harcèlement, le préjudice n’étant pas distinct.

A noter que le harcèlement moral et la violation de l’obligation de sécurité peuvent justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

A lire ou relire Salariés, cadres, cadres dirigeants : harcèlement moral + violation de l’obligation de sécurité = résiliation judiciaire (https://www.village-justice.com/articles/moulin-rouge-salariees-obtiennent-une-resiliation-judiciaire-pour-harcelement,38289.html).

2)      Sur les dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs

Le Conseil de prud’hommes de Nantes considère que le préjudice subi par Madame O a déjà été indemnisé par la nullité du licenciement et qu’il n’y a donc pas lieu de verser des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de prévention de la santé et sécurité des travailleurs.

Il est en effet possible de cumuler l’indemnité pour manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur avec celle pour harcèlement lorsqu’existent des préjudices distincts.

Cf notre article Harcèlement sexuel au travail : panorama de jurisprudence en 2019/2020 (https://www.village-justice.com/articles/harcelement-sexuel-travail-panorama-jurisprudence-2019-2020,35693.html).

 3)      Sur le rappel de rémunération variable pour les années 2018 et 2019

Selon l’article 8 du contrat de travail de Madame O, cette dernière doit percevoir une part variable de rémunération attribuée selon les principes en vigueur dans l’entreprise en fonction des objectifs individuels fixés.

Cette part variable de rémunération peut varier de 0 % à 18 % (valeur à objectifs atteints de 13 % à 15 %).

En 2018, conformément à son contrat de travail, Madame O a perçu une rémunération variable s’élevant à 3.966 euros bruts, correspondant à 13% de son salaire annuel.

Le Conseil de prud’hommes de Nantes dit qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de rappel de rémunération variable pour 2018.

Ce n’est que le 23 avril 2019, via un mail que lui a adressé son supérieur hiérarchique, Monsieur T, que Madame O a pu prendre connaissance de ses objectifs chiffrés individuels pour 2019.

Or, Madame O n’a travaillé que jusqu’au 2 avril 2019.

Elle n’avait donc pas connaissance de ses objectifs lorsqu’elle a été placée en arrêt maladie.

Madame O a donc travaillé du 1er janvier au 2 avril 2019 sans que des objectifs individuels lui aient été fixés.

Conformément à l’article 8 de son contrat de travail, le Conseil de prud’hommes de Nantes dit que Madame O doit percevoir le minimum de rémunération variable, soit 13% de son salaire annuel, proratisé à ses trois mois de présence sur l’année 2019, soit 1.700 euros bruts, outre la somme de 170 euros bruts au titre des congés payés afférents.

 

4)      Sur les intérêts au taux légal

Les conseillers prud’homaux affirment que les intérêts au taux légal sur les condamnations ci-dessus sont de droit mais qu’il y a lieu de déterminer, en fonction de la nature des sommes allouées, la date à partir de laquelle ils doivent courir.

Que s’agissant des sommes à caractère salarial, il y a lieu de les accorder à compter de la date de la saisine du Conseil, soit le 30 avril 2020.

Que par contre, s’agissant des sommes à caractère indemnitaire, le Conseil de prud’hommes dit que les intérêts ne courront qu’à compter de la date de la notification du présent jugement.

Au visa de l’article 1343-2 du Code civil, le Conseil de prud’hommes dit que les intérêts dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts.

5)      Sur la remise des documents sociaux rectifiés, sous astreinte

Au regard de ce qui précède, le Conseil ordonne la remise à Madame O d’un bulletin de salaire récapitulatif des sommes dues et d’une attestation Pôle emploi rectifiée, tous documents conformes au présent jugement.

Attendu que tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision en vertu de l’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution.

Que l’astreinte est une condamnation pécuniaire destinée à prévenir la résistance du débiteur de l’obligation.

Qu’en vertu du troisième alinéa de l’article L. 131-2 du Code des procédures civiles d’exécution, une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte provisoire.

Que le Conseil de prud’hommes, dans la présente instance, n’a pas encore ordonné d’astreinte.

Le Conseil de prud’hommes dit ainsi qu’il y a lieu d’assortir la remise des documents sociaux cités ci-dessus d’une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour jusqu’au 45ème jour suivant la notification du présent jugement.

Dit que le Conseil de prud’hommes se réserve expressément le pouvoir de liquider cette astreinte provisoire, charge à la partie intéressée d’en formuler la demande au greffe.

6)      Sur les dépens

Le Conseil rappelle que l’article 696 du Code de procédure civile dispose que « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il condamne en conséquence la SA ENGIE ENERGIE SERVICES aux dépens éventuels.

7)      Sur les demandes principale et reconventionnelle formées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

Le Conseil faisant droit à certaines des prétentions de la partie demanderesse et condamne la partie défenderesse aux dépens, il y a lieu d’allouer à la partie demanderesse la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ce à quoi ne s’opposent ni l’équité, ni la situation économique de la partie défenderesse et de débouter cette dernière de sa demande formée au même titre.

8)      Sur l’exécution provisoire

La partie demanderesse sollicite l’exécution provisoire de la présente décision.

Le Conseil de prud’hommes, au regard de l’article R. 1454-28 du Code du travail qui énonce qu’est de droit l’exécution à titre provisoire le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, cette moyenne étant mentionnée dans le jugement, estime devoir, compte tenu de la nature de l’affaire, limiter l’exécution provisoire à celle de droit définie à l’article R. 1454-28.

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

Annaelle ZERBIB Juriste M2 DPRT Paris Saclay

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

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.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644

.Lille: : 45, Rue Saint Etienne 59000 Lille – Ligne directe +(33) 03.20.57.53.24

 

 

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