Dans un jugement du 26 février 2020, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny a condamné chacune des sociétés NEXTEER AUTOMOTIVE et PAGE PERSONNEL à payer chacune les sommes suivantes, au bénéfice du salarié, Ingénieur Qualité APQP lésée :
o 2.437,41 euros à titre d’indemnité de requalification
o 7.312,23 euros à titre du reliquat d’indemnité compensatrice de préavis
o 731,22 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis
o 584 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
o 2.437,41 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
o 750 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le salarié a obtenu un total de 28.504,54 euros bruts avec 11 mois et demi d’ancienneté.
Le jugement est définitif car les parties n’ont pas interjeté appel.
1) Rappel des faits et de la procédure
Monsieur X a été engagé par une société de travail temporaire PAGE PERSONNEL pour effectuer plusieurs missions de responsable qualité sous forme de CDD (en réalité des contrats de mission) dans la société NEEXTER AUTOMOTIVE pour accroissement temporaire d’activité.
Les 3 missions avec contrats et prolongations se sont enchaînées sans délai de carence, donc de façon continue pour se terminer 11 mois et demi plus tard, la société n’ayant pas souhaité engager Monsieur X alors même que son activité a été de tenir existant normalement et de façon récurrente dans cette société.
Monsieur X a de ce fait souhaité que ses contrats de mission qu’il considère comme étant des CDD se transforment en CDI du fait d’une activité permanente et régulière et en continu de presque 1 an.
La décision prise par la société en accord avec la société d’intérim de fixer une date de fin de contrat alors que le même jour ou presque elle décidait de le prolonger montre d’une parte une grande complicité de la part des 2 entités que l’on pourra considérer comme complice dans toutes les actions menées et que l’on pourra joindre dans les indemnités réclamées par Monsieur X.
Et de surcroît la non qualification de ses missions en CDI conduit à considérer la fin de son contrat comme étant un licenciement mais sans cause réelle et sérieuse.
C’est dans ces circonstances que Monsieur X a saisi le Conseil de Prud’hommes et sollicite :
- La requalification de sa relation de travail avec MICHAEL PAGE et NEXTEER AUTOMOTIVE en CDI ;
- Constater l’inconventionnalité du barème de l’article L.1235-3 du code du travail ;
- Condamner in solidum les sociétés à verser les sommes suivantes :
o 9.748 euros d’indemnité de requalification
o 32 281,80 euros au titre des heures supplémentaires et 3.228,18 € de congés payés afférents ;
o 10 088 € au titre de contrepartie obligatoire en repos et 1008 € de congés payés afférents ;
o 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire du travail (article L.3121-20 C.trav) ;
o 29 244 € au titre de d’indemnité de travail dissimulé (article L. 8223-1 C.trav)
o 10 000 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral (article L. 1152-1 C.trav) ;
o 5.000 € à titre subsidiaire pour exécution déloyale du contrat de travail ;
o 2.000 € à titre d’indemnité pour défaut des mentions obligatoires dans les avenants de détachement à l’étranger ;
o 14. 624,46 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1.462,44 € au titre des congés payés afférents ;
o 1.168 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
o 29 244 € au titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 4.000 € au titre de l’article 700 du CPC.
2) Sur la requalification en CDI
Le Conseil de Prud’hommes s’est appuyé sur plusieurs motifs pour requalifier les contrats de Monsieur X en CDI.
2.1) Sur le poste de Responsable Qualité relevant de l’activité normale et permanente de la société NEXTEER AUTOMOTIVE
Tout d’abord le Conseil de Prud’hommes a constaté que « Monsieur X a été engagé par la société MICHAEL PAGE INTERIM MANAGEMENT, société de travail temporaire en qualité de Responsabilité Qualité à compter du 15 juin 2017 et jusqu’au 1er juin 2018, dans le cadre de 3 contrats de mise à disposition et non pas CDD comme l’affirme Monsieur X pour accroissement temporaire d’activité, étant précisé que les 2 derniers contrats de mise à disposition ont fait l’objet de prolongation et que la période totale d’activité de Monsieur X dans cette société a été de 11 mois et demi.
Attendu que Monsieur X estime avoir effectué 3 CDD et non pas 3 contrats de mise à disposition, qu’l n’y avait eu aucun délai de carence entre chaque mission et qu’en réalité son emploi relevait de l’activité normale et permanente de la société et qu’en conséquence il devait être intégré en CDI dans la société NEXTEER AUTOMOTIVE. «
2.2) Sur le non-respect des délais de carence : motif de requalification en CDI
Le Conseil des Prud’hommes dans son jugement du 26 février 2020 a rappelé que l’article L.1251-16 du Code du travail énonce que le contrat de mission doit être établi par écrit et qu’il doit contenir au minimum les 2 critères suivants :
- La qualification professionnelle du salarié ;
- Les modalités de la rémunération due au salarié, y compris celles de l’indemnité de fin de mission prévue à l’article L.1251-32.
Le Conseil a précisé que :
« En réalité la qualification de Monsieur X était erronée : il était « ingénieur qualité APQP » et non pas « responsable qualité » ; ceci n’a pas eu d’influence sur sa rémunération mais n’est pas acceptable dans un contrat de mission et peut justifier une requalification en CDI en l’absence de la réelle qualification.
Attendu que la société MICHAEL PAGE ne démontre pas que le contrat signé entre les 2 parties ai été envoyé dans le délai de 2 jours suivant l’embauche le 15 juin 2017 comme le code du travail – article L.1242-13 l’oblige puisque Monsieur X ne l’a reçu par courriel que le 19 juin et qu’en conséquence le non-respect de cette obligation entraîne la requalification du contrat de mission en CDI.
2.3) Sur l’absence des mentions obligatoires des contrats de mission : motif de requalification en CDI
Enfin le Conseil de Prud’hommes a retenu la carence des mentions obligatoires comme motif de requalification :
« Attendu que la société MICHAEL PAGE n’a pas respecté les délais de carence entre 2 contrats de mission pour accroissement temporaire d’activité comme l’oblige l’article L. 1251-35 du code du travail et qu’elle justifie cela par le fait qu’il s’agissait à chaque fois d’un poste et d’un motif d’accroissement d’activités différents.
Or les contrats de mission sont rédigés de façon identique : le poste et le motif d’accroissement temporaire d’activité sont les mêmes.
Attendu que les 2 sociétés- MICHAEL PAGE et NEXTEER AUTOMOTIVE- sont complices dans leurs actions vis-à-vis de Monsieur X :
Les 2 sociétés ne respectent pas les délais de carence ; au contraire, les contrats de mission et les avenants de prolongation se sont enchaînés les uns derrière les autres pour au final faire travailler Monsieur X sur une période continue de 11 mois et demi.
Monsieur X a été employé durant cette période continue pour un même emploi d’Ingénieur Qualité APQP – cet emploi relève de l’activité normale et permanente de l’entreprise et la société NEXTEER AUTOMOTIVE est dans l’incapacité de justifier d’un surcroît temporaire d’activité puisque les fonctions d’ingénieur qualité APQP sont mises en œuvre de manière permanente par la société s’agissant de la planification des processus qualité de la création, la production et la livraison du produit aux clients de la société.
Les avenants de détachement transmis à Monsieur X étaient illicites dès lors qu’ils ne comportaient pas toutes les mentions obligatoires ce qui entrainera la requalification des contrats de mission en CDI. »
3) Sur l’indemnité de requalification
Le Conseil de Prud’hommes a indiqué que la requalification des contrats de mission de Monsieur X l’obligeait « à lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire » (article L. 1251-41 du code du travail).
Par ailleurs l’article L. 1251-2 du code du travail précise, « si le Conseil de Prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité à charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. »
« Compte tenu de l’implication compte tenu de l’implication conjointe des 2 sociétés (PAGE et NEXTEER dans la gestion de l’activité de Monsieur X, le Conseil obligera chaque société à verser à Monsieur X 50% d’un mois de salaire soit la somme de 2.437,41 euros au titre d’indemnité de requalification. »
4) Sur la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Dans son jugement du 26 février 2020 le Conseil de Prud’hommes de Bobigny a jugé que la rupture de la relation devait s’analyser en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
« Attendu que par courriel du 23 mai 2018 la société MICHAEL PAGE informait Monsieur X que la société NEEXTER AUTOMOTIVE avait mis un terme à sa mission et qu’en conséquence, ses fonctions avaient cessé le 22 mai 2018.
La Conseil ajoute : cela signifiait la rupture de son contrat de travail au sein de cette société et devait s’analyser en licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de l’absence de respect des règles d’ordre public sur le licenciement (article L.1232-2 et suivants du Code du travail). »
5) Sur les indemnités du fait de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
Enfin le Conseil a attribué à Monsieur X les indemnités suivantes :
« La requalification des contrats de mission de Monsieur X en contrat CDI n’ayant pas été effectué et la procédure de licenciement n’ayant pas été mise en œuvre, Monsieur X est en droit d’obtenir les indemnités ci-dessous du fait que la rupture de son contrat de travail doit s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 14.624,46 euros qui sera partagée moitié moitié par chacune des 2 entités soit 7.312,23 euros et les congés payés y afférents pour un total de 1.462,46 euros soit 731,22 euros par société.
- Une indemnité légale de licenciement total de 1.168 euros à payer 50/50 soit 584 euros par entité.
- Monsieur X ayant subi un préjudice moral, professionnel et économique du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse se verra attribué une somme de 4.874,82 euros à partager in solidum par les 2 sociétés soit un montant de 2.437,41 euros. »
6) Sur les autres demandes
Le salarié a été débouté de ses autres demandes par le Conseil de Prud’hommes de Bobigny, à savoir dissimulation d’emploi salarié, contrepartie obligatoire en repos, non-respect de la durée maximale de travail quotidienne et hebdomadaire, harcèlement moral, qui a considéré qu’elles n’étaient ni justifiées ni démontrées par Monsieur X.
Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Marion Simoné Elève avocat EFB Paris
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