La rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
1) Faits et procédure
La société Teleparis a employé Mme X à compter du 17 janvier 2006 dans le cadre de contrats à durée déterminée d'usage successifs en qualité de chef maquilleuse statut cadre. Le dernier contrat s’est terminé le 17 juin 2019.
La société Teleparis est une société de production d’émissions destinées à être diffusées
à la télévision.
La société Teleparis occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la fin des relations contractuelles.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la production audiovisuelle.
Le 11 juin 2020 Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d'une demande de requalification de ses contrats à durée déterminée d'usage successifs en contrat
à durée indéterminée et de la rupture de sa collaboration en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 20 octobre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante :
« Requalifie les contrats à durée déterminée successifs de Madame X
en contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter du 17 janvier 2006.
Fixe le salaire mensuel à 815,44 € bruts.
Dit et juge que la survenance du dernier contrat à durée déterminée d'usage s'analyse en
un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamne la société TELE PARIS à verser
à Madame X, les sommes suivantes :
- 1 630,88 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 163,08 € au titre des congés payés afférents
- 2 854,04 € au titre d'indemnité légale de licenciement
- 5 000 € à titre d'indemnité de requalification avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement et jusqu'au jour du paiement.
Ordonne à la société TELEPARIS la remise à Madame X l'attestation employeur Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes au présent jugement sous 30 jours à compter de la notification du jugement, sans pour autant l'assortir d'une astreinte.
Rappelle qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du Code du Travail, ces condamnations sont
exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire
calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme
de 815,44 €.
- 8 969,84 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement.
- 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Déboute Madame X du surplus de ses demandes.
Déboute la société TELEPARIS de sa demande reconventionnelle.
Condamne la partie défenderesse au paiement des entiers dépens. »
La société Teleparis a formé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie
électronique le 18 janvier 2021.
2) Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 juillet 2023 (Pole 6 chambre 6)
Dans son arrêt du 5 juillet 2023, la cour d’appel de Paris :
. Confirme le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a requalifié la relation en
contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 janvier 2006, a dit que la rupture
des relations contractuelles s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
a condamné la société Teleparis à payer à Mme X la somme de 5 000
euros à titre d’indemnité de requalification et celle de 1 000 euros au titre des frais
irrépétibles,
. L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
. Requalifie la relation en contrat de travail à temps plein,
. Condamne la société Teleparis à payer à Mme X les sommes suivantes :
- 1 896,66 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 189,66 euros au titre des congés payés afférents,
- 3 466,16 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
- 10 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Dit que les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la
réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de
conciliation du conseil de prud'hommes les dommages et intérêts alloués à compter de
la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article
1343-2 du code civil,
. Condamne la société Télé Paris à remettre à Mme X un bulletin de paie
récapitulatif, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent
arrêt dans le délai d’un mois et dit n’y avoir lieu à astreinte,
. Ordonne à la société Télé Paris de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de
chômage versées à Mme X , du jour de son licenciement au jour du
prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,
. Condamne la société Télé Paris aux dépens,
. Condamne la société Télé Paris à payer à Mme X la somme de 2 000
euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
2.1) Sur la requalification des contrats à durée déterminée
L’article L. 1242-2 du code du travail dispose que : “sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :...
3° Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Lorsque la durée du contrat de travail est inférieure à un mois, un seul bulletin de paie est émis par l'employeur ;”
L’article D 1242-1 désigne les secteurs dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, parmi lesquels le secteur de l’audiovisuel.
La fonction de chef maquilleur figure dans la liste des fonctions prévues par l’accord collectif pour laquelle il est d’usage de recourir à CCD d’usage, ce qui résulte des textes successifs de la profession et notamment de la liste de l’accord inter-branche du 12 octobre 1998.
Mme X fait valoir que la société Téléparis ne justifie pas que son emploi avait un caractère par nature temporaire, alors qu’elle a exercé les mêmes fonctions pendant plus de treize années.
En cas de contestation sur le motif du recours au CDDU, il incombe à l’employeur de démontrer que les conditions en étaient remplies.
La société Téléparis produit un tableau indiquant la liste des contrats pour lesquels un
CDDU a été conclu avec Mme X depuis le mois de janvier 2006, qui précise le nom de l’émission concernée par le contrat. Une liste similaire est versée : elle recouvre les années 2010 à 2019 avec le nom d’autres personnes avec lesquelles un CDDU a été conclu pour la fonction de chef maquilleuse, avec des noms d’émission similaires.
L’appelante verse aux débats des articles de presse qui indiquent que la principale émission
“Salut les Terriens” a pris fin en 2019, la dernière émission ayant été diffusée le 15 juin.
Ces éléments sont partiels et ne justifient pas de l’activité globale de la société Teleparis.
Ils ne permettent pas de démontrer que l’activité de Mme X au sein de l’entreprise était temporaire, compte tenu de l’activité principale de production audiovisuelle qui était exercée. L’appelante indique que la durée des différents programmes était limitée, sans en justifier par des éléments versés aux débats.
Le fait que Mme X ait exercé pour d’autres employeurs sur la même période ne justifie pas du caractère temporaire de ses missions.
La relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, depuis le premier CDDU irrégulier, soit le 17 janvier 2006. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Mme X demande une requalification à temps plein. En l’absence de contrat écrit et donc de respect des formalités du contrat de travail à temps partiel, le contrat de travail est présumé à temps plein. La société Teleparis ne démontre pas que Mme X connaissait son emploi du temps et qu’elle n’avait pas à se tenir à sa disposition. La relation de travail doit être requalifiée à temps plein.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
La société Teleparis doit être condamnée au paiement de l’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, tel que résultant de la requalification à temps plein.
Le taux horaire du dernier contrat de travail était de 25 euros. Le salaire mensuel de
Mme X à prendre en compte est ainsi de 3 791,75 euros.
Compte tenu de l’ancienneté de Mme X et des conditions d’activité, le conseil de prud’hommes a justement évalué à la somme de 5 000 euros le montant de l’indemnité de requalification.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
2.2) Sur le licenciement
La fin des relations contractuelles s’analyse en un licenciement qui, faute d’avoir respecté les conditions de fond et de forme, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Mme X est fondée à demander le paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, l’indemnité de licenciement et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La durée de préavis étant de deux mois, dans les limites de la demande, la société
Teleparis doit être condamnée à payer à Mme X la somme de 1 896,66 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 189,66 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
L’article R 1234-2 du code du travail dispose que “L’indemnité de licenciement ne peut
être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.”
Le salaire de référence à prendre en compte est la moyenne la plus favorables des trois derniers mois ou des douze derniers mois perçus.
Mme X fait justement valoir que la moyenne des trois derniers mois est la plus favorable, soit 948,33 euros. La société Teleparis sera condamnée à lui payer la somme de 3 466,16 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
L’article L.1235-3 du code du travail dispose que :
“Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.
Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9.
Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles
L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au présent article.”
Mme X avait une ancienneté de treize années au moment de la rupture des relations contractuelles. L’indemnité doit ainsi être comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire.
Compte tenu de son âge et du salaire moyen qui était perçu, le montant de l’indemnité sera fixé à la somme de 10 000 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
En application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail la société Teleparis doit être condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.
Il sera ajouté au jugement entrepris.
2.3) Sur la remise des documents
La remise d’un bulletin de paie récapitulatif conforme, d’une attestation destinée à Pôle
Emploi rectifiée et d’un certificat de travail sera ordonnée dans le délai d’un mois suivant la signification de la décision. Il n’y a pas lieu à ordonner d’astreinte.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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