Le Conseil de prud’hommes de Paris considère que le licenciement pour inaptitude du journaliste Grand Reporter de France Télévisions est, en réalité, un licenciement verbal et donc privé de cause réelle et sérieuse.
Le jugement est définitif car les parties n’ont pas interjeté appel.
1) Faits
Le 29 mars 2021, Monsieur X a été victime d’un accident du travail, reconnu comme tel par la sécurité sociale.
Ainsi, alors que Monsieur X filmait le fond d’un puits dans le cadre d’un tournage sur le chantier de fouilles archéologiques de la place Nationale à Montauban, il a ressenti une violente décharge dans le bas du dos en relevant la caméra.
Il est ensuite resté bloqué, avec des douleurs dans toute la colonne vertébrale.
Suite à cela, Monsieur X a été placé en arrêt de travail pour accident du travail, et ce jusqu’au 22 octobre 2021.
Le 6 septembre 2021, Monsieur X a été informé que son état de santé était considéré comme « guéri » par le médecin de l’assurance maladie à compter du 5 septembre 2021.
Monsieur X n’ayant jamais été examiné par le médecin de l’assurance maladie, il a contesté cette décision.
Le 9 septembre 2021, Monsieur X a été reçu par le médecin expert désigné par la sécurité sociale, qui a conclu à la consolidation de son état de santé au 5 septembre 2021 et non plus à sa guérison.
Aussi, il était reconnu par le Médecin expert que l’accident du travail de Monsieur X avait laissé des séquelles.
Le 4 octobre 2021, le médecin du travail a déclaré Monsieur X inapte à son emploi de Grand Reporteur, Palier 2.
Toutefois, le médecin du travail précisait qu’un reclassement de Monsieur X au sein de France Télévisions était envisageable sur « un poste de type administratif, avec alternance assis-debout ».
En outre, le 5 octobre 2021, le médecin du travail a remis à Monsieur X un formulaire de demande d’indemnité temporaire d’inaptitude mentionnant expressément le lien entre l’accident du travail et l’inaptitude. Monsieur X bénéficiant à cette période de congés payés, il n’a pas souhaité demander d’indemnité à la sécurité sociale.
Le 13 décembre 2021, France Télévisions a proposé à Monsieur X d’effectuer un bilan de compétence, pris en charge par la société. Monsieur X a accepté cette proposition, dans la mesure où elle avait vocation à permettre d’apprécier quels pouvaient être les emplois correspondant à son profil.
Par courrier du 21 février 2022, France Télévisions a proposé à Monsieur X un poste de reclassement sur l’emploi de Chargé de gestion administrative.
Toutefois, monsieur X a été contraint de refuser cette proposition, au regard de la régression professionnelle que cela impliquait pour lui, dès lors qu’il exerçait les fonctions de journaliste depuis 38 ans.
En effet, l’emploi de Chargé de gestion administrative proposé correspondait à un emploi de catégorie « Technicien supérieur », aux antipodes du profil professionnel de Monsieur X.
Le 4 avril 2022, Monsieur X a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour inaptitude, qui s’est tenu le 14 avril 2022.
Par courrier reçu le 25 avril 2022, Monsieur X a été licencié pour inaptitude.
C’est dans ces conditions que monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes de paris, par l’intermédiaire de son conseil, d’une demande de requalification de son licenciement en licenciement nul.
2) Argumentaire du demandeur
Monsieur X fait plaider par son Conseil :
Que sur la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement nul, et sur le non-respect par FRANCE TELEVISIONS des dispositions relatives au licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle, l’inaptitude de Monsieur X a, au moins partiellement, pour origine son accident du travail.
Que pour tenter d’échapper aux dispositions relatives au licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle, FRANCE TELEVISIONS tente de faire un lien entre l’inaptitude de Monsieur X et une « dégradation très ancienne » de son état de santé.
Qu’en l’espèce, il ne fait nul doute que l’accident du travail de Monsieur x a, a minima, aggravé son état de santé, le médecin du travail reconnaissant le lien entre cet accident et l’inaptitude.
Que ce n’est toutefois qu’à la suite de son accident de travail que Monsieur X a été déclaré inapte.
Que FRANCE TELEVISIONS prétend que la consolidation de l’état de santé de Monsieur X exclurait tout lien entre son accident du travail et son inaptitude.
Que le 15 avril 2022, le planning prévisionnel du bureau régional d’information de Toulouse pour la période du 18 au 24 avril 2022a été diffusé à 16h39.
Que ce planning, visible par l’ensemble des salariés de la rédaction, mentionnait Monsieur x en « indisponibilité » pour la période du 18 au 21 avril 2022.
Qu’en revanche, à compter du 22 avril 2022, plus aucune mention n’apparaissait sur le planning de Monsieur X.
Qu’il ne fait nul doute que Monsieur X a été informé de son licenciement dès le 21 avril par Madame Y, assistante RH.
Que le Conseil appréciera que partant, son licenciement est nul.
Que FRANCE TELEVISIONS n’a pas respecté son obligation de reclassement.
Que le Conseil constatera que FRANCE TELEVISIONS emploie plus de 9 000 salariés répartis dans la France entière.
Que pour autant, FRANCE TELEVISIONS n’a effectué qu’une seule proposition de reclassement à Monsieur X.
Que cette proposition ne correspondait pas aux capacités et à l’expérience de Monsieur X, pourtant reconnues par FRANCE TELEVISIONS.
Que FRANCE TELEVISIONS ne saurait affirmer qu’il n’était pas possible de proposer ces postes à Monsieur X car pourvus « après son licenciement », alors même que ces emplois font l’objet d’une consultation plusieurs mois avant d’être publiés et pourvus.
Qu’en outre, FRANCE TELEVISIONS ne démontre pas avoir procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement.
Que FRANCE TELEVISIONS n’ayant pas respecté son obligation de reclassement, le Conseil requalifiera le licenciement pour inaptitude de Monsieur X en licenciement nul.
Qu’à titre subsidiaire, et si par extraordinaire le Conseil ne retenait pas le caractère professionnel de l’inaptitude, il condamnera FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur X la somme de 107 347 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Que le Conseil de prud’hommes ordonnera l’exécution provisoire sur l’intégralité du jugement conformément à l’article 515 du Code de procédure civile.
Que monsieur X a dû engager des frais irrépétibles qui devraient être inéquitables de laisser à sa charge.
Qu’il conviendra en conséquence de condamner FRANCE TELEVISIONS au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
3) Motivation du jugement du 25 aout 2023 du conseil de prud’hommes de Paris
Le Conseil de prud’hommes de Paris statuant publiquement, par jugement contradictoire en premier ressort :
. Condamne la SA FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur X les sommes suivantes :
- 55 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
. Ordonne à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités versées au salarié à hauteur de 19 500 euros.
. Déboute Monsieur X du surplus de ses demandes.
. Déboute FRANCE TELEVISIONS de sa demande reconventionnelle.
. Condamne FRANCE TELEVISIONS au paiement des entiers dépens.
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Considérant que Monsieur X ne vient établir aucun motif de nullité, le Conseil le déboutera de sa demande en nullité.
Attendu que la société FRANCE TELEVISIONS reconnaît dans ses écritures que le licenciement avait bien été annoncé par téléphone à Monsieur X.
Considérant ces éléments, le Conseil dira la rupture sans cause réelle et sérieuse.
Attendu qu’en conséquence Monsieur X était fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamne la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer la somme de 55 000 euros au titre de ce chef de demande.
Attendu en fonction de la décision prise, que le Conseil accordera la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu l’article L1235-4 du code du travail, le conseil ordonnera à la société FRANCE TELEVISIONS de procéder au remboursement des allocations Pôle Emploi à hauteur de 19 500 euros.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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