La journaliste de France Télévisions obtient la requalification de ses 29 ans de CDD en CDI à temps complet avec reprise d’ancienneté au 17 avril 1995.
Elle obtient également une indemnité de requalification de CDD en CDI de 10 000 euros et une indemnité de 2 806 euros pour transmission tardive des contrats.
Elle obtient un rappel de salaire pendant les périodes interstitielles de 90.620,88 euros bruts et 9.062,08 euros bruts à titre de congés payés afférents.
Elle est déboutée de sa demande de rappel de salaires pour inégalité de traitement.
1) EXPOSE DU LITIGE
Madame X a été engagée par la SA France Télévision en qualité de journaliste reporter d’images à compter du 17 avril 1995 dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée de remplacement de salariés absents et d’usage.
Elle a travaillé au sein de la société France Télévision chaque année depuis 1995, sauf entre 1996 et 1998 et entre 2009 et 2010.
La relation de travail se poursuit à l’heure actuelle.
Estimant que celle-ci devait être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, Madame X a saisi le conseil de prud’hommes pour solliciter la requalification des contrats de travail à durée déterminer en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 17 avril 1995 en qualité de journaliste spécialisée et subsidiairement, en qualité de journaliste reporter d’images et son intégration sous contrat de travail à durée indéterminée à temps plein au sein du pôle de Rennes de la société France Télévisions moyennant une rémunération annuelle de 38.916 euros et subsidiairement , de 35.284 euros et la condamnation de la société France Télévision à lui payer des rappels de salaire au titre d’une inégalité de traitement et des périodes inter contrats, ainsi qu’une indemnité de requalification.
Lors de l’audience de départage, Madame X a fait valoir qu’elle avait remplacé des salariés ayant une qualification et un niveau hiérarchique supérieur sans percevoir le salaire correspondant, ce qui constituait une inégalité de traitement. Elle a par ailleurs soutenu que la société France Télévisions ne justifiait pas des motifs de recours aux contrats de travail à durée déterminée conclus entre les parties depuis l’origine de la collaboration et qu’en tout état de cause, elle occupait un emploi relevant de l’activité normale et permanente de la société France Télévisions, de sorte que la relation de travail devait être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée avec une intégration au poste de journaliste spécialisé et subsidiairement, de journaliste reporter d’images, que le contrat devait être en outre considéré à temps plein dès lors que la société France Télévisions n’établissait pas la durée de travail convenue et qu’elle était à la disposition permanente de la société France Télévisions qui était son unique employeur. A titre subsidiaire, elle a sollicité la poursuite de la relation de travail à temps partiel. Elle a exposé les nombreuses candidatures qu’elle avait déposées en vain depuis 2020. Ses demandes sont précisées ci-dessous.
En défense, la société France Télévisions a sollicité le rejet des demandes. Elle a contesté le fait que Madame X occupait un emploi relevant de son activité normale et permanente et fait valoir que les contrats de travail à durée déterminée étaient réguliers. Elle a également contesté le fait que la salariée se tenait à sa disposition pendant les périodes interstitielles. A titre subsidiaire, elle a sollicité que l’indemnité de requalification soit réduite et que la relation de travail se poursuive dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel aux fonctions de journaliste reporter d’images avec une ancienneté au 27 juillet 2011 et subsidiairement au 1er septembre 2000, à raison de 72 heures mensuelles et pour un salaire de référence de 1.396,65 euros.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties à l’audience de départage du 13 septembre 2024 pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties à l’audience de départage du 13 septembre 2024 pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION
Par jugement du 6 novembre 2024, le Conseil de prud’hommes de Paris, présidé par le juge du départiteur statuant seul après avis des conseilleurs présents, publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, rendu par mise à disposition au greffe.
REQUALIFIE la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein le 17 avril 1995 ;
DIT que le contrat de travail de Madame X en qualité de journaliste reporter d’images se poursuit ;
FIXE le salaire mensuel brut de Madame X à la somme de 2.806 euros ;
CONDAMNE la SA France Télévisions à payer à Madame X les comme de :
· 90.620,88 euros bruts à titre de salaire pour la période du 15 juillet 2019 au 30 juin 2024,
· 9.062,08 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
· 10.000 euros nets à titre de l’indemnité pour transmission tardive de contrats,
· 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les condamnations à caractère salarial porteront intérêt aux taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
RENVOIE les parties à faire leurs comptes sur les bases fixées dans le présent jugement en ce qui concerne le rappel de salaires à compter du 1er juillet 2024, sauf à saisir le conseil de prud’hommes en cas de difficultés, par simple requête ;
ORDONNE la remise à Madame X de bulletins de salaires conformes au présent jugement ;
ORDONNE l’exécution provisoire ;
DEBOUTE Madame X du surplus de ses demandes ;
DEBOUTE la SA France Télévisions de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA France Télévisions aux entiers dépens.
2.1) Sur la demande de rappel de salaire au titre d’une inégalité de traitement
En application de l’article L1242-15 du code du travail, la rémunération du salarié sous CDD ne peut pas être inférieure à celle que percevrait, à l’issue de la période d’essai, un salarié sous CDI de qualification équivalente et occupent les mêmes fonctions.
Le principe d’égalité de rémunération ne s’applique que pour les mêmes fonctions (même qualification et même responsabilité).
S’agissant du principe général « à travail égal, salaire égal », c’est à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare et c’est ensuite à l’employeur de démontrer la justification de la différence constatée.
En l’espèce, Madame X soutient qu’elle a remplacé des salariés ayant une qualification et un niveau hiérarchique supérieurs au sien tels des journalistes spécialisés, des journalistes bilingues, des grands reporters et responsables d’édition de sorte qu’elle aurait dû bénéficier de même salaire que ces salariés.
Or, mis à part les contrats de travail qu’elle produit, qui indiquent que « le contrat est destiné à pallier en totalité ou pour une partie de ses attributions l’absence de Monsieur/Madame que la société emploie en qualité de X », la requérante ne produit aucun élément pour justifier des fonctions qu’elle occupait pendant les CDD de remplacement. En outre, elle n’avait pas la même qualification que les salariés qu’elle remplaçait.
En conséquence, elle doit être déboutée de sa demande de rappel de salaire et de sa demande de fixation de son salaire à celui d’une journaliste spécialisée.
2.2) Sur la demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée
Le contrat de travail à durée déterminée constitue un contrat d’exception. A cet égard, l’article L1242-2 du code du travail comporte une liste limitative des cas de recours au contrat de travail à durée déterminée.
L’article L1242-12 du même code dispose que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.
L’indication du motif constitution une formalité substantielle dont le défaut est sanctionné au même titre que l’absence d’écrit, c’est-à-dire par la requalification en contrat à durée indéterminée. En outre, l’indication du motif de recours dans le CDD ne dispense pas l’employeur de rapporter la preuve qui lui incombe de la réalité de ce motif. A défaut, le contrat doit être requalifié en CDI.
En l’espèce, il est constant que Madame X a été engagée par contrat de travail à durée déterminée à compter du 17 avril 1995.
Si la salariée produit les bulletins de salaire portant sur la période du 17 au 30 avril 1995, la société France Télévision ne produit pas le contrat de travail relatif à cette période.
Ainsi, l’employeur ne justifie ni de l’existence d’un contrat de travail écrit ni du motif du recours au contrat de travail à durée déterminée à cette date.
En conséquence, le contrat de travail doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 17 avril 1995 sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par les parties au titre de la demande de requalification.
2.3) Sur la demande de requalification en contrat de travail à temps plein
La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.
Les dispositions propres à la durée et la rémunération sont déterminées au sein de chaque des CDD conclu entre les parties.
En application de l’article L3123-6 du code du travail, le contrat de travail des salariés à temps partiel doit être écrit. En outre, le contrat doit impérativement mentionner la qualification du salarié, les éléments de la rémunération et la durée exacte de travail hebdomadaire, mensuelle, pluri-hebdomadaire ou annuelle prévue.
En l’absence de contrat écrit, à défaut de fixation d’une durée exacte de travail, ou lorsque la répartition du temps de travail n’est pas précisée, le contrat est présumé à temps complet. Il ne s’agit toutefois que d’une présomption simple. Pour échapper à la requalification en temps plein, l’employeur doit prouver, d’une part, la durée exacte de travail mensuelle ou hebdomadaire convenue et sa répartition et d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’entreprise.
En l’espèce, les contrats de travail à durée déterminée produits aux débats par la requérante n’indiquent pas que Madame X est embauchée à temps partiel, le formalisme prévu par l’article L3123-6 du code du travail n’étant au demeurant pas respecté. La salariée était embauchée pour un nombre de jours, indiqués sur la période du contrat. Les contrats signés au cours des dernières années de la relation de travail comportent un article « Durée du travail » qui prévoit « la durée du travail est fixée à 35 heures en moyenne par semaine ».
Par conséquent, il convient de requalifier les contrats de travail à durée déterminée conclus entre les parties à compter du 17 avril 1995 en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.
2.4) Sur la demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles
Le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat, dites périodes interstitielles, que s’il a été contraint de se tenir à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.
En l’espèce, il résulte des contrats de travail et des bulletins de salaire produits aux débats que Madame X, engagée pour 7 à 11 jours de travail à temps plein chaque mois entre 2019 et 2024, mais pas nécessairement pour les mêmes périodes du mois, ne pouvait pas prévoir les jours pendant lesquels elle serait libre d’exercer une autre activité professionnelle.
Par ailleurs, il ressort des déclarations de revenus de Madame X pour disposition de son employeur pendant les périodes interstitielles.
Elle est donc bien fondée à solliciter un rappel de salaire pour la période du 15 juillet 2019 au 30 juin 2024.
S’agissant du quantum, le rappel de salaire doit être évalué sur la base de l’horaire réel pratiqué sur le CDD précédent. Or, il n’est pas contesté que c’est cette méthode de calcul qu’a appliqué la requérante au titre de sa demande de rappel de salaire.
Il convient donc de faire droit à sa demande subsidiaire formée par Madame X fondée sur sa qualification de journaliste reporter d’images pour la seule période précitée du 15 juillet 2019 au 30 juin 2024, soit la somme de 90.620,88 euros outre les congés payés y afférents soit la somme de 9.062,08 euros, le Conseil ne détenant aucun élément sur les salaires qui ont été réglés à Madame X postérieurement au 30 juin 2024.
Les parties devront donc faire leurs comptes en fonction des salaires perçus par la requérante depuis le 1er juillet 2024 et du fait qu’elle devait percevoir un salaire mensuel brut de 2.806 euros, qui correspond à la qualification de journaliste reporter d’images de la salariée et donc au salaire que le Conseil retient.
Enfin, la société France télévisions devra remettre à la requérante des bulletins de salaire conformes au présent jugement, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette remise d’une astreinte.
2.5) Sur la demande relative au lieu de travail
Il résulte du dernier contrat de travail produit aux débats du 12 juillet 2024, qui est identique aux précédents contrats s’agissant de l’article 5 relatif au lieu de travail, que celui-ci n’était pas contractualisé.
En effet, cet article stipule :
« A titre d’information, le contractant exercera ses fonctions au sein de journalistes-Bretagne à FTV RENNES 9 avenue Janvier 35000 RENNES France.
Pendant l’exécution du présent contrat, le contractant pourra être appelé à effectuer des missions dans l’un des quelconques lieux ou s’exercent les missions de la société en France ou à l’étranger ».
Ainsi, la clause relative au lieu de travail a valeur d’information.
Dès lors, bien que Madame X ait travaillé essentiellement sur le site de France Télévisions de Rennes, il convient de juger que la relation de travail se poursuivra sans contractualisation du lieu de travail.
2.7) Sur les demandes indemnitaires
2.7.1) Sur l’indemnité de requalification
Aux termes de l’article L1245-2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande su salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité correspondant au minimum à un mois de salaire.
En l’espèce, compte-tenu de la durée des relations contractuelles – plus de vingt-neuf ans – et du fait que Madame X a été privée du bénéfice des avantages prévus en faveur des salariés permanents et soumise à une précarité professionnelle, il convient de fixer cette indemnité à la somme de 10.000 euros.
2.7.2) Sur l’indemnité au titre de la transmission tardive des contrats
Madame X sollicite, sur le fondement de l’article L1245-1 du code du travail, une indemnité correspondant à un mois de salaire au motif que la société France Télévisions lui a transmis plusieurs CDD entre 2019 et 2024 plus de deux jours ouvrables après l’embauche, en méconnaissance des dispositions de l’article L1242-13 du même code.
La société France Télévisions ne conteste pas la transmission tardive de certains CDD à la salariée, mais soutient que sa demande d’indemnité à ce titre fait double emploi avec l’indemnité de requalification depuis l’ordonnance n°2017-11387 du 22 novembre 2017 ayant substitué l’allocation d’une indemnité à la requalification du contrat en CDI en cas de transmission tardive du CDD.
Toutefois, cette affirmation n’apparaît pas fondée dès lors que le code du travail prévoit deux indemnités distinctes au titre de deux manquements distincts. En outre, la salariée n’a pas à établir la réalité de son préjudice.
En conséquence, il convient de faire droit à la demande de Madame X à hauteur de la somme de 2.806 euros.
2.7.3) Sur le supplément familial
L’accord France Télévision du 28 mai 2013 prévoit que les salariés perçoivent un supplément familial mensuel à condition de justifier du fait d’avoir des enfants à charge et du fait que l’autre parent ne perçoit pas un supplément familial. Lorsque le supplément familial perçu par l’autre parent est inférieur au montant versé par la société France Télévisions, le salarié est en droit de percevoir la différence.
En l’espèce, la requérante justifie par l’acte de naissance de sa fille et sa déclaration d’impôts, qu’elle a un enfant à charge. En revanche, elle ne justifie pas, malgré le moyen invoqué à cet égard par la société France Télévision, que le père de l’enfant ne perçoit pas de supplément familial.
Elle doit donc être déboutée de sa demande.
2.7.4) Sur les intérêts
Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation.
En application de l’article 1343-2 du Code civil, les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
2.7.5) Sur les demandes accessoires
L‘exécution provisoire est compatible avec la nature de l’affaire, qui est ancienne, de sorte qu’il y a lieu de la prononcer.
Enfin, l’équité commande de condamner la société France Télévisions à payer à la requérante la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société défenderesse sera corrélativement déboutée de sa demande fonde sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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