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Licenciement éco – un business analyst de Cargill France obtient 51 000 euros pour licenciement économique sans cause et rappel de prime (CPH Nanterre, depart 4/04/2024)

Publié le Modifié le 29/04/2024 Vu 1 644 fois 0
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Le salarié business analyst senior de Cargill France obtient 51 000 euros pour licenciement économique sans cause et rappel de prime de transition (CPH Nanterre, depart 4/04/2024, RG : 19/01357).

Le salarié business analyst senior de Cargill France obtient 51 000 euros pour licenciement économique sans

Licenciement éco – un business analyst de Cargill France obtient 51 000 euros pour licenciement économique sans cause et rappel de prime (CPH Nanterre, depart 4/04/2024)

       1)    EXPOSE DU LITIGE

 

Monsieur X a été engagé par la société CARGILL FRANCE par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 octobre 2006, en qualité de Consultant en développement,

 

En dernier lieu, il occupait le poste de « Business Analyst Senior ».

 

Le département IT au sein des filiales du Groupe CARGILL de la zone EMEA a fait l'objet d'une réorganisation.

 

A compter du 3 mai 2018, la société a notifié à Monsieur X sa dispense d'activité.

 

Par courrier du 1er juin 2018, une proposition de reclassement au poste de « Service Owner France » lui a été faite, qu'il a refusé.

 

Par courrier du 18 juin 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 26 juin 2018.

 

Par lettre du 4 juillet 2018, Monsieur X s'est vu notifier son licenciement pour motif économique.

 

La lettre de licenciement était rédigée en ces termes :

 

« (...) Comme vous le savez, le Groupe CARGILL dans son ensemble et la société CARGILL France SAS en particulier procèdent à une réorganisation de ses activités et services partagés.

 

Cette réorganisation a fait l'objet d'une procédure d'information - consultation du Comité d'Entreprise au cours de laquelle la Société a exposé les motifs de sa réorganisation de la Société, rappelés ci-après.

 

Le marché des matières premières alimentaires, sur lequel le Groupe Cargill et la Société CARGILL France SAS interviennent, est un marché au sein duquel les acteurs rencontrent de grandes difficultés en raison de :

 

-       Sa complexité : le marché des matières premières est en réalité composé de plusieurs machés très différents les uns des autres (céréales, soja, cacao, huile, etc.…) ;

-       Son exposition : le maché des matières premières est exposé à la saisonnalité ainsi

qu'aux phénomènes climatiques ;

-       Sa volatilité : la volatilité des prix des matières premières est une composante structurelle de ce marché :

-       Son étroitesse : le marché des matières premières est un marché « nationalisé » dans lequel la grande majorité de la production mondiale est consommée directement dans les pays producteurs, ce qui oblige à une diminution des prix afin de s’exporter.

 

Sur ce marché difficile, la Chine est devenue le premier consommateur mondial et donc le premier influenceur pour la santé du marché.

 

Or, l’économie chinoise est en crise depuis le crash de la bourse de Shangaï à l'été 2015. Cela impacte directement la situation de Cargill puisque la chute de la demande chinoise a pour effet de faire chuter grandement les prix des matières premières. L'indice des matières premières a ainsi baissé fortement au cours des derniers mois.

Mais encore, le Yuan ayant atteint son niveau le plus bas face au dollar depuis 6 ans, les entreprises chinoises se tournent vers les acteurs locaux plutôt que vers les acteurs traditionnels comme Cargill qui traitent en dollars.

 

Cette situation est d’autant plus grave qu’il n’existe pas d’autres puissances économiques susceptibles de prendre la place de la Chine afin de stimuler le marché des matières premières :

-       La Russie fait face à une crise importante depuis 2014 ;

-       Le Brésil est entré en crise en 2015 ;

-       D'autres pays émergents comme le Chili ou le Venezuela ne pourront pas non plus stimuler la demande d'importation de matières premières en raison de leurs politiques de nationalisme des ressources ;

-       L'Afrique n'est pas encore suffisamment développée pour constituer un marché de premier plan à court ou moyen terme ;

-       Le marché européen sur lequel Cargill intervenait traditionnellement n’est plus un marché porteur en raison de la demande faible liée au niveau insuffisant de la croissance.

 

Face à ces difficultés, tous les acteurs du secteur du négoce de matières premières ont entamé des restructurations. En 10 ans, le nombre de négociants internationaux en grains présents en Frances a été divisé par deux et dans la même période, le nombre d'entreprises du secteur de l'alimentation animale a chuté de 45%.

 

Comme pour l'ensemble des autres acteurs du secteur, les résultats du Groupe Cargill ont été fortement impactés par la baisse du prix des matières premières débutée en 2011.

 

Dès l'année 2012 et le début du nouveau cycle de crise du marché des matières premières, les résultats de Cargill ont chuté de façon très importante. Malgré un très léger regain depuis quelques années, le Groupe ne parvient pas à retrouver le niveau de 2011.

 

Pour l'année fiscale 2016 (juin 2015 à mai 2016), le résultat d'exploitation a chuté de 15% par rapport à l'année fiscale 2015-juin 2014 à mai 2015). Cette chute est particulièrement marquée au 4ème trimestre de l'année fiscale 2016 au cours duquel le Groupe a enregistré une perte d'exploitation de 19 millions $ tandis qu'à la même période en 2015 le Groupe avait enregistré un bénéfice d'exploitation de 230 millions S.

 

Concernant la Société CARGILL France SAS, les résultats se sont fortement dégradés

depuis Juin 2015.

 

Il convient à ce titre de noter que :

-       Le chiffre d'affaires de la société a diminué de 3 178 228 972 euros en 2015 à 2 977 232 604 euros en 2016 puis à 2 240 743 308 euros en 2017.

-       Le résultat d'exploitation a chuté de 24 941 767 euros en 2015 à 9 534 893 euros en 2016. Le résultat de 2017 serait négatif dans la plus-value résultant de la cession du site de Brest et ne permet pas de revenir à une situation satisfaisante.

 

De même, les résultats après impôts de la société ont chuté de manière considérable passant d’un bénéfice de 20 451 142 euros en 2015 à des pertes de – 1 803 472 euros en 2016.

 

Comme le mentionne l'expert-comptable du comité d'entreprise de Cargill France SAS, « en 2017, le chiffre d'affaires total recule de 25,4%. Tous les segments de ventes sont affectés, mais surtout les ventes de marchandises et plus particulièrement à l'exportation qui diminuent de -44%, quand au niveau mondial la baisse est moins prononcée (-19,5%) ».

Confronté à la crise du marché des matières premières et à des résultats insuffisants depuis plusieurs années, Cargill n'a pas attendu pour prendre des mesures correctives.

 

C'est ainsi que le plan d'actions mondial « Fit to Grow » a été mis en œuvre dès 2012. Ce projet reposait sur les ambitions suivantes :

-          Rationnaliser le portefeuille d'activité afin d'optimiser les capacités de production en se concentrant sur les produits à plus forts potentiel et valeur ajoutée ;

-          Réduire les coûts afin de retrouver un levier de compétitivité en disposant de la capacité à s'aligner sur les offres des nouveaux concurrents du secteur, principalement ceux chinois.

-           

Dans la continuité de ce plan et de la simplification du groupe annoncée en novembre 2015, le Groupe Cargill a entamé une réorganisation de ses fonctions support en transférant plusieurs d'entre elles au sein de centres de services partagés, notamment celui de Sofia pour l'Europe.

 

Toutefois, dans le contexte économique décrit ci-dessus, la compétitivité du Groupe Cargill reste menacée aujourd'hui.

 

Afin de conserver des parts de marché, le Groupe doit poursuivre son effort vers une excellence opérationnelle qui lui permettra d'être plus efficace et donc plus compétitif. Le Groupe doit s'assurer que ses fonctions supports assurent une excellence opérationnelle au service du business et de la stratégie définie.

 

C'est ainsi que la Société CARGILL France SAS (et plus largement le Groupe) envisage aujourd'hui de réorganiser les équipes informatiques en charge du développement des applications (le département « IT Applications »).

 

L'objectif de ce projet est bien évidemment de tendre vers l'excellence opérationnelle tout en diminuant les coûts mais également de permettre aux équipes informatiques en charge du support des applications de se recentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée.

 

Ce projet de réorganisation des équipes « IT Applications » devrait engendrer une économie annuelle de 20 millions de dollars au niveau mondial. Sur ces 20 millions, les économies devraient être de l’ordre de 9 millions de dollars par an pour la zone EMEA.

 

Vous êtes concerné par ce projet de réorganisation car la suppression du poste de Senior Business Analyst que vous occupez est envisagée dans ce contexte. Ce poste appartient à la catégorie professionnelle Cadre Informatique / Responsable Applications et Développement à laquelle vous êtes rattaché.

 

Tous les postes de cette catégorie étant supprimés, vous êtes impacté par cette suppression de poste.

 

C'est dans ces conditions que nous avons été amené à rechercher activement les éventuelles solutions de reclassement interne pouvant vous être proposées. Nous avons tout mis en œuvre afin de procéder à votre reclassement conformément aux obligations qui nous incombent.

 

Dans ce cadre, nous vous avons reçu en entretien le 30 mai 2018 pour faire le point de votre situation. Nous avons à cette occasion passé en revue l'ensemble des postes disponibles et susceptibles de vous convenir, et nous avons à ce titre identifié ensemble le poste de PRTP Service Owner France (H/F) Responsable France : Process Fournisseur.

 

Un compte-rendu de cet entretien vous a été adressé par LRAR le 1er juin 2018.

Par un courriel du 11 juin 2018, vous avez finalement décliné cette proposition. (...)

 

Malheureusement, à l'issue des échanges que nous avons pu avoir au sujet de votre reclassement et des recherches actives que nous avons pu mener, il s'est avéré qu'aucun autre poste n'était susceptible de vous être proposé au titre du reclassement interne au sein du Groupe.

 

Pour l'ensemble de ces raisons, nous n'avons pas d'autre choix que de prononcer votre licenciement pour motif économique (...) ».

 

La relation de travail était soumise à la Convention collective nationale des industries chimiques.

 

La rémunération moyenne mensuelle de Monsieur X était de 8 137,26€ bruts (moyenne de 12 derniers mois).

 

Contestant son licenciement, Monsieur X a saisi le Conseil des prud'hommes par requête reçue au greffe le 2 juillet 2019.

 

Les parties ont été convoquées à l'audience devant le bureau d'orientation et de conciliation du 21 avril 2020, convocation dont la partie défenderesse a eu connaissance le 5 septembre 2019.

 

Cette audience n'a cependant pas pu se tenir compte tenu de l'épidémie de COVID-19.

 

Les parties ont été convoquées devant le bureau de jugement à l'audience du 10 novembre 2022.

 

Un jugement de départage partiel a été rendu le 21 février 2023 selon lequel le Conseil

-          S'est déclaré en partage de voix concernant les chefs de demande sur le licenciement économique :

-          Renvoyé les parties devant le juge départiteur concernant les demandes sur le licenciement économique :

-          Débouté Monsieur X de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

-          Débouté Monsieur X du surplus de ses demandes ;

-          Débouté la société CARGILL de sa demande conventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-          Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

 

L'audience de départage s'est tenue le 7 février 2024.

 

2)    Motifs du jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre (départage) du 4 avril 2024 (RG : 19/01357)

 

Le Juge départiteur du conseil de prud'hommes de Nanterre statuant seul, après avis des conseillers présents, en application des dispositions de l'article L1454-4 du code du travail, en premier ressort, par jugement contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024 ;

 

JUGE le licenciement pour motif économique de Monsieur X sans cause réelle et sérieuse ;

 

CONDAMNE la société CARGILL FRANCE à verser à Monsieur X les sommes suivantes :

·         32 549,04€ bruts à titre de d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

·         16 274€ au titre de la prime de transition ;

 

DEBOUTE Monsieur X de sa demande de dommages et intérêts pour comportement vexatoire de l'employeur ;

 

ORDONNE à la société CARGILL FRANCE de remettre à Monsieur X un bulletin de paye, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à la présente décision ;

 

DEBOUTE Monsieur X de sa demande d'astreinte à ce titre :

 

RAPPELLE que les créances salariales produisent intérêt à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation, et que les créances indemnitaires produisent intérêts à compter du présent jugement ;

 

CONDAMNE la société CARGILL FRANCE à verser à Monsieur X la somme de 3 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

DEBOUTE la société CARGILL FRANCE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

 

CONDAMNE la société CARGILL France aux entiers dépens ;

 

ORDONNE l'exécution provisoire.

 

2.1) SUR LE LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE

 

2.1.1) Sur le bien-fondé du licenciement

 

Selon l'article L1233-3 du code du travail :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...).

 

Les obligations de l'employeur en matière de reclassement sont quant à elles spécifiées à l'article L1233-4 du code du travail.

 

Dans sa version en vigueur jusqu'au 8 août 2015 le périmètre de reclassement s'étendait à l'international. Ce périmètre a cependant été restreint par la loi du 6 août 2015 au seul périmètre national.

 

L'article L1233-4-1, depuis lors abrogé, prévoyait alors les circonstances dans lesquelles le reclassement pouvait avoir lieu à l'international.

Cet article prévoyait, dans sa version en vigueur entre le 8 août 2015 au 24 septembre

2017 :

« Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. Les modalités d'application du présent article, en particulier celles relatives à l'information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret ».

 

L'article L1233-4, dans sa version en vigueur depuis le 22 décembre 2017 dispose que :

« Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et Il de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».

 

Les précisions relatives aux offres de reclassements sont quant à elle définies à l'article D1233-2-1 du code du travail. Ce texte indique que l'offre doit préciser le niveau de rémunération du poste.

 

L’obligation de reclassement pesant sur l’employeur est une obligation de moyen renforcée. Il lui appartient de démontrer qu’il a bien recherché activement et proposé au salarié tous les emplois disponibles susceptibles d’être occupés par lui, au besoin après avoir assuré son adaptation à l’emploi.

 

L'employeur est tenu de commencer ses recherches dès lors qu'il envisage le licenciement, et doit les poursuivre jusqu'à la notification de la rupture.

 

Cette obligation de reclassement doit être exécutée loyalement par l'employeur, qui ne peut procéder à un recrutement extérieur pour pourvoir un emploi qui aurait pu être proposé à un salarié menacé de licenciement.

 

En cas de contestation, c'est à l'employeur de démontrer qu'il a bien loyalement exécuté son obligation de reclassement, ou que le reclassement du salarié était impossible.

 

Enfin, en cas de violation, par l'employeur, de son obligation de reclassement, le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

En l'espèce, le licenciement économique de Monsieur X a été envisagé dès le 07 juillet 2017, date de la réunion extraordinaire du comité d'établissement au cours de laquelle le projet de réorganisation du département IT Applications a été présenté.

 

En premier lieu, il doit être noté que les postes qui devaient être créés dans le cadre de la réorganisation du département n'ont pas été proposés au salarié.

 

Il résulte de la note du projet de réorganisation du Département «IT Applications », que le projet de réorganisation du département emportait la suppression de 3 postes de travail, à savoir

-          1 poste d'Application Support Analyst basé à Nantes

-          1 poste d'Application Support Analyst basé à Redon

-          1 poste d'Application Development Analyst basé à La Défense.

Il est à noter que le poste de Senior Business Analyse occupé par le demandeur n'apparait pas parmi les postes devant être supprimés dans le cadre de cette réorganisation.

 

Plus encore, le projet a emporté création de 4 nouveaux postes, notamment un poste d'Analyst Business Senior (à savoir précisément le poste occupé par le demandeur) ainsi que deux postes d’Analyst Business.

 

Or, aucun de ces postes n'a été proposé à Monsieur X.

 

A ce titre, la seule production du registre d'entrée et de sortie du personnel à compter du 1er janvier 2018 ne saurait démontrer l'absence de création de ces postes annoncés, alors même qu'il est spécifiquement indiqué que le poste de Business Analyst Senior devait être créé au mois d'octobre 2017.

 

En second lieu, la société défenderesse a manqué de loyauté en recrutant en externe sur un poste qui correspondait au profil et aux compétences du demandeur, pour lequel il avait postulé, et ce quand bien même le poste était situé à l'étranger.

 

 

En effet, il résulte des échanges de mails produits, partiellement traduits, que Monsieur X avait manifesté son intérêt et postulé pour des postes de Analyst Business Senior basés au Royaume-Uni. Or force est de constater que non seulement il ne s'est vu offrir aucun de ces postes, mais encore que l'un d'entre eux a fait l'objet d'un recrutement en externe, sans que la défenderesse ne justifie des raisons objectives ayant présidé à son choix.

 

La société ne saurait se retrancher derrière le fait que le périmètre du reclassement ne s'étendait qu'au territoire national. En effet, à la date à laquelle le licenciement du demandeur a été envisagé, l'article L1233-4-1 du code du travail n'était pas encore abrogé, de sorte qu'à cette date le périmètre de reclassement n'était pas strictement limité au territoire national, et le salarié avait explicitement manifesté son souhait de se voir reclasser sur ces postes. Par ailleurs, le fait d'avoir offert ce recrutement à un salarié externe à l'entreprise, alors même que l'employeur lui-même avait permis au salarié d'y postuler, caractérise un manque de loyauté vis-à-vis de celui qui était menacé par un licenciement économique.

 

En troisième lieu, la société défenderesse ne justifie pas de ses recherches loyales et sérieuses des différents postes de reclassement possibles dans les différentes entités du groupe présentes sur le territoire national.

 

Il résulte du document d'information présenté aux représentants du personnels, qu'au 15 juin 2017, la Direction avait pu identifier 44 postes disponibles au sein des différentes structures légales du Groupe en France. Elle ne justifie cependant pas avoir effectué de démarches auprès des différentes entités du groupe présentes sur le territoire national, de sorte qu'elle ne justifie pas de recherches loyales et sérieuses.

 

Enfin et en dernier lieu, l'unique offre de reclassement faite à Monsieur X n'était pas suffisamment précise, en ce qu'elle ne comportait pas le niveau de rémunération prévu, au mépris des dispositions précitées.

 

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le licenciement de Monsieur X sera jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

2.1.2) Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Sur la conventionnalité du barème institué par l'article L1235-3 du code du travail

 

L'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

 

Lorsque des dispositions internes sont en cause, comme en l'espèce, le juge du fond doit vérifier leur compatibilité avec les normes supranationales que la France s'est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d'incompatibilité irréductible.

 

·         Sur le droit à un procès équitable

 

L'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme consacre le droit à un procès équitable. Il résulte cependant de la jurisprudence de la cour Européenne des droits de l'Homme qu'une distinction doit être faite entre ce qui est d'ordre procédural et ce qui est d'ordre matériel, dans la mesure où l'article 6§1 précité ne peut s’appliquer aux limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne.

Aussi, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l'indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

Il doit en effet être relevé que l'article L1235-3 du code du travail n'empêche pas le salarié d'agir en justice pour faire reconnaitre le caractère injustifié de son licenciement. Le salarié conserve ainsi la faculté de saisir un juge impartial pour qu'il soit statué sur ses droits selon des modalités, qui, tout en réduisant l'office de ce dernier, laissent intact la nature de son pouvoir, lequel s'exerce souverainement entre les planchers et plafonds variables, ce qui ôte au procès tout caractère inéquitable.

 

Le moyen tiré du manquement au droit au procès équitable n'est pas fondé.

 

·         Sur la conformité de l'article L1235-3 du code du travail avec l'article 4 de la convention OIT n°158

 

Il résulte de cet article que : Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

 

Si le demandeur invoque cet article, la norme en question ne concerne pas le point litigieux, relatif aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'indemnité adéquate qui doit être octroyée au salarié dans ce cadre. L'invocation de l'article 4 est ainsi inopérant.

 

·         Sur la conformité de l'article L/235-3 du code du travail avec l'article 24 de la Charte Sociale Européenne

 

L'article 24 indique : « Article 24 - Droit à la protection en cas de licenciement. En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; b) le droit des travailleurs licenciés sans motifs valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin, les Partie s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

 

Pour autant, au regard de l'importante marge d'appréciée laissée aux parties contractantes, les dispositions de l'article 24 de la Charte Sociale Européenne n'ont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particulier.

 

·         Sur la conformité de l'article L1235-3 du code du travail avec l'article 10 de la convention 158 de l'OIT

 

Selon l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui est d'application directe en droit interne :« Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

 

Le terme "adéquat" doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation. Or, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions

de l'article L.1235-3-1 du même code. Par ailleurs, il doit être relevé que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont versés en plus des indemnités de rupture.

 

Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail sont bien compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention 158 de l’OIT.

 

Les griefs d'inconventionnalité doivent donc être écartés.

 

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

 

Selon l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 01 avril 2018, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 10,5 mois de salaires pour un salarié ayant 11 ans d'ancienneté.

 

Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9.

 

Monsieur X a été engagé le 15 octobre 2006 et a été licencié le 4 juillet 2018, de sorte qu'il bénéficiait d'une ancienneté de 11 ans. Au jour de son licenciement, il était âgé de 49 ans.

 

Son salaire était de 8 137,26€ brut selon l'accord des parties.

 

Il ne justifie pas de sa situation postérieure à son licenciement, ni ne caractérise tant son préjudice moral que financier.

 

Il résulte des pièces produites en défense qu'il a bénéficié lors de la rupture de mesures d'accompagnement qui avaient été prévues lors du précédent PSE en 2016. Ainsi, il a bénéficié d'un congé de reclassement par lequel il lui était alloué 74% de sa rémunération brute moyenne perçue pendant les 12 derniers mois précédant la notification du licenciement ; le salarié a demandé à ce qu’il y soit mis fin par courrier du 30 avril 2019 en raison de la création de son entreprise.

 

Par ailleurs, lui ont été versées à la rupture, 5 000€ d'indemnité de préjudice, outre 48 823,60€ d'indemnité supra conventionnelle.

 

Au regard de ces éléments, il lui sera alloué la somme de 32 549,04€ bruts, soit 4 mois de salaire.

 

2.2) SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS POUR COMPORTEMENT VEXATOIRE DE L'EMPLOYEUR

 

Monsieur X ne fait pas valoir de préjudice distinct dont il n'aurait pas d'ores et déjà été indemnisé dans le cadre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sera donc débouté de sa demande à ce titre.

 

 

2.3) SUR LA DEMANDE DE PAIEMENT DE LA PRIME DE TRANSITION

 

Il résulte des pièces produites que si la prime de transition était prévue « Afin de favoriser le transfert des activités vers le Centre de services partagés de Sofia, Cognizant et / ou Capgemini », les conditions d'éligibilité de la prime n'imposaient pas d'être impliqué dans une phase de transition vers Cognizant ou Capgemini mais était rédigée de manière plus large.

 

Il était ainsi prévu d'accorder une prime pour les salariés impliqués dans « une phase de transition ».

 

Il était encore spécifié « Cette prime bénéficie à tous les salariés licenciés pour motif économique qui auront été directement impliqués dans une phase de transition et des actions de formation ainsi que le transfert de connaissance ».

 

Il en résulte que Monsieur X était bien éligible à la prime de transition.

 

La société sera ainsi condamnée à lui verser la somme de 16 274€ à ce titre.

 

2.4) SUR LES AUTRES DEMANDES.

 

2.4.1) Sur la remise des documents de fin de contrat sous astreinte

 

Il résulte de l'article L131-1 du code des procédures civiles d'exécution que tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

 

Compte tenu de ce qui précède il sera fait droit à la demande de remise d'un bulletin de paye rectificatif, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes.

En revanche, la demande d'astreinte n'apparait pas fondée, rien ne permettant de penser que la société ne s'exécutera pas spontanément. Aussi, Monsieur X sera débouté de sa demande à ce titre.

 

2.4.2) Sur les intérêts légaux

 

Les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation date à laquelle le défendeur est effectivement informé des chefs de demandes réclamés. Les demandes additionnelles ou reconventionnelles ne produisent intérêts légaux qu’à compter de la date à laquelle la partie adverse en est effectivement informée, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil.

 

Les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent jugement entrepris, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

 

2.4.3) Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

 

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la société succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens.

 

Il serait inéquitable que Monsieur X supporte l’intégralité de ses frais irrépétibles. En conséquence, la société sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

2.4.4) Sur l'exécution provisoire

 

L'exécution provisoire apparait par ailleurs nécessaire compte tenu de l'ancienneté du litige et sera dès lors ordonnée sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile.

 

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

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.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644

.Lille: : 45, Rue Saint Etienne 59000 Lille – Ligne directe +(33) 03.20.57.53.24

                                        

 

 

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CHHUM AVOCATS conseille et accompagne des salariés, intermittents du spectacles, journalistes, pigistes, artistes, cadres, cadres dirigeants dans le cadre de litige avec leur employeur et/ou négociations de départs.

Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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