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Le licenciement d'une salariée chrétienne ayant refusé la formule du serment de la RATP est sans cause réelle et sérieuse (Cass soc 7 Juillet 2021, n° 20-16.206)

Publié le 08/07/2021 Vu 3 294 fois 0
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La Cour de cassation s’est prononcée sur le principe de laïcité lorsqu’il s’applique au prononcé d’un serment conditionnant l’admission définitive d’un salarié dans le cadre des fonctions pour lesquelles il a été recruté.

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Le licenciement d'une salariée chrétienne ayant refusé la formule du serment de la RATP est sans cause réelle et sérieuse  (Cass soc  7 Juillet 2021, n° 20-16.206)

 

Sur le fondement de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, la Cour de cassation considère que ne constitue pas une faute grave le fait de substituer à la formule « je le jure » celle d’un engagement solennel, dans la finalité de respecter les convictions religieuses du salarié qui devait l’énoncer.   

1)      Faits

Une salariée a été engagée le 25 septembre 2006 en qualité de stagiaire pour exercer une mission de quatre mois au sein de la cellule de contrôle de la RATP, pour ensuite intégrer cette société à compter du 5 février 2007 en tant qu’animateur agent mobile.

L’admission définitive de la salariée dans le cadre permanent de la RATP nécessitait tout particulièrement qu’elle prête serment au moyen de l’énoncé des formules suivantes : « Je jure et promets de bien et loyalement remplir mes fonctions et d’observer en tout les devoirs qu’elle m’impose » suivi de « Je jure et promets en outre d’observer fidèlement les lois et règlements concernant la police des chemins de fer et de constater par des procès-verbaux les contraventions qui viendraient à ma connaissance ».

Or, devant le tribunal de grande instance auquel la salariée était convoquée le 5 septembre 2007 pour prêter serment, cette dernière a refusé de le faire en raison de sa religion chrétienne qui le lui interdisait, tout en prenant néanmoins le soin de proposer une autre formule conforme à ses convictions religieuse et tout aussi solennelle.

Le président du tribunal de grande instance n’a toutefois pas accepté l’autre formulation proposée par la salariée et a en conséquence, fait acter au procès-verbal de l’audience du 28 septembre 2007 que le « serment n’a donc pas été prêté ».

C’est en tout état de cause que la salariée a alors été licenciée le 12 novembre 2007, au seul motif qu’elle avait refusé de prêter serment conformément à l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer.

De ce fait, le 16 décembre 2011 la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de sommes à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Par un arrêt rendu le 24 janvier 2019, la cour d’appel de Paris déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes sur le fondement du principe de laïcité de la République française qui découlerait de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

Pour justifier sa décision, la cour d’appel de Paris relève que la formulation du serment telle que présentée ci-dessus, est non seulement semblable à tous autres les serments prêtés dans de nombreuses et diverses professions, mais ne comporte pas en elle-même ni de connotation religieuse ni d’une quelconque référence à une autorité supérieure « étant seulement destinée à traduire l’engagement de celui qui la prononce à respecter loyalement et solennellement les obligations mises à sa charge ».

La salariée se pourvoit donc en cassation sur le fondement de l’article L. 1132-1 du code du travail et de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

2)      Moyens

La salariée fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de ne pas avoir jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A cet égard, elle avance principalement « qu’il résulte de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer, que le serment des agents de surveillance peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion ».

Pour appuyer sa demande en nullité de son licenciement prononcé en raison de ses convictions religieuses, la salariée soutient en outre, qu’en application de l’article L. 1232-1 du code du travail, « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

De même, au vu de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales la salariée souligne tout particulièrement que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

3)      La substitution d’une formule légale de prestation de serment par une autre formule correspondant mieux aux convictions religieuses d’une salariée entache-t-elle le caractère solennel de celle-ci ? Non, répond la Cour de cassation.

La Cour de cassation répond par la négative et casse et annule l’arrêt de la cour d’appel jugeant que « la salariée n’avait commis aucune faute en sollicitant, lors de l’audience de prestation de serment, la possibilité de substituer à la formule « je le jure » celle d’un engagement solennel, ce dont il résultait que le licenciement, prononcé pour faute au motif de son refus de prêter serment et de l’impossibilité consécutive d’obtenir son assermentation, était sans cause réelle et sérieuse », sur le fondement de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article L. 1232-1 du code du travail et de la jurisprudence européenne.

En effet, la chambre sociale considère qu’il « résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de sa part quant à la légitimité quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci (GC, 1er juillet 2014, SAS c. France, n°43835/11).

De même, la Cour de cassation rappelle qu’il « n’est pas loisible aux autorités étatiques de s’immiscer dans la liberté de conscience d’une personne en s’enquérant de ses convictions religieuses ou en l’obligeant à les manifester (Alexandridis c. Grèce, n° 19516/06, 21 février 2008, § 38 ; Dimitras et autres c. Grèce, n° 42837/06 et a., 3 juin 2010, § 78).

Au regard du principe de laïcité qui comme le rappelle la Cour de cassation, affirme le respect de toutes les croyances, et au regard des jurisprudences citées, la chambre sociale invalide l’argumentaire de la cour d’appel qui défendait surtout l’absence de dimension religieuse du serment pour justifier finalement la faute grave de la salariée commise à l’encontre de ce même principe de laïcité.

La Cour de cassation a donc procédé à l’interprétation du principe de laïcité, dans le cadre d’une prestation de serment conditionnant l’admission définitive de la salariée dans la société.

Car le principe de laïcité ne fait pas obstacle à la manifestation par la salariée de ses croyances religieuses, mais au contraire, appelle au respect de sa croyance tant que celle-ci n’entache pas le caractère solennel du serment.

 

Par-là, la Cour de cassation consacre non seulement une nouvelle interprétation du principe de laïcité, mais insiste aussi sur le respect de la liberté de conscience et de religion des salariés, en opérant une distinction essentielle entre la forme et la substance d’un engagement solennel.

Source :

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/965_7_47463.html

 

 

Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

Sarah BOUSCHBACHER juriste

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A propos de l'auteur
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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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