Dans un arrêt du 23 octobre 2019, la Cour de cassation affirme « qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances ».
1) Rappel des faits et de la procédure
Mme P. engagée en qualité de secrétaire par la société I, a été licenciée pour faute grave le 1er août 2006.
La lettre de licenciement du 1er août 2016, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée :
« Par la présente, et faisant suite à l'entretien préalable que vous avez eu dans nos locaux le 18 juillet 2006, au cours duquel vous étiez assistée par Madame H..., je suis au regret de devoir vous notifier votre licenciement pour faute grave, à raison des faits suivants :
En effet, ainsi que je vous l'indiquais oralement, vous vous êtes rendue coupable de vol de documents à des fins personnelles de divulgation faite à des salariés.
En effet, le 14 juin 2006, j'ai reçu de votre part un arrêt de travail pour maladie jusqu'au 20 juin 2006.
Du reste, j'ai déploré que vous ne m'ayez pas informé par la remise en mains propres de cet arrêt, car j'avais prévu ce même jour de vous demander de faire un travail précis avec notre expert-comptable.
Devant votre absence, et ayant absolument besoin d'accéder aux informations nécessaires à l'accomplissement de cette tâche, nous avons tenté d'accéder à l'ordinateur que vous utilisez.
C'est dans ces conditions que je me suis rendu compte que vous aviez codé l'ordinateur.
Je vous ai immédiatement téléphoné pour vous réclamer le mot de passe ; j'ai été extrêmement surpris par votre refus catégorique de me le transmettre, et vous ai d'ailleurs immédiatement adressé un courrier recommandé avec accusé de réception en ce sens.
Tout d'abord, votre réticence m'a interpellé, puis ma suspicion s'est trouvée confirmée lorsque les 28 et 29 juin 2006, ayant utilisé l'ordinateur, j'ai pu me rendre compte qu'il contenait des extraits de conversation à tout rompre, que vous aviez eu avec votre collègue, Madame Y... J..., alors absente de son lieu de travail.
Indépendamment des considérations personnelles dont vous pouviez faire état, ou des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l'entreprise et qui m'indiffèrent complètement, j'ai été en revanche stupéfait que vous aviez pu transférer des documents appartenant à la société, alors qu'il s'agissait de documents auxquels vous ne pouviez normalement avoir accès compte tenu de votre fonction, s'agissant en fait de mails privés adressés par notre cabinet d'expertise comptable à titre strictement confidentiel. Pourtant, j'ai pu voir que vous confirmez avoir transféré : - en page 2 : les attestations ASSEDIC, les certificats de travail concernant Mlle L... E... et M. X... S...; le journal des paies du mois de juin, - en page 3 : les paies du mois de juin, les soldes de tout compte de Mlle L... E... et de M. X... S..., le curriculum vitae de Mme Q... E....
À cet égard, j'insiste sur le fait que vous étiez parfaitement consciente d'être en totale infraction avec les règles qui régissent notre entreprise, puisque vous manifestez le plus grand souci d'observer scrupuleusement les conseils deux autres collègues aux fins d'effacer toutes les traces d'accès aux dossiers.
Sur un autre mail, en date du 30 juin 2006 à 16 h 20, vous écriviez également à Mme J... qu'il serait cool de suivre tous
-les mois l'évolution du salaire, des primes et les heures supplémentaires concernant Q... E... et autres fantaisies du même genre, allant jusqu'à vouloir imprimer les fiches de paie de l'ensemble des salariés en vous substituant à l'employeur ; ce qui déclenchait d'ailleurs votre hilarité.
Bien évidemment, j'en suis en possession pour avoir imprimé différents mails...". Dans ces conditions, vous imaginez sans peine que le fait d'avoir divulgué à un autre salarié des renseignements qui ne concernaient pas l'exécution de vos tâches, qui doivent rester secrets au sein de l'entreprise, et dont je me demande comment vous avez pu les avoir à votre disposition, sont des agissements constitutifs de faute grave.
C'est d'ailleurs pour ces raisons que vous avez été mise à pied conservatoirement depuis le 6 juillet 2006.
Votre comportement est d'autant plus inexcusable que vous travaillez au sein de la Société depuis 17 ans, et que vous savez pertinemment que j'ai toujours été accessible à vos demandes ».
La Cour d’appel a considéré que le licenciement était sans cause réelle ni sérieuse.
2) Moyens du pourvoi de l’employeur
L’employeur plaidait que :
1°/ que les courriers ou messages adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ;
- qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les propos et agissements reprochés à Mme P... résultaient d’une correspondance échangée avec l’une de ses collègues de travail sur leurs ordinateurs de travail respectifs, par la voie de la messagerie instantanée installée sur lesdits ordinateurs ;
- qu’il en résultait que ces messages instantanés étaient présumés avoir un caractère professionnel et que, faute de les avoir été identifiés comme étant personnels, Mme P... ne pouvait reprocher à l’employeur d’en avoir pris connaissance, même sans son autorisation ou celle de la destinataire de ces messages ;
- qu’en écartant au contraire ces messages instantanés comme constituant des modes de preuve illicites, au motif qu’ « à l’évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu’il soit besoin d’une mention « personnel » ou encore « conversation personnelle » », la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ que la circonstance que la messagerie instantanée installée sur l’outil informatique du salarié comporte certains messages de contenu personnel n’est pas de nature à écarter la présomption de caractère professionnel des messages échangés par le salarié par ce biais ;
. qu’en retenant au contraire que « l’affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie “des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l’entreprise” » emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour accomplir ses fonctions, la cour d’appel a violé, par fausse application, les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;
3) Solution de la Cour de cassation
Dans un arrêt du 23 octobre, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle affirme « qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie MSN instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances ; que le moyen n’est pas fondé ».
Cette décision est conforme à la jurisprudence de la cour de cassation et doit être approuvée.
Si les messages litigieux avaient été échangés sur la boîte « email » professionnelle de la salariée, ils auraient pu être utilisés par l’employeur pour justifier un licenciement.
Voir aussi nos articles :
. Salariés, cadres, cadres dirigeants : attention au paramétrage de votre compte Facebook (Cass. soc. 20 décembre 2017 n° 16-19609).
. Licenciement Facebook : insulter son employeur dans un groupe fermé n’est pas une faute grave.
https://www.village-justice.com/articles/licenciement-insulter-son-employeur-dans-groupe-ferme-sur-facebook-est-pas-une,29490.html#J0RzZVIVwGH4O07K.99
Source Légifrance : c. cass. 23 octobre 2019 17-28448
Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris
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