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Morandini sur I Télé : la clause de conscience proposée par Canal + est-elle légale ?

Publié le Modifié le 21/10/2016 Vu 10 496 fois 0
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L’objet de la présente brève est de rappeler les dispositions sur la clause de conscience des journalistes et de s’interroger sur la validité de la clause de conscience proposée par le Groupe Canal + à ses collaborateurs.

L’objet de la présente brève est de rappeler les dispositions sur la clause de conscience des journalistes

Morandini sur I Télé : la clause de conscience proposée par Canal + est-elle  légale ?

Dans une lettre du 14 octobre 2016, la Direction de Canal + a annoncé que suite au retour à l’antenne de Jean-Marc Morandini sur la Chaîne I Télé, elle ouvrait, jusqu’au 21 octobre 2016, la clause de conscience aux journalistes qui le souhaiteraient.

1) Rappel des dispositions sur la clause de conscience des journalistes (article L. 7112-5 du code du travail)

Il existe un régime particulièrement favorable aux journalistes, visé à l’article L. 7112-5 du Code du travail, qui leur réserve la faculté de rompre unilatéralement leur contrat de travail tout en percevant les indemnités prévues en cas de licenciement.

Le journaliste peut se prévaloir de ce régime dans trois cas limitatifs énoncés par la loi :

  • La cessation de la publication du journal ou du périodique pour quelque cause que ce soit ;
  • La cession du journal ou du périodique ;
  • Le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation, ou de manière générale, à ses intérêts moraux. Dans cette hypothèse, le salarié est exempté de respecter un préavis.

Les deux dernières hypothèses visent à permettre au journaliste, profession où la liberté d’expression est essentielle, de se retirer en cas de désaccord de convictions avec son employeur, lui conférant ainsi un certain droit moral.

C’est pour cette raison que l’on qualifie souvent cette faculté à la discrétion du journaliste de « clause de conscience », qui peut être mise en œuvre sans délai (Cass.soc. 30 nov.2004).

Dès lors qu’un journaliste fait jouer sa clause de conscience, il n’a en principe pas à faire de préavis et bénéficiera de l’indemnité conventionnelle de licenciement des journalistes (d’un mois de salaire par année d’ancienneté).

Une simple lettre recommandée adressée à la société suffit pour faire jouer la clause de conscience.

Si un journaliste possède plus de 15 années d’ancienneté dans l’entreprise, c’est la Commission Arbitrale qui sera fondée à calculer le montant de l’indemnité.

Le journaliste qui opte pour la clause de conscience sera éligible également aux allocations chômage.

En cas de litige sur la clause de conscience, le journaliste doit saisir le conseil de prud’hommes.

2) I Télé propose de faire jouer la clause de conscience « en dehors du cadre légal strict »

Dans la lettre du 14 octobre 2016, la Direction de Canal + indique que « la SDJ d’I Télé a estimé que l’arrivée de Jean-Marc Morandini était «  de nature à porter atteinte à [son] honneur, à [sa] réputation et d’une manière générale à [ses] intérêts moraux », faisant ainsi référence aux conditions d’exercice de la clause de conscience ».

Prenant la SDJ d’I Télé aux mots, le Groupe Canal + propose à ses collaborateurs une clause de conscience « en dehors du cadre légal strict ».

A cet égard, le groupe Canal + indique que «  bien que cette opposition aille à l’encontre de la présomption d’innocence qui est pour nous un élément fondamental de la démocratie », elle « laisse la possibilité en dehors du cadre légal strict, d’exercer en tant que journaliste, le droit de rupture de votre contrat de travail au titre de l’activation de la clause de conscience ».

Les termes de la lettre du 14 octobre 2016 du Groupe Canal + sont problématiques.

En effet, il y a une alternative :

Soit I Télé ouvre la clause de conscience dans le cadre légal strict et dans ce cas, le journaliste peut exercer sa clause de conscience avec bénéfice des indemnités de licenciement et des allocations Pole Emploi du fait de la rupture dans le cadre de l’article L. 7112-5 du Code du travail.

Soit I Télé, comme elle l’indique, « se situe en dehors du cadre légal strict », dans ce cas, il y a, selon nous, un double risque juridique pour les journalistes qui acceptent de « faire jouer la clause de conscience ».

En effet, selon nous, le premier risque est que Pole Emploi pourrait, le cas échéant, refuser les allocations chômage aux journalistes qui font jouer la clause de conscience dans ce cas.

Pole Emploi pourrait considérer que l’arrivée controversée de Jean Marc Morandini n’entre pas dans le cadre de la clause de conscience de l’article L. 7112-5 du Code du travail et que comme l’indique le Groupe Canal +, cette clause de conscience ne se situe pas « dans le cas légal strict ».

De plus, le deuxième risque est que l’indemnité de licenciement qui est versée aux journalistes, dans le cadre de la clause de cession, pourrait, selon nous, être requalifiée en salaire (par l’Urssaf et donc soumise à cotisation sociale et impôts sur le revenu) puisqu’elle n’est pas versée, pour reprendre les termes du Groupe Canal +, « dans le cadre strict » de l’article L. 7112-5 du Code du travail.

Il faut rappeler que la clause de conscience s’applique en cas de « changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation, ou de manière générale, à ses intérêts moraux » (article L. 7112-5, al.3 du code du travail).

L’arrivée controversée de Jean-Marc Morandini entre-t-elle dans le champ du 3ème alinéa de l’article L. 7112-5 du Code du travail précité ?

Ceci reste à démontrer.

En effet, Jean Marc MORANDINI ne sera en charge que d’une seule émission sur les médias.

Est-ce que l’on peut considérer que cette émission entraînera un « changement notable dans le caractère ou l’orientation » de la chaîne d’information ? Rien n’est moins sûr.

Frédéric CHHUM, Avocats à la Cour (Paris et Nantes)

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A propos de l'auteur
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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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