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Nullité d’une clause de bonus d’un Plan de Motivation, du fait de son caractère potestatif

Publié le 03/09/2015 Vu 2 179 fois 0
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Les arrêts qui déclarent nulle une clause de bonus du fait de son caractère potestatif sont rares. L’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles est d’autant plus remarquable qu’il concerne une société multinationale (IBM). Dans un arrêt du 5 mai 2015, la Cour d’Appel de Versailles a considéré qu’une clause de rémunération variable d’un « Plan de Motivation » d’un salarié de la société IBM était nulle car potestative.

Les arrêts qui déclarent nulle une clause de bonus du fait de son caractère potestatif sont rares. L’arrÃ

Nullité d’une clause de bonus d’un Plan de Motivation, du fait de son caractère potestatif

Aux termes de l'article 1174 du code civil, toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige.

La condition potestative est celle qui ne dépend que de la volonté d'une partie à un contrat.

Le mode de rémunération d'un salarié étant un élément substantiel de son contrat de travail, il doit être clairement fixé et ne peut être modifié de manière unilatérale par l'employeur, sans que l'accord du salarié soit recueilli ; à défaut, elle ne peut s'analyser qu'en une condition potestative susceptible d'entraîner la nullité de la clause contractuelle relative au mode de rémunération.

I) Les faits

M. X... a exercé depuis le 1er mars 2006 les fonctions d'ingénieur commercial au sein de la société IBM, où il était en dernier lieu affecté à l'équipe de vente 'ECM'.

Il a quitté ses fonctions le 3 février 2011 dans le cadre d'une démission, son préavis s'achevant le 3 mai 2011.

Comme l'ensemble des ingénieurs commerciaux de la société IBM, il percevait une rémunération fixe, doublée d'une rémunération variable.

Il bénéficiait d'un salaire annuel contractuel fixe de 100 000 € brut, dit RTR (Rémunération Théorique de Référence).

A compter du 1er janvier 2008, IBM lui proposait chaque semestre une dérogation temporaire à sa rémunération contractuelle, en adhérant à un Plan de Motivation, assorti d'une lettre d'objectif dite Quota Letter (QL), permettant une rémunération à 140 % de la RTR à 100 % d'objectifs atteints.

La structure de cette rémunération variable se trouvait formalisée par :

1/ un « « plan de motivation »

2/ auquel étaient associées des lettres d'objectifs ('print letters') semestrielles.

En dernier lieu, la rémunération variable de M. X... était déterminée par une 'print letter' présentée le 16 juillet 2010 et acceptée par le salarié le 17 juillet 2010 (pièce nº2), afférente à la période du 2ème semestre 2010, et prévoyant que la rémunération globale de M. X... se répartirait à raison de 55 % en rémunération fixe et de 45 % en rémunération variable. Aucun plafonnement n'était spécifié.

Dans le courant de l'année 2010, M. X... réalisait une vente d'un montant de 1 264 500 € avec la société AIRBUS, ce qui lui permettait de dépasser largement son objectif, puisque celui-ci était réalisé à 178 %.

Cependant il percevait une rémunération variable de 43 450 € calculée selon ce taux plafonné, alors que l'application du taux de 178 % lui aurait permis de percevoir une rémunération variable de 89 910 €.

C'est pourquoi il a saisi le 31 mai 2011 le conseil de prud'hommes de Nanterre pour réclamer contre son ancien employeur, la société Compagnie IBM France la somme de 46 460 € à titre de reliquat sur rémunération variable, sur le fondement de la nullité de la clause contractuelle.

Selon jugement prononcé le 10 février 2014, le conseil a prononcé la nullité de l'article 4.8 du Plan de Motivation IBM, mais a limité à la somme de 26 860 € le montant qu'IBM a été condamnée à régler à M. X....

M. X... a interjeté appel le 10 avril 2014, IBM ayant pour sa part interjeté appel incident le 11 avril 2014.

Mr. X... demande à la cour de confirmer le jugement, en ce qu'il a prononcé la nullité de l'article 4.8 du Plan de Motivation, mais de l'infirmer au titre du quantum de la condamnation, en condamnant la société Compagnie IBM France à lui régler un complément de rémunération variable de 41 255,64 € majoré des intérêts légaux à dater du 18 avril 2011, outre une somme de 4 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'article 4.8 du Plan de Motivation est selon lui une clause potestative, au motif qu'il méconnaît une règle de principe du droit du travail, selon laquelle une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié, mais à la double condition, qu'elle soit fondée sur des éléments objectifs, indépendants de la volonté de l'employeur (impératif d'objectivité), et qu'elle permette au salarié de connaître et comprendre les éléments susceptibles de modifier sa rémunération (impératif de précision).

Par conclusions écrites et oralement soutenues à l'audience du 16 février 2015, la Compagnie IBM

France demande à titre principal de :

CONSTATER que l'article 4 du contrat de travail ne permet pas à la Compagnie IBM de modifier la rémunération de Monsieur X...,

CONSTATER la validité de la clause dite de « Transaction Significative »,laquelle ne modifie pas de manière unilatérale la rémunération de Monsieur X...,

DEBOUTER Monsieur X... de sa demande de rappels de salaire au titre de sa commission AIRBUS,

A titre subsidiaire,

JUGER que le versement de la somme de 26 860 € brut a rempli Monsieur X... de ses droits au titre de son reliquat de rémunération variable, et le condamner à payer à la Compagnie IBM France la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

II) L’arrêt du 5 mai 2015 de la Cour d’Appel de Versailles

1) Sur la nullité de l'article 4.8 de la clause de rémunération variable

Aux termes de l'article 1174 du code civil, toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige.

La condition potestative est celle qui ne dépend que de la volonté d'une partie à un contrat.

Le mode de rémunération d'un salarié étant un élément substantiel de son contrat de travail, il doit être clairement fixé et ne peut être modifié de manière unilatérale par l'employeur, sans que l'accord du salarié soit recueilli ; à défaut, elle ne peut s'analyser qu'en une condition potestative susceptible d'entraîner la nullité de la clause contractuelle relative au mode de rémunération.

En l'espèce, l'article 4.8 stipule que, par dérogation au principe général d'absence de plafonnement des rémunérations variables, un régime particulier est mis en place pour la réalisation des transactions exceptionnelles, exprimé dans les termes suivants : « On entend par Transaction significative toute transaction ou affaire qui, à elle seule, serait supérieure au quota total de l'élément de rémunération variable concerné pour la période de validité de votre plan. Dans ce cas, le fonctionnement normal du présent Plan s'en trouverait faussé, ce qui entraînerait un paiement disproportionné par rapport à la contribution réelle du collaborateur. En conséquence et afin de rétablir l'équilibre rompu, la Direction d'IBM France se réserve la possibilité d'ajuster le paiement en se fondant sur la contribution réelle du collaborateur à la signature de cette Transaction significative et/ou sur la relation entre ladite Transaction significative et le potentiel du territoire pris en compte lors de la détermination du quota. La direction d'IBM justifiera des raisons de cet ajustement. Vous acceptez expressément que le management d'IBM se réserve le droit d'ajuster le paiement des commissions liées à toute Transaction significative ».

La transaction avec la société AIRBUS, d'un montant de 2,5 millions d'euros, peut être sans aucun doute considérée comme une transaction exceptionnelle ou significative, vu l'importance de son montant, qui est supérieur au quota de Monsieur X... qui était fixé à 775 000 €.

En revanche, à la lecture de cette clause il n'est pas possible, d'une part de déterminer sur quels critères la société IBM se fonde pour apprécier tant « la contribution réelle du collaborateur à la signature de la transaction significative » que la « relation entre ladite Transaction significative et le potentiel du territoire », et d'autre part de comprendre en quoi consiste le « potentiel du territoire pris en compte lors de la détermination du quota ».

La société IBM s'explique sur un seul point : elle soutient que la transaction avec AIRBUS a été obtenue par les efforts d'un ensemble de salariés (également commissionnés), tant en Allemagne qu'en France, ce qui ne permet pas de considérer que le travail de Monsieur X... a été déterminant à lui seul pour la conclusion de cette transaction.

Or la société IBM n'apporte aucun élément objectif à ce sujet, se contentant de produire un document non signé et non daté, essentiellement rédigé en anglais et non traduit, dans lequel elle extrait deux lignes en français disant : « AIRBUS (deal de 2,5 M€) a été le fruit d'un travail de collaboration exceptionnel entre les équipes allemandes d'une part et les équipes services d'autre part » ; ce document, dont on ne comprend pas de quelle personne il émane ni à quelle date il a été rédigé, n'apparaît pas probant de par ses propos généraux et non objectifs.

Par ailleurs, en ne donnant pas d'éléments précis sur les ajustements et modalités de calcul du plafonnement de la commission variable pour transactions exceptionnelles, la société IBM n'a pas permis au salarié d'être en mesure d'apprécier la portée de son acceptation de cette clause au moment de sa signature, ni de savoir à posteriori sur quels critères le montant de sa rémunération variable a été effectivement calculée ; en l'absence de connaissance des critères retenus par la société IBM, cette clause de plafonnement d'une partie de la rémunération variable du salarié, s'avère incompréhensible et inapplicable.

Il est indiqué que la société IBM se réserve le droit d'ajuster le paiement des commissions, ce qui résume bien l'esprit général de cette clause, qui autorise l'employeur à fixer, par le biais d'une rémunération variable, une part importante du salaire de Monsieur X... sans aucune référence fiable (absence de critères clairs déterminés à l'avance) et transparente (absence d'explications sur le mode calcul et les critères finalement retenus au moment de la fixation de la rémunération), ce qui constitue une modification substantielle de son contrat de travail.

En conséquence, la clause 4.8 du plan de motivation est déclarée nulle, ce qui exclut le plafonnement de la rémunération variable de Monsieur X....

Il sera donc appliqué le mode de rémunération sans plafonnement ci- après expliqué.

2) Sur le chiffrage de la rémunération variable due

Les principes de calcul de la rémunération variable selon le Plan de Motivation IBM accepté par Monsieur X... exceptée la clause nulle : L'Ingénieur commercial IBM perçoit chaque mois un salaire fixé selon un mécanisme d'estimation d'une rémunération théorique.

Pour déterminer ce montant théorique, mais qui va être versé chaque mois à l'ingénieur commercial, IBM détermine un montant dit « OTE » (« On targets earnings »), qui lui-même correspond à 140 % de la « RTR » (« Rémunération théorique de référence »).

Dans l'OTE, la partie fixe (« base pay ») représente 55 % de la rémunération totale ; la partie variable (« target incentive », autrement dit « TI ») en représente par conséquent 45 %. Mais seul 85 % du TI sera pris en compte dans le calcul de la rémunération variable effectivement versée au salarié au terme de la période de référence et au vu des réalisations effectives, 15 % du TI étant affecté à des challenges.

Pour ce qui est de la partie variable, une régularisation intervient dans un deuxième temps au vu des réalisations effectives de l'ingénieur commercial. Celles-ci s'apprécient en termes de chiffres d'affaires, dénommé « revenu ».

Pour déterminer la régularisation due à l'ingénieur commercial au titre de sa partie variable, il faut appliquer un document interne dénommé Plan de Motivation.

Selon le Plan de Motivation IBM le calcul des commissions n'est pas linéaire mais se fait par tranches avec des accélérateurs. En dessous d'un certain seuil, aucune commission n'est payée. Au-delà de 100 % de réalisation sur objectifs, des accélérateurs s'appliquent.

Les calculs présentés par la société IBM ne tiennent compte que du cas où le salarié a atteint 100 % de ses objectifs.

Or, il n'est pas contesté que Monsieur X... a dépassé ces 100 % (soit 775 000 €) en 2010, de sorte qu'il convient de prendre en compte les calculs exposés par ce dernier, qui apparaissent conformes aux principes posés par le plan de motivation des équipes de vente (Team Quota Sales Plan 55/45) auxquelles il appartenait.

Son taux de réalisation des objectifs est fixé comme suit :

Il a réalisé 1 344 300 € de ventes (AIRBUS + SNCF) sur un quota de 775 000 €, soit 173,45 %.

Son OTE était de 78 094,80 €, d'où un variable TI de 45 %, soit 35 142,66 €, puis une base de calcul de la rémunération variable théorique de 85 % de 35142,66, soit 29 871,26 €.

Les calculs :

En appliquant les accélérateurs de la division Software, exposés en page 9 du plan de motivation, au sein de laquelle travaillait M. X..., on obtient les calculs suivants :

- pour 55 % d'objectifs atteints : 13,50 % (12,5 + 1) x 29 871,26 =032,62

- entre 55 et 69,99 % : 1,5 pour chaque 1 % atteint, soit 14,99 x 1,5=2,49

22,49 % x 29 871,26 =716,55

- entre 70 et 89,99 %, pour cette fourchette le plan de motivation fixe à 2 % pour chaque 1 % atteint, alors que dans sa pièce nº 8 (non commentée par la société IBM) il fait état de 2,3 (sans justificatif) ; 2% sera donc retenu, d'où : 2 x 19,99 =9,98

39,99 % x 29 871,26=1 942,52

- entre 90 et 99,99 % : 1,8 pour 1 % atteint, soit 9,99 x 1,8 =7,98

17,98 % x 29 871, 26 =371, 45

- entre 100 et 199,99 (en l'espèce jusqu'à 173,45), pour cette fourchette le plan de motivation fixe à 2 % pour chaque 1 % atteint, alors que dans sa pièce 8 il fait état de 2,5 % (sans justificatif), 2 % sera donc retenu

73,45 x 2 =46,90

146,90 % x 29871,23 =3 880,88

total : 4032,62 + 6716,55 + 11942,52 + 5371,45 + 43 880,88 =1 944,02 €.

Mr X... ayant perçu la somme de 43 450 € de rémunération variable, au lieu de 71 944,02

€, la société COMPAGNIE IBM FRANCE lui doit donc la somme de 28 494,02 €, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2011, date de la réception par la société IBM de la convocation en conciliation.

Frédéric CHHUM Avocat à la Cour

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A propos de l'auteur
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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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