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Preuve du harcèlement moral d’un salarié par un enregistrement clandestin : c’est possible ! (cass. soc. 10 juill. 2024)

Publié le 26/09/2024 Vu 101 fois 0
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La question de la preuve dans les affaires de harcèlement moral soulève des interrogations complexes, notamment concernant la recevabilité des éléments obtenus de manière déloyale.

La question de la preuve dans les affaires de harcèlement moral soulève des interrogations complexes, notamm

Preuve du harcèlement moral d’un salarié par un enregistrement clandestin : c’est possible ! (cass. soc. 10 juill. 2024)

Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Dès lors, doit être censurée la cour d'appel qui, pour écarter des débats un enregistrement clandestin d'un entretien avec l'employeur, retient que le salarié avait d'autres choix que d'enregistrer cet entretien pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois et que l'atteinte portée aux principes protégés en l'espèce n'était pas strictement proportionnée au but poursuivi, alors qu'il lui appartenait de vérifier si la production de l'enregistrement de l'entretien, effectué à l'insu de l'employeur, était indispensable à l'exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué, au soutien duquel le salarié invoquait, au titre des éléments permettant de présumer l'existence de ce harcèlement, les pressions exercées par l'employeur pour qu'il accepte une rupture conventionnelle, et, dans l'affirmative, si l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur n'était pas strictement proportionnée au but poursuivi

C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2024 (n° 23-14.900) publié au Bulletin.

Cet arrêt doit être approuvé.

1) Exposé du litige

Dans cette affaire, une salariée, employée par la société EPIC Domitia habitat OPH depuis 2010, a été licenciée le 4 juin 2015 pour cause réelle et sérieuse.

Elle a contesté son licenciement, soutenant qu'il résultait d'actes de harcèlement moral.

Devant le Conseil de prud’hommes, elle a réclamé des dommages-intérêts pour harcèlement moral et a contesté la légitimité de son licenciement.

En appel, elle a demandé la nullité de son licenciement.

2)Moyens

Sur le premier moyen, la salariée reproche à la cour d'appel de Montpellier d'avoir jugé son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, et de l'avoir déboutée de toutes ses demandes.

Elle critique la décision d’écarter des débats une preuve clé, à savoir la retranscription d’un enregistrement de l’employeur réalisé à son insu.

Ainsi, la demanderesse au pourvoi soutient que la Cour d’appel de Montpellier n’a pas suffisamment examiné si cet enregistrement était indispensable pour prouver les pressions exercées par l’employeur pour la pousser à accepter une rupture conventionnelle, et si l'atteinte aux droits de l'employeur était proportionnée au but poursuivi, privant ainsi la décision de base légale.

Dans un second moyen, la salariée reproche à la cour d’appel de ne pas avoir correctement évalué l’ensemble des faits qu’elle a invoqués pour prouver le harcèlement moral. Elle soutient que la Cour d’appel aurait dû examiner chaque fait isolément, puis les considérer ensemble, afin de déterminer s’ils permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, comme l’exigent les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

En ne prenant pas en compte ces faits dans leur globalité, la salariée estime que la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

3)Réponse de la Cour et analyse

Sur la recevabilité de la preuve, la Cour de cassation vise l'article 9 du Code de procédure civile, qui dispose  que la preuve doit être conforme à la loi, et sur l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), qui garantit le droit à un procès équitable.

Ces textes soulignent que l'illicéité ou la déloyauté d'un moyen de preuve ne doit pas nécessairement conduire à son exclusion si elle est essentielle à la défense du salarié.

Par ailleurs,  la Cour de cassation rappelle dans un premier temps que, selon le principe général, les preuves doivent être obtenues loyalement.

Toutefois, elle admet que des éléments de preuve apportés au soutien d’une argumentation dans un procès civil, même obtenus de manière déloyale ou illicite, peuvent être acceptés au soutien de la demande.

En effet, le juge doit apprécier, lorsqu'il en est saisi, si l'utilisation de cette preuve nuit à l'équité de la procédure dans son ensemble.

Cela implique une mise en balance entre le droit à la preuve et les droits opposés, le droit à la preuve pouvant de ce fait justifier la présentation d'éléments même s'ils portent atteinte à d'autres droits, à deux conditions : d’une part que cette production soit indispensable et d’autre part que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Dans cette affaire, l'enregistrement avait été réalisé lors d'un entretien où l'employeur exerçait des pressions pour obtenir la signature d'une rupture conventionnelle.

La Cour d'appel de Montpellier avait ainsi, selon la Cour de cassation, de manière erronée considéré que d'autres moyens de preuve étaient possibles, sans évaluer les difficultés pratiques de prouver de telles pressions sans enregistrement.

Cette approche n'est pas nouvelle.

En effet, La Cour de cassation a déjà affirmé que le salarié peut rapporter des éléments obtenus sur son lieu de travail sans qu'il soit nécessaire de le sanctionner pour cela, tant que ces éléments lui permettent de se défendre efficacement (Soc. 30 juin 2004, n° 02-41.720).

De même, reprographier des documents de travail, sans autorisation, ne suffit pas à rejeter la preuve si celle-ci est cruciale pour sa défense.

Ce principe est fondamental en matière de protection des droits individuels, en particulier dans un contexte de harcèlement où la victime peut éprouver des difficultés à établir les faits.

D’autre part, la Cour a souligné que le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, y compris les documents médicaux, et évaluer si les faits, pris dans leur globalité, permettent de présumer un harcèlement.

En effet, selon les articles L.1154-1, L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 du Code du travail, il suffit pour le salarié de présenter des éléments laissant présumer l'existence du harcèlement.

L'employeur, ensuite, devra prouver que les faits rapportés ne sont pas constitutifs de harcèlement.

Les juges disposent ainsi d'un pouvoir souverain d'appréciation concernant les faits de harcèlement moral sur l'ensemble des éléments de preuve et faits allégués, qui doivent être considérés de manière cumulative pour établir un harcèlement.

En l'espèce, la Cour de cassation reproche donc à la cour d'appel de Montpellier de rejeter les demandes de la salariée sans analyser plusieurs éléments cruciaux, tels que le manque de formation, les sanctions injustifiées, et les autres faits avancés, ce qui prive sa décision de base légale. Par conséquent, la Cour casse l'arrêt de la Cour d’appel de Montpellier et l'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Nîmes pour un nouvel examen.

Finalement, cet arrêt doit être salué car réaffirme l'importance d'une appréciation équilibrée des droits des parties en présence.

La jurisprudence évolue avec cet arrêt vers une reconnaissance des réalités du harcèlement moral au travail, permettant aux victimes de recourir à des moyens de preuve qui, bien que déloyaux, peuvent s'avérer essentiels pour faire valoir leurs droits, tant que leur usage est justifié et proportionné.

 

 

Source :

Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-14.900

https://www.courdecassation.fr/decision/668e2438fcf93851fdd644e3

 

Droit à la preuve : recevabilité d’une preuve issue d’un système illicite de vidéosurveillance

https://www.village-justice.com/articles/droit-preuve-recevabilite-une-preuve-issue-systeme-illicite-videosurveillance,49137.html

 

Droit à la preuve en matière civile : recevabilité d’une preuve déloyale.

https://www.village-justice.com/articles/revirement-recevabilite-une-preuve-deloyale,48326.html

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

Elise de Langlard juriste

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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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