1) Faits et procédure
Madame X a été engagée, en contrat à durée indéterminée, à compter du 10 juin 2002.
A compter du 1er juin 2014, en vue de son intégration au sein du Groupe DELOITTE elle changeait de fonction et passait en forfait annuel en jours.
Par avenant tripartite en date du 1er octobre 2018, son contrat de travail était transféré au sein de X Conseil.
La dernière fonction de Madame X est Senior consultant.
Les relations de travail sont régies par la convention X.
La rémunération moyenne annuelle est d’après le demandeur : 5 081,17 euros et d’après la défenderesse : 4 488,39 euros.
DELOITTE CONSEIL emploie entre 250 et 300 collaborateurs.
Madame X a été licenciée pour insuffisance professionnelle le 12 septembre 2020.
Elle a saisi le Conseil X pour dire et juger son licenciement sans cause réelle ni sérieuse, juger la convention de forfait inopposable et faire droit à ses demandes de rappel d’heures supplémentaires.
La défenderesse demande, pour le cas où la convention de forfait serait déclarée inopposable, le remboursement par la demanderesse de ses jours de RTT.
2) Jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 21 novembre 2022 (section encadrement)
Le Conseil de prud’hommes de Paris :
. Fixe le salaire mensuel de Madame X à la somme de 4 488,39 euros
. Condamne DELOITTE CONSEIL à verser à Madame X les sommes suivantes :
- A titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 54 000 euros
Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement.
- Au titre de l’article 700 du Code de procédure civile : 1 000 euros
Déboute Madame X du surplus de ses demandes.
Déboute la DELOITTE CONSEIL de ses demandes reconventionnelles.
Ordonne à la DELOITTE CONSEIL la remise des documents sociaux conformes à Madame X.
Condamne la DELOITTE CONSEIL aux dépens.
Le jugement est définitif, les parties n'ayant pas interjeté appel.
2.1) Sur le licenciement
Vu les articles du Code de Procédure Civile suivant :
Article 5 : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ».
Article 6 : « A l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder ».
Article 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Vu les éléments recueillis à la barre et dans les dossiers de plaidoirie,
Vu l’article L1232- du Code du travail : « Tout licenciement pour motif personnel (…) est justifié par une cause réelle et sérieuse ».
Vu l’article L1235-1 du Code du travail : « En cas de litige, (…) le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié. »
En l’espèce,
La demanderesse fait état de ses entretiens d’évaluation positifs du 4 mai 2018 au 31 mars 2019 qui font état d’une performance conforme aux attentes, de délais tenus, d’application des procédures, de réalisation correcte des tâches confiées. L’entretien pour la période du 1er octobre 2018 au 31 décembre 2018 indique que l’ensemble des performances sont « conformes aux attentes » et « bonne intégration à l’équipe ». L’entretien du 1er janvier 2019 au 31 mars 2019 est identique.
La demanderesse indique avoir perçu une prime de 1 000 euros en juillet 2019.
La défenderesse indique que ces mêmes entretiens concluent tous à la nécessité d’améliorer sa proactivité, son autonomie et sa valeur ajoutée mais ne conteste pas la réalisation conforme aux attentes des missions confiées jusqu’alors.
La défenderesse indique que la prime versée en juillet 2019 était une prime d’encouragement mais ne le démontre pas.
Le Conseil en conclut que jusqu’en juillet 2019, les compétences de la demanderesse dans sa fonction étaient conformes aux attentes de sa direction, même si des améliorations pouvaient être souhaitées.
La demanderesse indique avoir été une seule fois en retard à un rendez-vous et avoir prévenu son associé, ce que ne conteste pas la défenderesse.
La demanderesse ne conteste pas ne pas avoir accepté l’invitation de sa RRH mais rappelle qu’elle était présente au rendez-vous.
Le Conseil dit que ce dernier grief, comme celui non étayé de la confusion entre manager RH et responsable RH ne sont pas sérieux.
La demanderesse conteste son évaluation de juin 2020 au motif qu’elle était en intercontrat depuis le mois de septembre 2019 et avait en sus été en activité partielle de mai à juillet 2020.
La défenderesse lui fait grief de ne pas avoir démarré son parcours CMT pendant cette période mais ne démontre pas comment elle évalue « en dessous des attentes » une salariée qui n’était pas en mission.
La demanderesse conteste le grief de taux bas de staffing avec les mêmes arguments et la défenderesse ne produit aucun élément démontrant qu’elle aurait été refusée chez les clients ou non proposée par les commerciaux en raison de leur manque de compétences.
En conséquence,
Le Conseil requalifie le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Vu l’article L1235-3 du Code du travail : « Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, (…) ».
En l’espèce,
La demanderesse démontre toujours bénéficier d’allocations chômage à la date de la présente audience.
Le Conseil après avoir considéré la période effective de chômage, le montant de l’ARE, fait droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 54 000 euros après avoir fixé la rémunération mensuelle moyenne de 4 488,39 euros (montant brut fiscal annuel moins les indemnités pour congés payés et RTT).
2.2) Sur le forfait jours
Vu l’article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
Vu l’article L3121-63 du Code du travail : « Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ».
Vu l’article L3121-64 du Code du travail : « L’accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l’année détermine. »
(…)
En l’espèce,
La demanderesse, à laquelle incombe la charge de la preuve, a signé un avenant contrat de travail le 23 avril 2013 qui fait état de la durée du travail en forfait annuel en jours applicable à compter du 1er juin 2014.
La défenderesse argue que la demanderesse a signé un avenant tripartite, applicable au 1er octobre 2018 qui transfère son contrat au sein de la DELOITTE CONSEIL et qui spécifie qu’elle est soumise aux dispositions de la Convention X, précise ses nouvelles fonctions et classifications conventionnelles et spécifie que les autres clauses du contrat de travail restaient inchangées, que la demanderesse était donc bien informée des conditions du forfait jours.
La défenderesse produit aussi les bulletins de salaire précisant le forfait annuel en jours.
La demanderesse allègue que sa charge de travail n’était pas contrôlée mais ne le démontre pas.
La défenderesse produit les entretiens X pour les années 2018 et 2019, dont ni la tenue, ni le contenu ne sont contestés par la demanderesse.
En conséquence,
Le Conseil dit que la demanderesse, en signant l’avenant du 1er octobre 2018 et en ne contestant pas les mentions de ses bulletins de salaire, a accepté les conditions de la convention de forfait jours prévue par la Convention X,
Dit que le contrôle de la charge de travail est démontré,
Déboute la demanderesse de sa demande d’inopposabilité de la convention de forfait jours et par voie de conséquence, de ses demandes d’heures supplémentaires, de repos compensateur et indemnité de travail dissimulé,
Dit qu’en conséquence, la demande reconventionnelle de remboursement de jours de RTT est sans fondement.
Vu L’article L3243-2 du Code du travail : « Lors du paiement du salaire, l’employeur remet aux personnes mentionnées à l’article L.3243-1 une pièce justificative dite bulletin de paie ».
Vu l’article R 1234-9 du Code du travail : « L’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L.5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestationsà Pôle emploi ».
En l’espèce et en conséquence,
Le Conseil ordonne à l’employeur la production des documents sociaux (bulletin de paie, attestation Pôle Emploi) conformes au présent jugement
Vu l’article 1343-2 du Code civil : « Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise ».
Le juge ne peut ordonner la capitalisation des intérêts qu’à compter de la demande qui en est faite et ne peut rétroagir avant cette demande.
Elle ne peut être demandée pour les intérêts à venir que dès lors qu’une année entière de capitalisation sera écoulée.
En l’espèce et en conséquence,
Le Conseil dit et juge que la capitalisation des intérêts n’est pas retenue et le demandeur est donc débouté de sa demande de ce chef.
Vu l’article 1231-7 du Code civil : « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de dispositions spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement. »
En l’espèce et en conséquence :
Le Conseil dit et juge que les condamnations porteront intérêts au taux légal en application de l’article 1231-7 du Code civil à compter de la date du présent jugement
Déboute la demanderesse du surplus de ses demandes.
Dit qu’il y a lieu à faire droit à sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 1 000 euros et déboute la partie défenderesse de sa demande sur le même fondement.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Frédéric CHHUM
Avocat
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