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Par jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 11 mai 2023, ce dernier requalifie les CDDU successifs d’un animateur radio en CDI et juge la rupture sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est définitif.
1)Â Â Â Â Â Faits
Monsieur X a été embauché par Radio France en qualité d’Animateur sous CDDU successifs du 23 juillet 1989 au 6 septembre 1991 puis du 30 juillet 2001 au 1er juillet 2022 date à laquelle les CDDU n’ont pas été renouvelés.
Le salaire moyen brut s’élève à 5 185 euros.
L’animateur a saisi le Conseil de prud’hommes en requalification de ses CDDU en CDI et requalification de la rupture en licenciement sans cause.
2)     Jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 11 mai 2023
Le Conseil après en avoir délibéré conformément à la loi a prononcé, par mise à disposition au greffe, le 11 mai 2023, le jugement suivant :
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le Conseil considérant l’action non prescrite pour les contrats à compter du 30 juillet 2001 ;
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Requalifie les CDDU en CDI avec reprise d’ancienneté au 30 juillet 2001 ;
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Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
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Fixe le salaire moyen à la somme de 5185 euros bruts ;
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Condamne la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE à verser à Monsieur X les sommes suivantes :
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-         15555,00 euros à titre d’indemnité de requalification ;
-         10370,00 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
-         1037,00 euros au titre des congés payés afférents ;
-         19829,69 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
-         51850,00 euros nets à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
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-         En application de l’article L1235-4 du Code du travail, ordonne à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIOFRANCE de rembourser Pôle Emploi, les indemnités chômage versées à Monsieur X du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités chômage ;
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-         2000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
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Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir ;
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Déboute Monsieur X du surplus de ses demandes ;
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Déboute la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIOFRANCE de sa demande au titre de l’article l 700 du Code de procédure civile ;
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Condamne la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIOFRANCE aux dépens.
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2.1) Concernant la rémunération moyenne brut :
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Le Conseil, constatant que ce montant n’est pas contesté en défense, fixe la rémunération brute mensuelle à 5185 euros.
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2.2) Concernant la qualification de la relation de travail :
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2.2.1) Sur la prescription :
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Selon l’article L1471-1 du Code du travail, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son droit.
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S’agissant d’une action en requalification, en présence d’une irrégularité de forme, le délai de prescription court à compter du jour de la conclusion de ce contrat.
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En présence d’une irrégularité sur le motif du recours au CDD, le point de départ de la prescription biennale est le terme du contrat, ou, en cas de succession de contrats, le terme du dernier contrat.
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En l’espèce, s’agissant des contrats conclus entre le 23 juillet 1989 et 6 septembre 1991, l’action est prescrite.
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S’agissant de la dernière période de relations contractuelles, elle a débuté le 30 juillet 2001 pour l’achever le 1er juillet 2022 et Monsieur X, qui conteste le motif du recours au CDDU a saisi le Conseil le 19 octobre 2022.
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Le Conseil dit par conséquent l’action non prescrite pour les contrats qui se sont enchaînés du 30 juillet 2001 au 1er juillet 2022.
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2.2.2) Sur la demande de requalification des CDDU en CDIÂ :
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La Directive Européenne n°99-70 du 28 juin 1999 1999/70 a donné force obligatoire est contraignante à l’accord cadre européen CES, UNICE ET CEEP sur le travail à durée déterminée n°1999/70 du 18 mars 1999. Ledit accord cadre exige des Etats membres de l’Union Européenne, en sa clause 5.1, qu’ils prennent les mesures destinées à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou relation de travail à durée déterminée successifs en introduisant l’une ou plusieurs des mesures suivantes (en tenant compte des besoins des secteurs spécifiques et des catégories de travailleurs) : Des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; la durée maximum totale de contrats et relations de travail à durée déterminée successifs ; le nombre de renouvellements.
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Selon l’article L1245-1 du Code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance, notamment, des dispositions des articles L1242-1 à L1242-4, L1242-6, L1242-7, L1242-8-1, L1242-12, alinéa premier, L1243-11, alinéa premier, L1243-13-1, L1244-4-1, et des stipulations des conventions ou accords de branche conclus en application des articles L1242-8, L1243-13, L1244-3 et L1244-4.
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Il résulte des dispositions de l’article L1242-2 du Code du travail, que le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
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Sous réserve des dispositions de l’article L1242-3 du code du travail, il ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas énumérés à l’article L1242-2, soit, s’agissant de la présente affaire, pour des (…) 3° Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (…) ;
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L’article D1242-16° du Code du travail vise expressément l’audiovisuel parmi les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
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L’accord collectif du 31 mars 2017 pour les personnes techniques et administratifs, les salarié(es) en CDDU et les musicien-nes des formations permanentes de RADIO FRANCE liste les fonctions auxquelles il peut être pourvu en CDDU, mentionnant notamment les animateur-trices.
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La CDDU doit ainsi répondre aux 3 conditions cumulatives suivantes :
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Intervenir dans un secteur d’activité définis par décret ou accord collectif étendu ;
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L’exitence dans ce secteur d’un usage constant permettant de ne pas recourir pour l’emploi considéré à un CDI ;
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L’existence de raisons objectives fondées sur des éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
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En l’espèce, l’accord collectif du 31 mars 2017 autorise bien le recours au CDDU pour l’emploi d’animateur.
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Le Conseil constate cependant que la société RADIO FRANCE ne produit aucun élément démontrant l’existence d’un usage constant de ne pas recourir au CDI pour l’emploi d’animateur puisqu’elle indique même, dans ses écrits, que monsieur X n’aurait pas postulé aux CDI qu’elle proposerait régulièrement par mail à ses collaborateurs.
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Le Conseil constate en outre que si, comme l’indique l’employeur, les émissions auxquelles Monsieur X a participé ont pu varier dans le temps, son activité au sein de RADIO FRANCE était régulière et permanente depuis le 30 juillet 2001, quand bien même elle aurait connu une interruption de quelques mois entre juillet 2006 et octobre 2007, ce qui n’est pas formellement établi.
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Le Conseil, estime d’une part que l’employeur échoue à démontrer le caractère par nature temporaire de l’emploi d’animateur occupé par le demandeur et, d’autre part, que la succession des multiples CDDU d’animateur depuis le 30 juillet 2001 a eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le Conseil requalifie donc la relation de travail en contrat à durée indéterminée du 30 juillet 2001 au 1er juillet 2022.
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2.2.3) Sur l’indemnité de requalification :
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Selon l’article L1245-2 alinéa 2 du Code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande de requalification de CDD en CDI, il accorde au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
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En l’espèce, Monsieur X demande une indemnité de requalification à hauteur de 10 mois de salaires alors qu’il ne démontre pas un préjudice propre à justifier un tel quantum.
Le Conseil, constatant toutefois la persistance de CDDU durant 20 années, condamne Société RADIO FRANCE à verser à Monsieur X la somme de 15555 euros représentant 3 mois de salaires à titre d’indemnité de requalification.
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2.3) Concernant la rupture de la relation contractuelle :
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Lorsqu’une succession de CDD est requalifiée en CDI, la survenance du terme du dernier CDD s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Selon l’article L1232-2, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.
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La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre de remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.
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L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
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Selon l’article L1232-3 du même code, au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.
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Selon l’article L1232-6 du même code, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.
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Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.
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En l’espèce, le Conseil constate que le salarié a effectivement été averti le 25 avril de la fin de la collaboration avec l’employeur mais qu’il n’a pas été formellement convoqué ni reçu à un entretien préalable à un éventuel licenciement et qu’il n’a pas d’avantage reçu de courrier lui notifiant formellement son licenciement.
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Le Conseil dit par conséquent que la survenance du terme du dernier contrat de Monsieur X, le 1er juillet 2022 est un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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2.3.1) Concernant l’indemnité de préavis :
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Sauf licenciement pour faute grave ou lourde, l’accord collectif du 31 mars 2017 prévoit, en son article XIII.5, qu’en cas de licenciement individuel, le salarié, bénéficiera, d’un préavis de 2 mois ou, le cas échéant, de l’indemnité correspondante.
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En l’espèce RADIO FRANCE prétend que le préavis a été effectué dans la mesure où la fin de la collaboration a été notifiée à Monsieur X le 25 avril, le jour même de l’entretien au cours duquel elle lui a été annoncé, alors que la relation contractuelle ne s’est réellement achevée que le 1er juillet suivant.
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Cependant, le Conseil constate que la rupture a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la procédure à suivre en pareil cas n’a pas été respectée. RADIO FRANCE ayant pris l’initiative de la rupture sans respecter formellement, notamment, le préavis, Monsieur X, a droit à une indemnité compensatrice correspondant à 2 mois de salaires, outre les congés payés afférents.
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Le Conseil condamne donc RADIO FRANCE a versé à Monsieur X 10370 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 1037 euros au titre du CP afférents.
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2.3.2) Concernant l’indemnité conventionnelle de licenciement :
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L’article XIII.2.3 de l’accord collectif du 31 mars 2017 prévoit, en cas de licenciement, le versement d’une indemnité égale à 1 mois de rémunération pour la tranche comprise entre 1 an et 12 ans révolus d’ancienneté, ¾ de mois de rémunération entre 13 et 20 ans révolus, ½ mois de rémunération pour la tranche comprise entre 21 et 30 ans révolus d’ancienneté.
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En l’espèce, au 1er juillet, Monsieur X justifiait depuis le 30 juillet 2001 d’une ancienneté de 20 ans et 11 mois et était donc fondé à prétendre une indemnité de 95704,73 euros.
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Le Conseil, constatant que le salarié a perçu une indemnité de fin de CDDU de 75875,04 euros, condamne donc la société RADIO FRANCE à verser à Monsieur X, après déduction de cette indemnité de fin de collaboration, une indemnité conventionnelle de licenciement de 19829,69 euros.
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2.3.3) Concernant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
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Selon l’article L1235-3 du Code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau annexé audit article.
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Pour un salarié dont l’ancienneté est comprise entre 20 et 21 ans, l’indemnité est comprise entre 3 et 15,5 mois de salaires.
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En l’espèce, Monsieur X, sollicite le montant maximal de cette indemnité alors que, disposant d’autres activités et d’autres revenus professionnels, il ne démontre pas une précarité telle qu’elle justifiait un préjudice supérieur à ce que représente une rupture de collaboration étroite et prolongée.
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Le Conseil condamne par conséquent l’employeur à verser à Monsieur X une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 51850 euros.
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2.4) Concernant l’exécution déloyale du contrat de travail :
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Selon l’article L1222-1, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
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Le Conseil constate que Monsieur X invoque les nouvelles fonctions qui lui ont été confiées à compter de 2020 pour alléguer, sans précisément l’étayer, un « déclassement » alors que sa rémunération n’a pas été réduite.
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Le Conseil, estimant que le salarié ne démontre pas suffisamment la mauvaise foi de son employeur et ne justifie pas précisément le montant de son préjudice, le déboute de ses demandes indemnitaires au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
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2.5) Concernant la délivrance des documents sociaux :
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Le Conseil ordonne à RADIO FRANCE de remettre à Monsieur X les documents sociaux conformes à la présente décision mais n’estime pas nécessaire d’ordonner l’astreinte.
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2.6) Concernant les indemnités Pôle Emploi :
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Selon l’article L1235-4 du Code du travail, dans les cas prévus aux articles L1132-4, L1134-4, L1144-3, L1152-3, L1153-4, L1235-3 et L1235-3 et L1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
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Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
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Le Conseil condamne donc l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à Monsieur X du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de 6 mois d’indemnités.
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2.7) Concernant les demandes présentées au fondement de l’article 700 du Code de procédure civile :
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Le Conseil estime qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X la totalité des frais qu’il a dû exposer dans la présente instance.
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En conséquence, le Conseil condamne la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIOFRANCE à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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