Car si le licenciement d’un salarié en raison de son état de santé ou bien de son handicap est prohibé (L. 1132-1 code du travail), la jurisprudence admet des exceptions, notamment lorsque l’absence prolongée du salarié perturbe objectivement le bon fonctionnement de l’entreprise et appelle nécessairement à un remplacement définitif.
La Cour de cassation affirme à cet effet que le remplacement définitif d’une salariée licenciée pour absence prolongée peut intervenir six mois après la rupture du contrat de travail, sans que cela n’affecte le caractère nécessaire du remplacement ainsi que le caractère raisonnable du délai et par-là, la validité du licenciement.
La Cour de cassation souligne plus spécifiquement à cet égard, que le délai de 6 mois ne va pas à l’encontre de son caractère raisonnable, et que ce dernier reste à l’appréciation souveraine et in concreto des juges du fond.
1) Rappel des faits
En l’espèce une salariée a été engagée le 17 avril 2009 en qualité de Directrice par une association. Elle est placée en mai 2012 en arrêt de travail.
Du fait de son absence prolongée pour maladie, et en raison de la désorganisation du fonctionnement de l’association qui en résulte, ainsi que la nécessité de procéder à son remplacement définitif, cette dernière est licenciée le 27 mars 2013.
La salariée saisit la juridiction prud’homale afin de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une demande de nullité de son licenciement sur le fondement de l’article L.1132-1 du code du travail. Elle estime en effet être victime d’une discrimination liée à son état de santé, car son remplacement définitif n’étant intervenu que six mois après son licenciement remet en cause son caractère nécessaire qui conditionne la validité d’un licenciement lorsqu’il est intimement lié à une cause discriminatoire.
Dans un arrêt rendu le 28 août 2018, la cour d’appel de Paris a jugé que l’absence prolongée de la salariée avait perturbé le fonctionnement de l’entreprise et rendait nécessaire son remplacement bien que celui-ci n’est intervenu que six mois après le licenciement, et rejette ainsi les demandes de la salariée.
La salariée s’est pourvue en cassation.
2) Moyen du pourvoi
La salariée fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris de la débouter de ses différentes demandes tenant à la requalification ou l’annulation de sa rupture du contrat de travail.
La salariée soutient principalement que le délai au terme duquel son remplacement définitif est intervenu n’est pas raisonnable et qu’il doit toujours être effectif à une date proche du licenciement lorsque celui-ci résulte d’une absence prolongée pour arrêt maladie qui perturbe le fonctionnement de l’entreprise.
C’est pourquoi, la salariée avance que la nécessité de procéder à son remplacement n’était pas établie dès lors que celui-ci n’est intervenu que six mois après son licenciement, un délai assez prolongé et étendu au regard de la perturbation du fonctionnement de l’entreprise.
3) Le remplacement d’une salariée licenciée pour une absence prolongée qui perturbe le fonctionnement objectif de l’entreprise, peut-il intervenir raisonnablement six mois après le licenciement ? Oui, répond la Cour de cassation
La Cour de cassation répond par la positive en reconnaissant le caractère raisonnable du délai et rejette le pourvoi principal formé par la salariée, le licenciement étant ainsi fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Au visa de l’article L.1132-1 du code du travail, la Cour de cassation affirme que si un salarié peut être licencié, non pas en raison de son état de santé, mais en raison de la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée, le licenciement n’en est pas moins valide lorsque le remplacement définitif intervient six mois après.
Plus précisément, la Cour de cassation indique que l’appréciation du délai raisonnable par lequel l’employeur doit procéder à un remplacement définitif appartient aux juges du fond lorsqu’il n’intervient pas à une date proche du licenciement.
De même, la décision de la Cour de cassation ne se contente pas de rappeler le pouvoir dont sont dotés les juges du fond, mais précise que ce pouvoir doit être exercé in concreto, c’est-à-dire au regard de la spécificité de chaque cas d’espèce, en tenant compte des spécificités de l’entreprise et de l’emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l’employeur en vue d’un recrutement.
En l’espèce, le délai par lequel l’employeur a procédé au remplacement définitif de la salariée a donc été jugé valable car si le remplacement n’a effectivement pas été effectif à une date proche du licenciement, l’employeur a néanmoins effectué des recherches directement après le licenciement.
En effet, la salariée a été licenciée fin mars 2013, et c’est début avril 2013 que l’employeur a engagé une procédure de recrutement.
Il s’agit en fin de compte, plus une obligation de moyens renforcés qu’une obligation de résultat qui est incombée à l’employeur en termes de remplacement.
Car il convient à l’employeur, non pas de trouver un remplacement effectif dès le licenciement du salarié, mais seulement d’effectuer les démarches en ce sens comme l’a fait l’employeur en l’espèce lorsque après avoir engagé la procédure de recrutement suite au licenciement, il a reçu différentes candidatures à compter du 9 avril et fait passer des entretiens jusqu’en juillet pour enfin recruter en septembre.
Les juges du fond ont ainsi pris en considération la particularité du poste de travail de Directeur faisant l’objet du remplacement, et notamment la difficulté pour l’employeur de trouver un remplaçant qualifié afin de juger raisonnable le délai écoulé entre mars et septembre et justifié par une cause réelle et sérieuse le licenciement.
Si cet arrêt rendu par la Cour de cassation se distingue par son importance, il ne constitue néanmoins pas un revirement de jurisprudence ni une innovation.
En effet, l’exception selon laquelle l’employeur peut procéder au licenciement d’un salarié absent pour arrêt maladie est admise depuis longtemps par la jurisprudence, à condition que l’employeur démontre plusieurs conditions objectives et afférentes au strict fonctionnement de l’entreprise.
A cet égard, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 13 mars 2001(n°99-40.110) admettait déjà que les juges ont la qualité pour rechercher si l’absence du salarié perturbe ou non le fonctionnement de toute l’entreprise. De même, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière le 22 avril 2011 a affirmé que la perturbation devait rendre nécessaire le remplacement définitif du salarié (n°09-43.334).
Et si le 16 septembre 2009 la chambre sociale décidait que le remplacement définitif du salarié absent devait intervenir à une date proche du licenciement, par un arrêt du 28 octobre 2009, la Cour de cassation admettait que celui-ci pouvait être compris dans un délai raisonnable.
Par conséquent, ce présent arrêt du 24 mars 2021 se distingue particulièrement en ce qu’il encadre l’appréciation de ce délai raisonnable.
Sources :
· Cass. soc. 24 mars 2021, n°19-12.188 FS-PI
· Licenciement pour absence prolongée : 6 mois pour remplacer une directrice est un délai raisonnable, Valérie DUBOIS
· L’appréciation du « délai raisonnable » pour remplacer un salarié licencié en raison d’une absence prolongée, Luc de MONTVALON
Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Sarah Bouschbacher juriste
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