La Cour de cassation considère que si l’accord du salarié est requis pour obtenir le fractionnement des congés payés, cet accord ne peut toutefois pas résulter d’une stipulation du contrat de travail sans que ne soient consultés les délégués du personnel.
1) Faits
Plusieurs salariés ont été recrutés dans une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pâtes traditionnelles brick et filo sous l’estampille « casher » qui impose notamment le respect de certaines règles relatives au judaïsme.
Parmi celles-ci, il est particulièrement prescrit de travailler ou de faire travailler les samedis et durant les fêtes juives.
De ce fait, les contrats de travail qui liaient les salariés à la société, stipulaient que les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes juives, étaient obligatoirement décomptés des congés payés.
Les salariés ont donc saisi la juridiction prud’homale afin de demander la condamnation de leur employeur au paiement de diverses sommes relatives à la privation de leurs droits à congé relatifs tant à la privation du congé annuel légal, qu’à la privation des deux jours supplémentaires dus au fractionnement.
Par un arrêt du 18 décembre 2019, la cour d’appel de Versailles a fait droit aux demandes des salariés, considérant que la liste des fêtes concernées et leur durée n’était pas précisée « pour valoir agrément des salariées au fractionnement de leur congé principal » tout comme l’employeur ne « justifiait pas d’un avis conforme exprès des délégués du personnel » autorisant le recours à une telle pratique.
L’employeur s’est alors pourvu en cassation sur le fondement de l’article L.3141-18 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qui dispose que « lorsque le congé ne dépasse pas douze jours ouvrables, il doit être continu » et sur le fondement de l’article L.3141-20 du code du travail qui prévoit plusieurs dérogations aux règles de fractionnement des congés, notamment à l’égard des règles concernant l’accord des salariés dans le cadre d’un congé accompagné de la fermeture de l’établissement.
2) Moyens
L’employeur fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de le condamner à payer des dommages-intérêts pour privation du congé annuel légal aux salariés.
Sur le fondement de l’article L3141-18 cité ci-dessus, l’employeur soutient que le congé annuel légal, ou bien dit autrement, congé principal dès lors qu’il est supérieur à douze jours ouvrables et au plus égal à 24 jours ouvrables, peut être fractionné par l’employeur avec l’accord du salarié.
De même l’employeur convient que « si l’acceptation par le salarié doit être expresse et ne peut résulter de la seule exécution du contrat de travail sans contestation », il rappelle néanmoins que « cette acceptation peut se prouver par tous moyens ».
Par-là, il souligne tout particulièrement que « les contrats de travail des salariés stipulaient que la société était sous contrôle du consistoire israélite », ce qui impliquait en conséquence que les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes religieuses soient obligatoirement décomptés des congés payés.
Par ailleurs, l’employeur oppose à la cour d’appel que « lorsque le congé s’accompagne de la fermeture de l’établissement, le fractionnement peut être réalisé par l’employeur sur avis conforme des délégués du personnel ou, à défaut, avec l’agrément des salariés » ces conditions étant bien alternatives et non cumulatives, conformément à l’article L.3141-20 du code du travail.
De plus, pour appuyer son argumentaire, l’employeur relève que le fractionnement des congés payés était valide dès lors que les salariés, y compris ceux titulaires d’un mandat électif, avaient donné leur consentement dans leur contrat de travail qui prévoyait cette configuration.
3) Le salarié peut-il renoncer dans le contrat de travail à ses droits en matière de fractionnement du congé principal ? Non, répond la Cour de cassation
La Cour de cassation répond par la négative et rejette le pourvoi formé par l’employeur sur le fondement des articles L.3141-18 et L3141-19 du code du travail, le dernier disposant que « des jours supplémentaires de congé sont dus quand des congés d’une certaine durée sont pris en dehors de la période légale, à moins que des dérogations ne soient intervenues par accord individuel ».
En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que « le salarié ne pouvant pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public, avant que ce droit ne soit né, il ne peut renoncer dans le contrat de travail à ses droits en matière de fractionnement du congé principal ».
Ces droits tenaient au consentement au fractionnement du congé principal qui n’était pas requis en l’espèce, ainsi qu’aux jours de congés supplémentaires du fait de ce fractionnement.
De même, si les salariés avaient en apparence consenti à un tel fractionnement dès la formation de leur contrat de travail, cela n’est néanmoins pas suffisant au regard de la Cour de cassation qui insiste sur le fait que l’avis conforme en ce sens, des délégués du personnel, aurait dû être requis pour que le consentement des salariés soit considéré comme clair et non équivoque.
De cette manière, l’employeur est donc condamné à payer diverses sommes aux salariés à titre de dommages-intérêts pour privation du congé annuel légal et des deux jours supplémentaires dus au fractionnement.
Cet arrêt de la Cour de cassation se démarque en ce qu’il tranche pour la première fois la question de savoir si l’accord du salarié donné par avance sur le fractionnement de ses congés payés ainsi que sur sa renonciation à son droit à des congés supplémentaires.
La solution se base sur une jurisprudence qui prohibait d’ores et déjà ces accords anticipés pour tout ce qui concernait les règles d’ordre public encadrant le contrat de travail à durée indéterminée (Cass. Soc., 30 mars 2005, n°02-46.103), jurisprudence désormais appliquée aux congés.
Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’opportunité par le biais de cette décision de la cour d’appel, de souligner l’importance des organisations collectives pour la protection des intérêts des salariés contre les employeurs, quand bien même leur contrat de travail serait encadré par le respect de certaines règles religieuses particulières.
Source :
c.cass., 5 mai 2021, n°20-14.390
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/513_5_46983.html
Frédéric CHHUM, Avocat à la Cour et Membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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