La prise d’acte est une arme entre les mains du salarié en cas de manquement grave de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail.
En effet, elle rend compte d’une situation de fait qui n’est pas régie par le code du travail : celle du salarié qui annonce à son employeur qu’il quitte l’entreprise en raison d’un ou de plusieurs manquements de ce dernier à ses obligations contractuelles, ou d’un comportement fautif.
Il incombe alors au juge de déterminer laquelle des parties est à l’origine de la rupture du contrat.
Le présent article synthétise le régime de la prise d’acte.
1) Faits justifiant la prise d’acte
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail constitue un acte unilatéral de volonté du salarié.
Pour qu’elle soit justifiée, les manquements reprochés à l’employeur doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 30 mars 2010 n°08-44236).
Ainsi, le salarié ne peut invoquer des manquements anciens s’il est demeuré dans l’entreprise tout en ayant connaissance de ces manquements.
Par exemple, si la Cour de Cassation considère qu’une prise d’acte relative au non-paiement d’heures supplémentaires pendant une période de sept mois est justifiée (Cass. Soc. 27 novembre 2014 n°13-18716), elle refuse de valider une prise d’acte pour non-paiement d’heures supplémentaires, pendant une période de cinq ans, lorsque le salarié a tardé à demander la régularisation de sa situation (Cass. Soc. 14 novembre 2018 n°17-18890).
Exemples de manquements justifiant une prise d’acte :
- Le passage imposé d’un temps plein à un temps partiel (Cass. Soc. 23 septembre 2014 n°13-18004) ;
- La modification de la rémunération contractuelle (Cass. Soc. 10 décembre 2014 n°13-23392) ;
- Le passage, même partiel, à un horaire de nuit (Cass. Soc. 14 janvier 2015 n°13-25767) ;
- Le retrait de la fonction d’encadrement (Cass. Soc. 4 novembre 2015 n°13-14412) ;
- Le retrait d’un véhicule de fonction (Cass. Soc. 16 décembre 2015 n°14-19794) ;
- La modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur (Cass. Soc. 30 mai 2018 n°16-26088).
- La réduction drastique des responsabilités du salarié et la modification unilatérale de ses fonctions, la menace d’un licenciement économique et un harcèlement managérial (CA. Paris 13 février 2018 n°16-15657).
2) Modalités de la prise d’acte
2.1) Un mode de rupture réservé aux salariés
La prise d’acte est un mode de rupture ouvert à tous les salariés, ordinaires ou protégés (Cass. Soc. 25 janvier 2006 n°04-41204).
Les salariés en contrat à durée déterminée (CDD) ne peuvent prendre acte de la rupture qu’en présence d’une faute grave de l’employeur. En effet, l’article L. 1243 du Code du travail dispose que « Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ».
Toutefois, la prise d’acte est exclusivement réservée aux salariés. Ainsi, la chambre sociale (Cass. Soc. 25 juin 2003 n°01-40235) considère que l’employeur qui prend l’initiative de rompre doit passer par la voie du licenciement. A défaut, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2.2) Absence de formalisme de la prise d’acte
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme (Cass. Soc. 4 avril 2007 n° 05-42847). Elle peut être notifiée par écrit ou par oral. Toutefois, nous recommandons vivement au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail d’adresser un courrier motivé et détaillé à son employeur.
Cependant, elle est subordonnée au respect d’une condition puisqu’elle doit être directement adressée à l’employeur (Cass. Soc. 16 mai 2012 n°10-15238).
A défaut, l’action directement présentée devant le Conseil de prud’hommes s’analyse en une demande de résiliation judiciaire.
3) Compétence du bureau de jugement (L.1451-1 du Code du travail)
Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, il doit saisir la juridiction prud’homale, qui examine si les griefs invoqués justifient ou non la rupture.
A cet effet, l’article L. 1451-1 du Code du travail dispose que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat, le préliminaire de conciliation est supprimé au profit d’une saisine directe du bureau de jugement. De même, la requalification d’une démission en prise d’acte aux torts de l’employeur peut directement être portée devant le bureau de jugement (Cass. Soc. 18 septembre 2019 n°18-156765).
Une fois saisi, le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation ; son appréciation des circonstances de fait échappant au contrôle de la Cour de Cassation.
Il examine de manière globale l’ensemble des griefs invoqués. Toutefois, seuls des faits découverts antérieurement à la prise d’acte peuvent être pris en compte (Cass. Soc. 9 octobre 2013 n°11-24457).
Concernant la charge de la preuve, elle repose sur le salarié qui doit établir les griefs qu’il reproche à l’employeur. Par exception, elle est inversée et repose sur l’employeur si les griefs invoqués sont liés à la sécurité et à la santé.
Le juge du fond effectue un double contrôle :
- D’une part, il contrôle la réalité des faits reprochés par le salarié à l’employeur ;
- D’autre part, il vérifie que les faits rendent impossible la poursuite du contrat de travail.
4) Effets de la prise d’acte
Si la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 30 mars 2010 n°08-44236). Dans ce cas, l’employeur doit verser au salarié des indemnités de rupture, notamment l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans le cas contraire, c’est-à-dire si les manquements de l’employeur invoqués par le salarié sont inexistants ou insuffisants, la prise d’acte produit les effets d’une démission (Cass. Soc. 20 janvier 2010 n°08-43471).
La prise d’acte peut aussi produire les effets d’un licenciement nul, notamment lorsqu’elle fait suite à une discrimination, à des faits de harcèlements subits par le salarié, ou lorsqu’elle émane d’un salarié protégé. Dans cette hypothèse, le salarié a droit à une indemnisation forfaitaire sanctionnant la violation du statut protecteur, ainsi qu’à une indemnité réparant la nullité du licenciement qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois (Cass. Soc. 30 juin 2016 n°15-12984).
5) Conséquence de la prise d’acte
Le contrat de travail prend immédiatement fin à la date de la prise d’acte ; c’est-à-dire au jour où le salarié envoie à l’employeur une lettre notifiant sa décision.
Cette cessation du contrat de travail entraîne deux séries de conséquences :
D’une part, la prise d’acte est définitive. Le salarié ne peut pas se rétracter ou demander sa réintégration.
D’autre part, la prise d’acte met fin à la relation de travail. Ainsi l’employeur ne peut plus licencier le salarié, ni même exiger qu’il exécute un préavis.
Toutefois, il est conseillé au salarié de demander à l’employeur s’il doit exécuter son préavis.
A défaut, si la prise d’acte est requalifiée en démission, le salarié devra rembourser le préavis à l’employeur.
L’employeur peut aussi proposer une transaction au salarié afin de mettre fin au litige. La Cour de Cassation considère que cette « transaction ne peut valablement être conclue qu’une fois la rupture définitive et ne peut porter sur l’imputabilité de cette dernière, laquelle conditionne l’existence de concessions réciproques » (Cass. Soc. 17 juillet 1997 n°14-13829).
6) Une prise d’acte plutôt qu’une démission ?
Si le salarié veut rompre son contrat de travail en raison d’une faute de l’employeur, nous lui conseillons de prendre acte de la rupture, et non de démissionner.
En effet, lorsque le salarié démissionne, son contrat de travail prend immédiatement fin et il ne bénéficie d’aucune indemnité de licenciement.
A l’inverse, s’il prend acte de la rupture de son contrat, le juge prud’homal, dans l’hypothèse où les manquements de l’employeur invoqués par le salarié soient suffisamment graves, peut décider que la prise d’acte produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié recevra les indemnités correspondantes.
Si le juge considère que la prise d’acte n’est pas justifiée, elle produira les effets d’une démission.
Ainsi, dans la mesure où une prise d’acte injustifiée produit toujours les effets d’une démission, le salarié qui reproche un manquement à son employeur a tout intérêt à prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Sources :
Crazy Horse : une show manager obtient que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause et des dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Prud’hommes : la requalification d’une démission en prise d’acte peut être portée directement devant le bureau de jugement.
Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Léonie Aubergeon
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