Il juge que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause.
La salariée a interjeté appel du jugement.
I) LES FAITS
Madame X a été engagée sous le statut d'auto-entrepreneur par la Société CAHU le 18 juin 2022 en qualité de Sales Director.
Aucun contrat de prestations de service n'a été conclu.
Elle a travaillé initialement à 4/5e puis à temps complet à compter du 23 août 2022.
Le 11 octobre 2022, la collaboration a été rompue par la Société CAHU.
II) PRÉTENTIONS ET MOYENS
Au soutien de ses prétention, Madame X conteste le caractère commercial de sa relation de travail avec la Société CAHU.
Elle fait valoir qu'elle était liée par un contrat de travail du fait que son travail ne relevait pas d'une tâche précise et ponctuelle nécessitant un savoir-faire particulier, qu'elle exécutait une prestation de travail sous un lien de subordination permanent et que sa rémunération globale et forfaitaire lui était imposée par la Société CAHU et n'était pas liée à l'exercice d'une tâche déterminée.
Elle précise que la Société CAHU étant une industrie de la maroquinerie, sa relation de travail relève du champ d'application de la convention collective des industries de la maroquinerie, articles de voyages, chasse-sellerie, gainerie, bracelets en cuir et que ses dispositions notamment en termes de statut, d'indemnité compensatrice de préavis doivent s'appliquer.
Elle ajoute que sa relation de travail étant liée par un contrat de travail les dispositions du Code du travail en matière de congés payés et de rupture du contrat doivent s'appliquer. Elle précise que de ce fait, la Société CAHU a dissimulé son emploi de salarié.
De son côté, la Société CAHU conteste les griefs qui lui sont reprochés.
Elle fait valoir, In limine litis que la relation entre Madame X et la Société CAHU était une relation à caractère commercial et soulève l'incompétence du Conseil de Prud'hommes.
A titre principal, elle conteste la présence d'un contrat de travail liant Madame X à la Société CAHU et précise qu'il n'existait pas de lien de subordination entre les parties.
À titre subsidiaire, elle demande au Conseil de Prud'hommes, s'il venait à reconnaître la qualification de contrat de travail, de juger ledit contrat entaché de nullité pour dol. Elle précise que le contrat a été obtenu par des manœuvres frauduleuses et que le consentement de la Société CAHU a été vicié.
Elle demande, par conséquent, que Madame X soit condamner à restituer dans un délai de 10 jours, à compter du prononcé du jugement à intervenir les sommes qui lui ont été versées par la Société CAHU, soit 11 500 € TTC.
À titre infiniment subsidiaire, elle demande de réduire au minimum l'indemnisation de Madame X, faute de préjudice démontré.
Elle fait valoir que Madame X a agi en justice de manière dilatoire et demande, par conséquent, le paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile dont le Conseil fixera arbitrairement le quantum, de condamner Madame X à verser à la Société CAHU la somme de 3 000 € au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.
III) MOTIF DE LA DECISION
Dans son jugement du 29 mai 2024, le Conseil statuant publiquement, par jugement contradictoire en premier ressort :
Requalifie le contrat de prestations de services de Madame X en contrat de travail à durée indéterminée ;
Juge que les relations contractuelles sont régies par la Convention Collective de la maroquinerie ;
Juge que Madame X appartenait à la catégorie des employés niveau II ;
Fixe la rémunération de Madame X à la somme de 2875,00 € ;
Requalifie la rupture intervenue le 11 octobre 2022 en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
Condamne la Société CAHU à verser à Madame X les sommes suivantes :
- 1150,00€ à titre d'indemnité compensatrice de conges payes ;
- 718,75€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 71,87 € au titre des congés payés afférents ;
- 2875,00 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir (bulletins de paie de juin à octobre 2022, certificat de travail, solde de tout compte, attestation France Travail)
Déboute Madame X du surplus de ses demandes ;
Déboute la Société CAHU de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne la Société CAHU aux dépens.
***
- In limine litis - Sur l'incompétence du Conseil de Prud'hommes
Le Conseil de Prud'homme joint l'incidence au fond.
- Sur la reconnaissance de la qualité de salariée de Madame X
Trois éléments caractérisent le contrat de travail : la fourniture d'un travail ; le paiement d'une rémunération ; l'existence d'un lien de subordination. La réunion des deux premiers éléments peur ne pas être pas suffisante car elle peut faire l'objet d'autres contrats comme un contrat de sous-traitance.
La notion de subordination est caractérisée par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Une situation de sous-traitance revêt plusieurs caractéristiques essentielles comme : l'autonomie et l’indépendance ; une prestation définie et spécifique formalisée par une ou plusieurs conventions ; la mise à disposition des propres moyens matériels et humains du sous-traitants ; une rémunération généralement forfaitaire ; une intervention officielle déclarée au maître d'ouvrage.
À ce titre, l'article L8222-6-1 du Code du travail énonce qu'" est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d'ordre ".
L'article L 8221-6 du Code du travail stipule que " I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription: 1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales; 2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 214-18 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs; 3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ; II- L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5. Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent Il est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie".
En l'espèce, il ressort des pièces versées au débat que l'emploi de Madame X n'avait pas pour objet la réalisation d'une tâche précise et ponctuelle et ne demandait pas de savoir-faire technique que l'entreprise n'était capable d'assumer en interne.
Par ailleurs, sur la notion de subordination, les nombreux échanges entre Madame X et Madame Y, versés au débat laissent apparaître des horaires contraints ainsi que des instructions précises et détaillées sur l'organisation de son travail. Ces éléments révèlent l'absence d'autonomie de Madame X.
Par conséquent, le Conseil de Prud'hommes juge qu'il y avait bien une relation de travail salarié entre Madame X et la SARL CAHU, se juge compétent et requalifie sa relation de travail en contrat à durée indéterminée
3. Sur l'application de la Convention collective nationale des industrie de la maroquinerie, articles de voyage, chasse-sellerie, gainerie, bracelets en cuir
La Convention collective nationale des industries de la maroquinerie, articles de voyage, chasse-sellerie, gainerie, bracelets en cuir a été étendue le 12 juin 2006.
La SARL CAHU est une industrie de la maroquinerie.
Par conséquent, elle relève du champ d'application de cette convention et doit s'appliquer à l'ensemble de son personnel
4. Sur le statut de Madame X
Madame X avait pour tâches principales :
- L'ouverture et la fermeture du magasin ;
- L'accueil et la vente aux clients ;
La bonne tenu de la boutique ;
- Le reporting du chiffre d'affaires de la boutique et l'analyse des performances ;
La responsabilité du stock B to B
Le suivi SAV et clients B to B et B to C :
- La gestion des interventions extérieures à la boutique (ménage, maintenance, ...) ;
La caisse et les remontées comptables chiffrées ;
- Les équipements de la boutique (caisse, fleurs, ...).
Le Conseil de Prud'hommes juge que cela s'apparente aux critères de classification des employés de Niveau Il de la Convention collective nationale des industries de la maroquinerie, articles de voyage, chasse-sellerie, gainerie, bracelets en cuir, soit : Exécution de travaux qualifiés avec une autonomie limitée et des prises d'initiatives dans l'exécution en termes de responsabilité.
Par conséquent, il juge que Madame X appartenait à la catégorie des employés de Niveau II de la Convention collective nationale des industries de la maroquinerie, articles de voyage, chasse-sellerie, gainerie, bracelets en cuir.
5. Sur le salaire
Il n'est pas versé aux débats de justification du calcul du salaire.
Par conséquent, le Conseil de Prud'homme a fait la moyenne des 4 dernière factures versées aux débats et fixe le salaire mensuel à 2 875€.
6. Sur l'indemnité compensatrice de congés payés
La relation de travail de Madame X ayant été requalifiée en contrat de travail a durée indéterminée, l'article L3141-3 du Code du travail qui stipule que " Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables ». s’applique.
Par conséquent, le Conseil de Prud'homme condamne la SARL CAHU au versement de 1 150€ au titre d'indemnité compensatrice de congés payés.
7. Sur la rupture de la relation de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
La relation de travail de Madame X ayant été requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture de son contrat de travail s'analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A la date de la rupture Madame X avait travaillé 4 mois et ne comptait pas 1 an d'ancienneté.
Par conséquent, le Conseil de Prud'homme condamne la SARL CAHU au versement de 718.75€ au titre d'indemnité compensatrice de préavis et à 71, 87€ au titre de congés payés afférents.
Par ailleurs, l'article L1235-3 du Code du travail stipule que " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés " dans le tableau prévu par le Code du travail. Il indique également que "En cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les montants minimaux fixés " dans le tableau prévu " sont applicables, par dérogation à ceux fixés à l'alinéa précédent ". Enfin, il indique " Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au présent article ".
A la date de la rupture Madame X avait travaillé 4 mois.
Par conséquent, le Conseil de Prud'homme fixe l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 1 mois et condamne la SARL CAHU au versement de 2875€.
8. Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
L'article L1231-2 du Code de Procédure Civile stipule que " les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après".
En l'espèce, Madame X n'apporte pas la preuve de son préjudice.
Par conséquent, le Conseil de Prud'hommes ne donne pas suite à cette demande
9. Sur la demande pour travail dissimulé
L'article L8223-5 prévoit que " est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1º Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre ler de la troisième partie ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ".
En l'espèce, Madame X n'apporte pas la preuve que la SARL CAHU s'est soustraire intentionnellement à ses obligations.
Par conséquent, le Conseil de Prud'hommes ne donne pas suite à cette demande.
10. Sur le dol affectant le contrat de travail de Madame X
L'article 1130 du Code de Procédure civile stipule que " l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné".
En l'espèce, la SARL CAHU n'apporte pas la preuve d'un dol.
Par conséquent, le Conseil de Prud'hommes ne donne pas suite à cette demande.
11. Sur les demandes accessoires
Par ailleurs, le Conseil de Prud'hommes ordonne la remise des bulletins de salaire de Madame X de juin à octobre 2022 et les documents de fin de contrat conformes à la décision.
Au regard des conditions des ressources de chacune des parties, il serait inéquitable de laisser à la seule charge de Madame X les frais irrépétibles qu'elle a engagé du fait de la présente procédure.
Par conséquent, le Conseil des Prud'hommes condamne la SARL CAHU au versement de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le Conseil juge suffisantes, pour le cas d'espèces les dispositions spécifiques prévues à l'article R1454-28 du Code du travail. En conséquence, il ne donne pas suite à l'article 515 du Code de Procédure Civile.
La SARL CAHU succombant à l'instance, elle est condamnée aux dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le Conseil, conformément à l'article 455 du Code de Procédure Civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux prétentions orales telles que rappelées ci-dessus.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
e-mail: chhum@chhum-avocats.com
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