L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 janvier 2024 est très motivé. Il fait 31 pages.
Le Directeur de production de la maison de couture obtient la requalification de CDD en CDI, la rupture est requalifiée en licenciement sans cause. La maison de couture et la société de production sont condamnées solidairement aux condamnations ainsi que pour marchandage et prêt de main d’œuvre.
1) EXPOSE DU LITIGE
M. X a été engagé par la société Y, ci-après la société
Y, société faisant partie du groupe Y dont la société mère est la société Y
, ci-après la société Y, par plusieurs contrats de travail à durée déterminée en qualité d’assistant technique au titre desquels il participait à l’organisation des défilés de la marque Y, le premier contrat de travail à durée déterminée étant à effet du 2 juin 2000.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail de l’habillement et des articles textiles du 25 novembre 1987.
A compter de 2002, M. X a poursuivi son activité sous la qualification d’assistant de production, puis de régisseur général et en dernier lieu de directeur de production en vertu de contrats de travail à durée déterminée conclus avec la société Z films productions, ci-après la société Z, le premier contrat de travail à durée déterminée avec la société Z étant à effet du 12 février 2002.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la production audiovisuelle.
Le 17 juillet 2018, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris à l’encontre des sociétés Y et Z, lequel conseil, par jugement du 12 novembre 2021 auquel la cour renvoie pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
- déclaré l’action recevable ;
- ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à compter du 2 juin
2000 ;
- fixé le salaire de base à la somme de 5 378,32 euros ;
en conséquence,
- condamné in solidum les sociétés Z et Y à payer à M. X les sommes suivantes:
* 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification,
* 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite,
* 16 134 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1 613,50 euros au titre des congés payés afférents,
* 27 644,56 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- rappelé que les intérêts au taux légal commencent à courir à compter du jour du prononcé du
jugement s’agissant des demandes à caractère indemnitaire et à compter de la date de réception
de la convocation devant le bureau de conciliation s’agissant des demandes à caractère
salarial ;
- ordonné aux sociétés défenderesses de remettre au demandeur l’ensemble des documents
sociaux conformes à la décision ;
- ordonné l’exécution provisoire de la décision à hauteur d’une somme de 60 000 euros ;
- condamné in solidum les sociétés Z et Y au paiement d’une somme de 3 000 euros
sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. X du surplus de ses demandes ;
- rejeté les demandes reconventionnelles ;
- condamné in solidum les sociétés Z et Y aux dépens.
Par déclaration du 28 novembre 2021, la société Z a interjeté appel de ce jugement, intimant
M. X et la société Y.
2) MOTIFS DE LA DECISION
Dans son arrêt du 25 janvier 2024, la cour d’appel de Paris , statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :
Rejette la demande de M. X visant à dire que la cour n’est saisie d’aucun chef du jugement critiqué en l’absence d’effet dévolutif de l’appel de la société Z du 29 novembre
2021 ;
Dit que la fin de non-recevoir fondée sur la tardiveté de la demande visant à constater la caducité de la déclaration d’appel de la société Z est sans objet ;
Dit que la demande de jonction est sans objet ;
Donne acte aux sociétés FHBX et Herbaut-Pecou du désistement de leur intervention volontaire en leur qualité respective d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Z ;
Confirme le jugement en ce qu’il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée de M.X en contrat de travail à durée indéterminée, en ce qu’il a alloué à M. X les sommes de 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification, 16 134,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 1 613,50 euros au titre des congés payés afférents, 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes en rappel de salaire et des congés payés afférents ainsi que de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, en ce qu’il a rejeté les demandes reconventionnelles et en ses dispositions relatives aux dépens ainsi qu’à l’article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant:
Déclare la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée fondée sur l’absence d’établissement d’écrit irrecevable comme prescrite pour tout contrat conclu antérieurement au 15 juillet 2016 ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour le surplus ;
Déboute la société Y Europe de sa demande de mise hors de cause ;
Dit que les contrats de travail à durée déterminée de M. X depuis 2012 sont des contrats de travail à temps plein ;
Dit que la re qualification des contrats de travail à durée déterminée de M. X en contrat de travail à durée indéterminée prend effet au 12 février 2002 ;
Dit que les sociétés Z films production et Y Europe sont in solidum tenues au paiement des sommes allouées ci-dessous à M. X ;
Fixe les créances de M. X à valoir au passif de la procédure collective de la société Z films production aux sommes suivantes :
- 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt illicite de main d’œuvre7 ;
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour marchandage ;
-16 134,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 613,50 euros au titre des congés payés afférents ;
- 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 25 098,83 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
Condamne la société Y Europe à payer à M. X lesdites sommes, soit :
- 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt illicite de main d’oeuvre ;
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour marchandage ;
-16 134,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 613,50 euros au titre des congés payés afférents ;
- 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 25 098,83 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
Dit que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par
l'employeur de la convocation devant le bureau de jugement et que les créances indemnitaires
produisent intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance en
cas de confirmation pure et simple et du présent arrêt dans les autres cas, étant précisé pour ce
qui concerne la société Z films production que le jugement d'ouverture de la procédure de
sauvegarde du 7 décembre 2021a arrêté le cours des intérêts légaux ;
Ordonne aux sociétés Z et Y Europe de remettre à M. X un certificat de
travail, un bulletin de paie récapitulatif et une attestation destinée à Pôle emploi rectifiés
conformément au présent arrêt, ce dans le mois de sa notification ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne in solidum les sociétés Z et Y Europe aux dépens d’appel hormis ceux
liés à l’intervention des sociétés FHBX prise en la personne de Me Couturier et Herbaut-
Pecou, prise en la personne de Me Herbaut, qui resteront à la charge desdites sociétés.
2.1) Sur l’absence d’effet dévolutif de l’appel interjeté le 29 novembre 2021 par la société
Z
Au visa de l’article 562 du code de procédure civile, M. X soutient que la cour n’est pas saisie de l’appel interjeté par la société Z en raison du défaut d’effet dévolutif dès lors qu’aux termes de sa déclaration d’appel, elle n’a pas sollicité l’infirmation du jugement.
La société Z réplique que les textes applicables n’imposent pas à l’appelant de solliciter l’infirmation ou la confirmation du jugement dans la déclaration d’appel mais seulement de lister les chefs de jugement qu’il entend critiquer, ce qu’elle dit avoir fait. Elle ajoute que la demande de M. X est sans objet puisqu’elle est appelante incidente dans l’autre appel.
Elle relève encore que M. X a, pour la première fois dans ses conclusions du 13 septembre 2023, demandé à la cour de constater la caducité de sa déclaration d’appel et qu’une telle demande est irrecevable comme tardive au regard du délai prévu à l’article 909 du code de procédure civile.
Selon le dispositif des dernières conclusions de M. X, celui-ci ne demande plus à la cour de constater la caducité de la déclaration d’appel de la société Z. En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour n’a pas à statuer sur cette demande de sorte que la fin de non-recevoir fondée sur la tardiveté de cette prétention qui est soulevée par la société Z est sans objet.
Il résulte des articles 562 et 901, 4° du code de procédure civile que la déclaration d'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En application des articles 542 et 954 du même code, l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement.
Il est ainsi de principe que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.
En l’occurrence, la déclaration d’appel de la société Z énonce expressément les chefs du dispositif du jugement critiqués par elle. Il importe peu au regard de l’effet dévolutif que cette déclaration ne mentionne pas la poursuite par la société Z de l’infirmation du jugement, la cour relevant par ailleurs que la demande d’infirmation du jugement figure bien au dispositif des conclusions de celle-ci. En conséquence, la demande de M. X visant à dire que la cour n’est saisie d’aucun chef du jugement critiqué en l’absence d’effet dévolutif de l’appel de la société Z du 29 novembre 2021 est rejetée.
2.2) Sur la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 21/10049 et 21/09723
Cette demande de M. X est sans objet dès lors que la jonction des deux instances a déjà
été ordonnée par décision du magistrat chargé de la mise en état en date du 6 septembre 2023.
2.3) Sur le désistement de l’intervention volontaire des sociétés FHBX et Herbaut-Pecou en leur qualité respective d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Z
Ces sociétés font valoir que du fait de la clôture de la sauvegarde, elles n’ont plus ni qualité, ni intérêt à être parties à l’instance et, au visa de l’article 330 alinéa 3 du code de procédure civile, demandent qu’il leur soit donné acte du désistement de leur intervention volontaire.
Les autres parties ne font valoir aucune observation sur ce point.
L’article 330 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que l’intervenant à titre accessoire peut se désister unilatéralement de son intervention.
En l’espèce, les sociétés FHBX et Herbaut-Pecou sont intervenues volontairement à l’instance en leur qualité respective d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Z au titre de la procédure de sauvegarde ouverte à l’égard de celle-ci, par des conclusions du 27 avril 2022 aux termes desquelles elles ne formaient aucune prétention à leur profit, se bornant à demander que leur intervention soit déclarée recevable. S’agissant d’une intervention accessoire, lesdites sociétés qui ont perdu leur qualité respective d’administrateur judiciaire de la société Z et de mandataire judiciaire de celle-ci par suite du jugement de clôture de la procédure de sauvegarde du 1er décembre 2022 sont fondées à se désister unilatéralement de leur intervention volontaire. Il leur en sera donné acte. Ainsi qu’elles le demandent, elles conserveront à leur charge leurs frais irrépétibles et dépens.
2.3) Sur la confirmation de certains chefs du jugement fondée sur l’absence de demande d’infirmation ou d’annulation par M. X
La société Z fait valoir que l’appelant incident doit, comme l’appelant à titre principal, mentionner expressément dès ses premières conclusions les chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement et que dans ses conclusions du 28 mars 2022, M. X a sollicité la confirmation d’un certain nombre de chefs puis l’infirmation pour le surplus, sans autre précision. Elle en déduit que pour ce motif, la cour doit confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes visant à fixer sa rémunération mensuelle à 6 200 euros nets et condamner in solidum Y et Z à lui payer les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour marchandage, 136 411,98 euros nets à titre de rappels de salaire pendant les périodes intercalaires/interstitielles entre les 1er août 2015 et 5 juin 2018 et 37 200 euros nets à titre d’indemnité pour travail dissimulé, subsidiairement 32 269,92 euros nets.
M. X répond qu’il n’était pas tenu de lister l’ensemble des demandes dont il demandait l’infirmation dans la mesure où dans son jugement, le conseil de prud’hommes ne l’a pas fait.
Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.
L'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet. Les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel. L'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du même code est apprécié en considération des prescriptions de l’article 954.
En l’espèce, le dispositif des conclusions de M. X notifiées le 28 mars 2022, dans le délai de l’article 909 précité, comporte, après une demande de confirmation du jugement en ce qu’il a ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée avec reprise d’ancienneté au 2 juin 2000, condamné in solidum les sociétés Z et Y à lui payer des sommes à titre d’indemnité de requalification et à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, une indemnité de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonné la remise de documents sociaux conformes à la décision, une demande d’infirmation du jugement “pour le surplus”.
M. X, appelant incident, a ainsi demandé dans le dispositif de ses conclusions l’infirmation partielle du jugement sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir uniquement employé les termes “pour le surplus” dès lors que le dispositif du jugement l’a précisément débouté “du surplus de ses demandes”. La demande visant à la confirmation du jugement sur le rejet des prétentions relatives à la fixation de la rémunération mensuelle à 6 200 euros nets, à la condamnation in solidum des sociétés Y et Z au paiement de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour marchandage, de 136 411,98 euros à titre de rappels de salaire, de 37 200 euros nets à titre d’indemnité pour travail dissimulé, subsidiairement 32 269,92 euros nets, doit être rejetée en ce qu’elle est fondée sur les règles précitées, celles-ci ayant été respectées.
2.4) Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La société Z soutient qu’en application de l’article L. 1471-1 du code du travail et de la jurisprudence de la Cour de cassation, l’action en requalification fondée sur l’absence d’établissement d’un écrit qui s’analyse en une irrégularité de forme est prescrite pour tout contrat conclu antérieurement au 17 juillet 2016. Dans le dispositif de ses conclusions, elle demande à la cour de juger que la demande de requalification des contrats à durée déterminée (CDD) dits d’usage est à titre principal prescrite.
M. X réplique que :
- son dernier CDD oral ayant été conclu pour la période du 1er février au 28 février 2018 et
le délai de prescription étant de deux ans, il avait jusqu’au 1er février 2020 pour solliciter la
requalification de sa collaboration de sorte que la saisine du conseil de prud’hommes étant intervenue le 20 juillet 2018, sa demande n’est pas prescrite ;
- la prescription de deux ans n’est pas applicable s’agissant du motif de requalification fondé sur le fait que son emploi relève de l’activité normale et permanente de l’entreprise.
L’article L. 1471-1 dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018 dispose :
Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. (...).
Conformément à l'article 40-II de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de ladite ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Lorsqu'une instance a été introduite avant la publication de ladite ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne y compris en appel et en cassation.
Il est de principe que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail, lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat, et lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat.
Au cas présent, M. X sollicite la requalification de ses CDD successifs au regard, d’une part, de l’absence de contrat écrit et, d’autre part, du caractère permanent de son emploi. La demande de requalification des CDD en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) fondée sur le caractère oral des CDD, c’est-à-dire sur l’absence d’établissement d’un écrit , est prescrite pour tout contrat conclu antérieurement au 15 juillet 2016 compte tenu du délai de prescription, de la saisine du conseil le 17 juillet 2018 et du délai de transmission du CDD.
En revanche, la demande de requalification des CDD fondée sur le fait que l’emploi de M. X relève de l’activité normale et permanente de l’entreprise n’est pas prescrite, cette demande étant basée sur le motif du recours au CDD et s’agissant d’une succession de CDD dont le dernier a pris fin en 2018.
La demande de requalification fondée sur l’absence d’établissement d’écrit est irrecevable comme prescrite pour tout contrat conclu antérieurement au 15 juillet 2016 et la fin de non recevoir tirée de la prescription est rejetée pour le surplus, le jugement étant infirmé en ce qu’il s’est borné à déclarer l’action recevable.
2.5) Sur la mise hors de cause de la société Y
La société Y sollicite sa mise hors de cause en raison de l’absence de lien contractuel l’unissant à la société Z, employeur de M. X. Elle fait valoir qu’elle ne gère pas l’organisation des défilés de la marque Y, que les contrats de prestation étaient signés entre les sociétés Z et IM Japon et qu’elle n’intervenait qu’en qualité de représentante pour assurer un soutien logistique ainsi que pour faciliter les démarches de la société Z. Elle en déduit que M. X n’a pas d’intérêt à agir contre elle, ce d’autant qu’elle n’est qu’une filiale qui ne s’immisce pas dans la gestion économique et sociale de sa société mère, à savoir IM Japon, de sorte qu’aucun co-emploi ne saurait être reconnu. Elle ajoute que la cour doit prendre acte de la reconnaissance par la société Z de ce qu’elle est l’unique employeur de M. X.
Ce dernier s’oppose à la mise hors de cause de la société Y aux motifs que cette dernière intervenait dans le cadre de son contrat de travail et qu’un lien de subordination existait avec elle. Il invoque notamment que les contrats de mise à disposition de personnel conclus avec la société Z étaient signés et tamponnés par la société Y, qu’elle participait à la gestion de l’organisation des défilés, qu’elle était l’interlocutrice de la société Z, qu’elle lui donnait des directives à respecter ainsi que des tâches à effectuer pour les défilés, que la société Y l’a reconnu comme l’un des membres de ses équipes et qu’elle a dans un premier temps recruté directement par CDD les salariés en charge des défilés pour ensuite confier cette tâche à la société Z.
La demande de mise hors de cause de la société Y est fondée sur le prétendu défaut
d’intérêt à agir de M. X contre elle.
Or, M. X qui, en 2000 et 2001, a été déclaré et rémunéré par la société Y comme en témoignent les bulletins de paie qui sont versés aux débats, qui démontre qu’un contrat de mise à disposition de personnel entre la société Z et la société IM Japon le visant au titre des personnels mis à disposition a été signé par la société Y, qui soutient avoir continué à travailler dans les mêmes conditions après que la société Y a fait appel à des sociétés de production pour qu’elles le déclarent et le paient et avoir toujours été placé dans un lien de subordination à l’égard de la société Y, a intérêt à agir contre cette dernière. La circonstance que la société Z ne conteste pas être son employeur n’exclut pas cet intérêt et la possibilité pour M. X d’agir afin de voir reconnaître qu’il était lié à plusieurs employeurs, les sociétés Z et Y, à raison d’une situation de co-emploi non liée à l’existence d’un groupe mais au fait qu’il était sous la subordination de chacune d’elles dont la société Y, ce qui sera ci-après examiné au fond.
En conséquence, la demande de mise hors de cause est rejetée.
2.6) Sur l’existence de contrats de travail entre la société Y et M. X
La société Y invoque l’absence de contrat de travail entre elle et M. X. Elle argue que sa prestation de travail figure depuis 2002 sur les bulletins de paie de la société Z et que sa rémunération a été réglée par cette société. Elle soutient que le pouvoir de direction à l’égard de M. X était aussi exercé par cette société. Elle en veut notamment pour preuves les attestations de M. A ainsi que les courriels de ce dernier, la biographie de M. X et son statut d’intermittent du spectacle. Elle nie que M. X ait fait partie de son équipe, invoquant en particulier que l’adresse coo@issey-europe.com était mise à la disposition de l’équipe de Z par la société Y en sa qualité de référent logistique à Paris, de même que l’adresse nominative de M. X, et qu’elle ne faisait, en tant qu’intermédiaire de la société mère à Paris, que mettre un local à disposition de cette équipe.
Elle nie aussi avoir été co-employeur, à défaut de toute confusion d’intérêt, d’activité et de direction entre elle et la société Z et en l’absence de tout ordre, directive, contrôle ou sanction exercé par elle sur M. X.
La société Z conteste que la société Y, dont elle souligne qu’elle ne fait que commercialiser les produits de sa maison mère, ait été l’employeur de M. X.
Ce dernier rétorque comme indiqué ci-dessus qu’un lien de subordination existait avec la société Y. Il fait valoir que la société Y a fait appel à la société Z pour échapper aux règles relatives aux CDD d’usage, que la société Z n’intervenait que pour la facturation des salaires mais non de manière concrète dans l’organisation des défilés, qu’il recevait ses directives d’Y, qu’il était reconnu par elle comme faisant partie intégrante de son équipe de coordination et qu’il travaillait dans ses locaux. Le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
Hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de co employeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve mais en présence d’un contrat apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, comme rappelé ci-dessus, la société Y a établi plusieurs bulletins de paie pour M. X en 2000 et 2001 le désignant comme assistant technique à temps partiel. Sont en outre versés aux débats par M. X plusieurs contrats de travail entre la société Y et ce dernier relativement à son emploi d’assistant technique (contrat du 2 au 6 juin 2000 signé par la société Y, du 1 au 2 juillet 2000 signé par la société er Y, du 3 octobre 2000 signé par la société Y et M. X, du 16 janvier 2001 signé par les mêmes, du 2 au 10 février 2001 signé par la société Y, du 6 mars 2001 signé par la société Y et M. X et du 13 au 20 avril 2001 signé par la société Y et M. X). Ces éléments établissent incontestablement l’apparence de contrats de travail entre ces derniers.
L’essentiel des pièces produites par la société Y (notamment organigramme, documents afférents à des remboursements, photographies de défilés, statuts, contrats de mise à disposition, mails, factures, attestation Pôle emploi) portent sur des périodes largement postérieures. Les attestations de M. A qui sont très générales et peu circonstanciées ne sont pas de nature à contredire l’existence d’un lien de subordination et de contrats de travail entre les société Y et M. X. Il en est de même des autres pièces produites. En conséquence, cette dernière n’établit pas le caractère fictif des contrats de travail entre elle et M. X.
Après 2001, aucun bulletin de paie ou contrat de travail ne désigne comme employeur de M. X la société Y et les bulletins de salaire de ce dernier établis à partir de février 2002 et jusqu’au mois de juin 2018 mentionnent que M. X a comme employeur la société Z et, parfois, d’autres sociétés de production.
Mais les bulletins de paie délivrés par la société Z à M. X indiquent à partir de l’année
2007 au regard de la mention “analytique” : “Y”.
M. X verse en outre aux débats :
- des contrats de mise à disposition de personnel entre la société Z et la société IM Japon parmi lesquels figurent comme salariés M. A ainsi que M. X et comme lieu de prestation la société Y, un de ces contrats, celui du 1er juillet 2015, étant signé par la société Y (avec son cachet et signature de sa dirigeante) sans indication qu’elle agit comme représentante de la société japonaise ;
- des factures de la société Z à la société IM Japon pour des défilés ;
- des factures de la société Z à la société Y pour différentes prestations (display royale,
ventes privées, occultation....) ;
- un mail du 6 mai 2010 de la société Y informant le personnel dont x@y.com de la fermeture du bureau le 13 mai suivant ;
- un mail de 2011 de la société Y invitant le personnel dont x@y.com à un repas de fin d’année ;
- un mail retransmis le 2 février 2012 par la société Y à la coordination de la société
Y, le mail initial du 30 janvier 2012 informant notamment M. X à l’adresse
Z que la société le déclarant pour les défilés et produisant les vidéos est changée, à savoir la société M, mais que cela ne modifiera rien pour lui ;
- des bulletins de salaire émis en 2012 pour M. X en qualité de régisseur par la société
M ;
- un contrat de mise à disposition de personnel entre la société Y et la société M pour le mois de mars 2012 pour le women show AW 2012-2013 au sein de la société Y, incluant MM. W et X ;
- un mail du 3 février 2012 par lequel la société Y retransmet notamment à M. X,
à l’adresse x@y.com le contrat de location de la galerie sud est du Grand Palais pour un défilé ;
- un mail du 18 octobre 2012 de la managing director de la société Y London envoyé notamment à l’adresse précitée, informant M. X qu’il est offert “à chacun d’Y” un livre T C ;
- des lettres de 2004 et 2018 de la préfecture de police de Paris autorisant la tenue de défilés
Y dans divers bâtiments, lettres adressées à M. X au sein de la société
Y ;
- un mail de la société Ricoh informant M. X que son intervention concernant une imprimante se fera dans ses locaux, au sein de la société Y ;
- un mail de 2014 du retail coordinator de la société Y informant M. X des ventes spéciales destinées au personnel Y ;
- un mail de 2014 envoyé par M. M de la société Y à M. X, à l’adresse
x@y, demandant l’établissement au plus vite du budget women AW 14-15 en vue de sa transmission à Tokyo ;
- un mail de 2015 de la directrice administrative et financière de la société Y invitant
M. X à l’adresse x@y.com au dîner de Noël de la société et un mail de
2016 de cette même personne conviant M. X au repas de Noël de l’entreprise ;
- un mail de 2015 adressé par la PDG de la société Y à MM. A et X
à l’adresse mail de ces derniers au sein de la société Y, se plaignant du désordre dans le nouveau bureau et demandant à être informée de leur programme et de la date à laquelle le nouveau bureau sera prêt ;
- des mails de 2014 et 2016 adressés par Mme Vernes de la société Y à la coordination de la société Y demandant à M. X l’exécution de tâches concernant des opérations de nettoyage, décapage et cirage ;
- des mails de 2015, 2016 et 2017, par lesquels la coordination de la société Y demande à la société Z l’établissement de DUE pour M. X ;
- des formulaires de renseignements de 2016 pour un défilé Y auprès d’ AccorHôtels Arena désignant comme organisateur la société Y et comme directeur technique ou régisseur M. X de la société Y ;
- un mail de 2017 adressé par M. A, dirigeant de la société Z, dont il résulte qu’il ignorait les date et lieu des défilés ;
- des mails adressés en 2017 par la directrice administrative et financière de la société Y désignant en particulier M. X comme faisant partie de l’équipe de la coordination et dont il résulte qu’il est convié à une réunion en vue des améliorations des bureaux de la société
Y ;
- un mail adressé en 2017 par la directrice des relations presse de la société Y à la Gaîté lyrique indiquant que pour le défilé Y men AW 2018, la société organisatrice est la société Y et mentionnant comme coordinateur technique M. X ;
- des mails adressés en 2017 et 2018 par Mmes Yamaguchi et Boute ainsi que M. Seng de la société Y donnant diverses instructions à la coordination d’Y en vue de showrooms, ventes et shooting ;
- un mail de 2017 du retail coordinator de la société Y adressé à la coordination de cette société et retransmis par celle-ci à M. X sollicitant une aide pour le montage d’une “floriography” ;
- des mail adressés en 2017 et 2018 par M. Viguier du service de la comptabilité de la société
Y à la coordination au sein de la société Y demandant notamment à M. X l’exécution de certaines tâches, lui donnant des instructions et contrôlant et vérifiant ses transmissions en matière de budgets et de facturations (M. Viguier réclamant en particulier la correction de certains éléments et la nécessité de faire ressortir la TVA) ;
- un mail de 2018 adressé par la coordination de la société Y à Mme Houchot de la société Y, avec copie notamment à M. X, concernant les “permanences sellings” Y AW 2018 et indiquant que M. X est de permanence le 5 mars 2018 ;
- des mails adressés par M. A à la société Y et inversement concernant les défilés ;
- l’attestation de M. L.indiquant qu’il a travaillé pour le service coordination d’Y à Paris entre 2008 et 2015 pour des périodes courtes, qu’il recevait systématiquement ses directives de M. X, directeur de la coordination, et qu’à l’issue, il obtenait un contrat et un bulletin de salaire de la société Z avec laquelle il n’avait pas d’autre contact ;
- des mails de 2018 adressés par M. Genty Garnier à la coordination d’Y et à M. X donnant des instructions à ce dernier ;
- une lettre d’intention signée par Mme Vasseur de la société Y en vue de l’organisation d’un défilé le 21 juin 2018 dans le jardin de la place des Vosges, indiquant que l’organisation des défilés “se fait en interne avec une équipe de production dédiée” et désignant comme organisateur du défilé la société Y ;
- le procès-verbal d’audition de M. A du 9 septembre 2018 devant le conseil de prud’hommes dans lequel celui-ci a déclaré qu’à une période, Y a utilisé ses filiales pour déclarer les salariés liés aux défilés, qu’Y voulait se “débarrasser” de ces derniers, qu’il ne connaît pas bien la société Z et qu’il considère qu’il était le supérieur hiérarchique de M. X ;
- divers mails démontrant que la société Y était chargée du paiement des notes de frais pour les salariés de la société Z et une facture justifiant du paiement par elle de voyages de M. A au Japon.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments non sérieusement démentis par les autres pièces versées aux débats que contrairement à ce que celle-ci prétend, la société Y participait de manière effective à l’organisation des défilés de la marque Y, ayant signé un contrat de mise à disposition de personnel sans indication qu’elle intervenait comme représentante de la société IM Japon, réservé un lieu de défilé, conclu un contrat de location à cet effet, procédé aux démarches administratives nécessaires et s’étant même à plusieurs reprises désignée comme l’organisatrice des défilés. Alors que la période concernée par le litige est très longue, elle ne justifie que de rares facturations émises par elle en vue de remboursements par la société IM Japon. Elle se voyait aussi facturer directement des prestations par la société Z. Ainsi M. X travaillait pour le compte de la société Y.
Si M. X n’a plus perçu sa rémunération à partir de 2002 de la société Y et si M. A donnait des instructions à M. X, plusieurs sociétés de production sont intervenues pour salarier MM. A et X pour le même travail et M. A, réalisateur, ne recevait lui-même pas d’instructions de la société Z, disant la connaître peu, et faisait lui-même partie de la coordination de la société Y. Cette société, par le truchement de sa PDG et certains de ses salariés, donnait elle-même des directives et instructions à la coordination d’Y dont M. X faisait partie et à M. X luimême, contrôlant aussi l’exécution de son travail et lui reprochant des manquements. Ce dernier était intégré dans une équipe identifiée par son adresse mail comme faisant partie de la société Y, disposait lui-même d’une adresse mail au sein de la société Y qui le présentait aux tiers comme l’un de ses membres et travaillait dans ses locaux, l’affirmation de M. A dans l’une de ses attestations selon laquelle l’adresse de la coordination n’avait été mise en place qu’afin de faciliter les démarches auprès des interlocuteurs extérieurs étant contredite par diverses pièces, dont les termes de la lettre d’intention susvisée faisant référence à une équipe de production dédiée en interne.
L’ensemble de ces éléments démontrent que dans le cadre des CDD conclus avec la société Z,
M. X n’a jamais cessé d’être placé dans un lien de subordination vis-à-vis de la société
Y, une situation de co-emploi étant caractérisée. Le conseil de prud’hommes est approuvé d’avoir retenu l’existence de ce lien de subordination.
2.7) Sur le bien-fondé de la demande de requalification des CDD en CDI
La société Z soutient que son recours à des CDD pour embaucher M. X dans le cadre des défilés de la marque Y est licite au regard :
- des dispositions de l’article L. 1242-2 permettant le recours aux CDD dans certains secteurs d’activité, de son activité principale de production audiovisuelle et de la convention collective nationale de la production audiovisuelle qui confirme la possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée dits d’usage (CDDU) ;
- de l’usage constant au sein de la branche de recourir à des CDDU pour les emplois de catégorie B tel que réaffirmé par les signataires de la convention collective, alors que tous les emplois occupés par M. X relèvent de cette catégorie ;
- de la nature temporaire de l’emploi dès lors qu’elle l’a exclusivement embauché pour participer à l’organisation des défilés de la marque Y sans avoir besoin de ses compétences tout au long de l’année, la société Z soulignant que la moyenne des heures de travail par an de M. X est très éloignée des 1607 heures qui constituent la base légale annuelle, qu’il n’avait pas de bureau attitré et travaillait comme il l’affirme au sein des locaux de la société Y, que plusieurs salariés confirment la nature intermittente du travail confié dans le cadre de l’organisation des défilés précités et que les pièces produites attestent du statut d’intermittent du spectacle de M. X et du fait qu’il a exercé d’autres activités.
La société Y invoque qu’en l’absence de contrat de travail la liant à M. X, ce dernier est mal fondé à former une demande de requalification en CDI. Elle note que bien qu’il produise des bulletins de paye émanant d’autres sociétés que Z, il n’a pas attrait lesdites sociétés, ce qui rend difficile la démonstration de l’existence d’une seule et même relation de travail entre lui et la société Z. Elle s’en remet aux écritures de celle-ci concernant la remise en cause des CDD conclus avec cette société.
Comme indiqué ci-dessus, M. X sollicite la requalification de ses CDD successifs au regard, d’une part, de l’absence de contrat écrit et, d’autre part, du caractère permanent de son emploi ce avec effet au 2 juin 2000, soit à compter du premier contrat prétendument irrégulier.
Il invoque que les sociétés Y et Z ont violé les dispositions de forme relatives aux CDD d’usage faute de production des contrats de travail signés par lui, M. X niant avoir refusé de signer des CDD. Il argue par ailleurs d’une violation par la société Z des dispositions légales relatives au caractère temporaire des CDD d’usage, faisant valoir que quelle que soit la production, la société Z doit recourir à un directeur de production tel que lui de sorte que son emploi correspondait à un besoin structurel de celle-ci.
- sur la demande fondée sur l’absence d’écrit :
En application de l’article L. 1242-12 du code du travail, le CDD est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif et à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
Lorsque la demande de requalification est fondée sur l’absence d’établissement d’un écrit et qu’elle est reconnue fondée, le salarié est en droit de se prévaloir d’une ancienneté à compter du premier contrat irrégulier non atteint par la prescription.
En l’espèce, la demande de requalification des CDD en CDI du fait de l’absence d’établissement d’un écrit est prescrite pour tout contrat conclu antérieurement au 15 juillet 2016.
Il n’existe pas de contrat établi par écrit sur la période courant à compter du 15 juillet 2016.
Si la société Z fait valoir qu’elle a soumis des contrats écrits à M. X mais que ce dernier ne les a jamais signés, la requalification doit s’appliquer dès lors qu’il n’est pas démontré que le salarié a refusé de signer les contrats de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse. Le premier contrat irrégulier non atteint par la prescription est celui du 1 septembre 2016 de sorte que sur ce fondement, M er . X est en droit de voir requalifier sa relation de travail en un CDI à compter du 1er septembre 2016.
- sur la demande fondée sur le fait que les CDD avaient pour objet ou effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise :
En application des articles L. 1242-1 (codifié jusqu'au 1er mai 2008 à l'article L122-1 alinéa
1) et L. 1242-2 (codifié anciennement aux articles L.122-1 alinéa 2 et L.122-1-1) du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise et ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas, dont les emplois pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou convention ou accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. L’article D. 1242-1 du même code énumère les secteurs d’activité dans lesquels peuvent être conclus des contrats à durée déterminée dits d’usage, parmi lesquels celui des spectacles, de l’action culturelle, de l’audiovisuel, de la production cinématographique et de l’édition phonographique.
La convention collective de la production audiovisuelle prévoit le recours au CDD d’usage dans certaines conditions, notamment pour les emplois de catégorie B.
L'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. La détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné.
En l’espèce, à compter de 2002, M. X a été employé par la société Z sous la qualification d’assistant de production, puis de régisseur général et en dernier lieu de directeur de production en vertu de CDD conclus avec la société Z qui est une agence de production audiovisuelle, de tels emplois relevant de l’activité normale et permanente d’une entreprise ayant cette spécialisation. Il résulte des bulletins de salaire versés aux débats que M. X a été déclaré et rémunéré par la société Z en février, mars, septembre et octobre 2002, février, mars, septembre et octobre 2003, février et mai 2004, janvier, février, mars, juillet et octobre 2005, février, mars, avril, septembre, décembre 2006, février, mars et mai 2007, mars 2008, janvier, février, mars, novembre et décembre 2009, janvier, avril, juin, septembre et novembre 2010, novembre 2011, mars et septembre 2012, février et septembre 2013, janvier, février, juillet et septembre 2014, janvier, mars, juin, septembre et octobre 2015, janvier, février, mars, juin et septembre 2016, janvier, février, mars, juin et septembre 2017, janvier, février et juin 2018 de telle sorte que M. X a travaillé en vertu de très nombreux contrats pour la société Z pendant 17 années consécutives, pour une moyenne d’heures déclarées de 656 heures par an entre 2013 et 2016 selon les explications concordantes des parties. Le travail de
M. X dans le cadre des contrats conclus avec la société Z tel qu’il a été déclaré porte ainsi non sur une durée limitée dans le temps mais au contraire très étendue et pour un nombre moyen d’heures par an important, représentant plus du tiers par rapport à un temps complet.
M. X a, au titre des contrats conclus avec la société Z, systématiquement collaboré pour le compte de la société Y à l’organisation de défilés de la marque Y, et a aussi pu contribuer à d’autres prestations pour cette société. De plus, il ne s’est pas agi pour M. X de participer à l’organisation d’un défilé unique mais de travailler le plus souvent à plusieurs défilés par an (en général 4, 2 hommes et 2 femmes, d’après les propres explications de la société Z), lesquels défilés sont des événements se reproduisant à échéances régulières tous les ans. En considération de l’ensemble de ces éléments, il n’est pas justifié que le recours à l'utilisation de CDD successifs est justifié par des raisons objectives s'entendant de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
Dès lors, sur ce fondement, M. X est en droit de demander la requalification des CDD conclus avec la société Z en un CDI, peu important que la relation de travail avec elle n’ait pas été continue. Cependant cette requalification ne saurait prendre effet au 2 juin 2000.
En effet, il n’a été embauché pour la première fois par la société Z que le 12 février 2002 et ne démontre pas avoir été antérieurement dans une relation de travail salariée avec elle, les CDD qui précèdent cette période ayant été directement conclus avec la société Y. En outre, si M. X demande à la cour dans le dispositif de ses conclusions de constater que l’emploi de directeur de production qui était le sien relève de l’activité normale et permanente de Z et Y, ce moyen n’est invoqué dans la discussion que concernant la société Z et non s’agissant de la société Y de sorte que la cour, en application de l’article 954 du code de procédure civile, n’a pas à examiner le moyen pris de ce que son emploi était lié à l’activité permanente de la société Y.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a requalifié les CDD de M. X en CDI mais infirmé en ce qu’il a ordonné cette requalification à compter du 2 juin 2000 dès lors qu’au vu des fondements et moyens invoqués, M. X peut se prévaloir d’une ancienneté remontant au plus tôt au 12 février 2002.
2.8) Sur la requalification de la relation de travail en contrat de travail à temps plein et le
rappel de salaire d’août 2015 à juin 2018 ainsi que l’indemnité compensatrice des
congés payés afférents
La société Z fait valoir que la requalification d’un CDD en CDI ne porte que sur le terme du
CDI et laisse inchangées les autres stipulations contractuelles. Elle estime que M. X échoue à prouver qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles. Elle argue qu’il était systématiquement engagé sur une période d’environ un mois et demi pour un défilé, soit un mois avant et deux semaines après, les défilés se tenant toujours à la même période, que M. X exerçait d’autres activités professionnelles et qu’il n’hésitait pas à lui demander de décaler certaines déclarations pour optimiser sa situation au regard de Pôle emploi. Elle conclut au rejet de la demande de rappel de salaire et, à titre subsidiaire, invoque un salaire de référence de 2 798,68 euros brut, représentant sur une année 33 584,16 euros brut.
La société Y conclut aussi au rejet de la demande de rappel de salaire au motif que M.
X a toujours eu d’autres aspirations professionnelles que les missions effectuées pour
Y et que les pièces produites démontrent qu’il ne s’est pas tenu à la disposition de
la société Y.
M. X soutient qu’à défaut de tout contrat écrit établi par les sociétés Z et Y depuis 2012, son contrat de travail est présumé à temps complet. Il fait valoir qu’il était dans l’impossibilité de prévoir son rythme de travail, les durées de travail et les jours travaillés n’étant pas fixes. Il allègue qu’il n’a jamais refusé une date de travail depuis le début de sa collaboration avec les sociétés Y et Z et que cette dernière (et partant la société Y) était son employeur exclusif, n’ayant perçu d’autres cachets que de façon extrêmement ponctuelle et à la marge. Il soutient aussi que ces sociétés le sollicitaient de manière constante durant les périodes intercalaires. Il demande à la cour de fixer son salaire de référence à la somme de 6 200 euros nets par mois, sur la base d’une attestation de la société Z du 13 février 2018, et à titre subsidiaire, à la somme de 5 378,32 euros. Il sollicite la condamnation in solidum des sociétés Z et Y au paiement d’un rappel de salaire de 136 411,98 euros nets pour la période d’août 2015 au 5 juin 2018 outre la somme de 13 641,19 euros nets au titre des congés payés afférents.
En application de l’article L. 3123-14 du code du travail dans ses rédactions applicables du
22 août 2008 au 10 août 2016 et de l’article L. 3123-6 dans sa version en vigueur depuis le
10 août 2016, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit.
Il mentionne :
1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif de travail conclu en application de l'article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;
2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;
3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;
4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.
Il en résulte que l'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et qu'il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
En outre, la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat, réciproquement, la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.
Il en résulte que le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.
Au cas présent, comme le fait valoir M. X, il n’existe pas de contrat de travail écrit depuis 2012. Il appartient dès lors aux sociétés Z et Y, co-employeurs, de renverser la présomption précitée au titre des périodes couvertes par les contrats à durée déterminée. Or, la société Z pas plus que la société Y n’offrent de preuve de la durée exacte convenue et de ce que le salarié, pendant ces périodes, n’avait pas à se tenir constamment à leur disposition de sorte que les CDD depuis 2012 sont des contrats de travail à temps plein.
S’agissant des périodes interstitielles, il incombe à M. X qui réclame un rappel de salaire au titre de ces périodes de rapporter la preuve de ce qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur durant ces périodes pour effectuer un travail.
S’il résulte des avis d’impôt, des attestations de paiement d’Audiens au titre des congés spectacles et des bulletins de paie de la société Z portant sur les années 2015, 2016 et 2017 versés aux débats que M. X a tiré l’essentiel de ses revenus du travail litigieux, il ressort des pièces produites par la société Z qu’il exerçait d’autres activités, notamment en qualité de photographe professionnel. En outre, il résulte des explications des parties ainsi que des éléments communiqués que M. X était pour l’essentiel embauché pour participer à l’organisation des défilés de la marque Y et les bulletins de salaire de M. X démontrent, notamment depuis 2014, que les périodes d’emploi avaient lieu à peu près aux mêmes moments chaque année, un échange de SMS entre MM. X et A produit par la société Z prouvant que la durée d’emploi convenue par défilé était d’environ 1 mois et demi ou 6 semaines.
Pour démontrer néanmoins qu’il restait constamment à la disposition des sociétés Z et
Y, M. X se prévaut de sept mails sur une période d’environ trois ans, de la fin de l’année 2015 jusqu’au mois de juin 2018, mails intervenus sur des périodes ne correspondant pas à celles de CDD. Cependant, le courriel du 5 décembre 2016 a été envoyé par M. X sans qu’il justifie être intervenu à la demande des sociétés Z et/ou Y. Par ailleurs, il ne justifie pas qu’il a effectivement exécuté les missions demandées dans les mails du 24 mai 2018, ni participé à la réunion du 25 août 2017. Les trois mails restants sont insuffisants à prouver que M. X s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant les périodes interstitielles pour effectuer un travail.
Aussi M. X doit être débouté de sa demande de rappel de salaire d’un montant de 136
411,98 euros nets réclamée pour les périodes interstitielles du 1er août 2015 au 5 juin 2018
et de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice des congés payés afférents, le jugement
étant confirmé de ces chefs.
2.9) Sur le prêt de main d’oeuvre illicite
La société Z conteste tout prêt de main d’oeuvre illicite entre elle et Y, arguant d’une prise en charge complète par elle des défilés de mode pour la marque, soit d’une prestation complexe caractérisant une prestation de service constituant une opération non exclusive de prêt de main d’oeuvre portant sur une tâche spécifique que le donneur d’ordre n’a pas les moyens d’accomplir en interne.
La société Y conteste aussi tout prêt de main d’oeuvre illicite, invoquant que les contrats de mise à disposition n’étaient pas passés avec elle mais avec la société IM Japon et que la société Z, sous-traitante, organisait l’ensemble de la logistique, composait son équipe, organisait le casting des mannequins, fournissait le matériel et les décors dans le cadre d’un contrat international de prestation de services avec la société IM Japon qui supportait les charges sociales afférentes aux salariés mis à sa disposition.
M. X conclut à la confirmation du jugement lui ayant alloué la somme de 5 000 euros pour prêt illicite de main d’oeuvre. Il invoque que l’existence du prêt est établie par les contrats de mise à disposition et le fait qu’il travaille exclusivement pour la société Y depuis 2002, qu’il n’a jamais donné son accord exprès et écrit sur cette mise à disposition et que le caractère lucratif du prêt est avéré au regard de la facturation supérieure à ses salaires, charges sociales et frais professionnels.
Aux termes de l’article L. 8241-1 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite.
Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :
1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l'exploitation d'une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d'agence de mannequin ;
2° Des dispositions de l'article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ;
3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d'employeurs mentionnées à l'article L. 2231-1.
Une opération de prêt de main-d'oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition.
En application de l’article L. 8241-2 du même code, les opérations de prêt de main d’œuvre à but non lucratif sont autorisées, sous certaines conditions dont celle de l’accord du salarié.
Au cas présent, le prêt de main d’oeuvre de la société Z en faveur de la société Y est établi non seulement par le contrat de mise à disposition de personnel signé par cette dernière le 1 juillet 2015, incluant M. X, mais aussi par le er fait résultant des énonciations précédentes que celui-ci a travaillé pour le compte de la société Y pendant de nombreuses années.
Le conseil de prud’hommes a relevé que le montant facturé était supérieur au salaire majoré des charges sociales, en déduisant le caractère lucratif de l’opération, et il n’est développé aucune critique portant précisément sur ce point, la société Z ne contestant pas la facturation par elle de montants supérieurs aux salaires, charges sociales et frais professionnels de M. X.
Les sociétés Z et Y font valoir que le prêt de main d’oeuvre n’est pas l’objet exclusif de l’opération qui consiste en une prestation de services complète. Cependant, les seuls contrats versés aux débats ne sont pas des contrats de sous-traitance ou de prestations de service mais de simples contrats de mise à disposition de personnel et si les factures de la société Z à destination de la société IM Japon et de la société Y portant sur des défilés, ventes ou autres prestations définissent chacune une prestation faisant l’objet des factures, celles-ci sont très peu détaillées incluant généralement des prestations de coordination, frais techniques, charges, production exécutive, frais généraux sans autre précision. La société Z n’offre pas de preuve au soutien de ses allégations relatives au contenu de ses prestations. La mise en oeuvre d’une technicité particulière par la société Z, différente de celle des salariés de la société Y, n’est pas avérée alors qu’initialement, cette dernière a elle-même salarié directement M. X et d’autres personnes pour organiser les défilés de la marque Y et qu’elle ne fournit pas son registre unique du personnel permettant d’identifier objectivement ses emplois, l’organigramme qu’elle produit étant par ailleurs postérieur à la période litigieuse. En outre, il a d’ores et déjà été constaté l’existence d’un lien de subordination entre la société Y et M. X, salarié mis à disposition.
En considération de l’ensemble de ces éléments, les faits de prêt de main d’oeuvre illicite sont établis. Le préjudice en résultant pour M. X est avéré et il sera justement réparé par l’allocation à son profit d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé en ce sens.
2.10) Sur le marchandage
M. X estime que le marchandage est constitué aux motifs que le caractère lucratif de l’opération de fourniture de main d’oeuvre est établi, que cette situation l’a maintenu dans un état de précarité pendant 18 ans du fait de la succession de CDD alors que la société Y n’appartient pas à l’un des secteurs d’activité permettant le recours aux CDD d’usage et que les dispositions de la convention collective applicable à la société Y sont plus favorables.
La société Z conclut à la confirmation du jugement, faisant valoir qu’il n’existe pas de prêt de main d’oeuvre et que le préjudice de M. X n’est pas établi, pas plus que la fraude à la loi ou aux accords collectifs.
La société Y conclut aussi au rejet de la demande, arguant du caractère licite du prêt de main d’oeuvre entre la société Z et la société IM Japon et du fait que le groupe Y dont l’activité relève de l’habillement a légitimement eu recours à des sociétés de production pour effectuer ses défilés.
Aux termes de l’article L. 8231-1, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit.
L’opération à but lucratif de main d’oeuvre incluant M. X a d’ores et déjà été retenue.
Elle a causé un préjudice à celui-ci en le maintenant dans une situation de précarité caractérisée par une succession de CDD. En tout état de cause, elle a eu pour effet d’éluder l’application des dispositions légales en vertu desquelles le recours au CDI est la norme et celui au CDD est strictement encadré, la société Y ne relevant pas des secteurs d’activité permettant le recours aux CDD d’usage. Les faits de marchandage sont établis, peu important au regard de la caractérisation de l’infraction sur ce dernier fondement que la situation ait pu permettre à M. Z de bénéficier de l’indemnisation de Pôle emploi pour les intermittents du spectacle.
La cour dispose des éléments lui permettant de retenir que le préjudice en résultant pour M.
X est établi et qu’il justifie une indemnisation à hauteur de 2 000 euros, le jugement étant infirmé en ce sens.
2.11) Sur le salaire de référence unique
Le jugement est infirmé en ce qu’il a fixé un salaire de référence unique, le salaire à prendre en compte variant suivant le type de demandes ainsi qu’il sera vu ci-après. Il en résulte que M.X doit être débouté de sa demande tendant à la fixation d’un tel salaire de référence.
2.12) Sur l’indemnité de requalification
La société Z conclut à l’infirmation du jugement ayant alloué de ce chef à M. X la somme de 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification. Elle soutient que le dernier salaire mensuel perçu par M. X est de 2 910,72 euros brut et que le salaire de référence à prendre en compte, soit la dernière moyenne mensuelle, doit être calculé sur la base des salaires de juin 2017 à mai 2018, représentant 2 798,68 euros brut par mois. Considérant que l’action en requalification est prescrite pour les contrats conclus avant le 17 juillet 2016 sur le fondement de l’irrégularité de forme et qu’elle est manifestement infondée sur l’autre motif, elle demande à la cour de fixer l’indemnité de requalification à 2 798,68 euros brut.
La société Y conclut au rejet de la demande d’indemnité de requalification au motif de l’absence de tout contrat de travail avec M. X.
Celui-ci conclut à la confirmation du jugement.
En application de l’article L 1245-2 du code du travail, le salarié dont le CDD est requalifié en CDI a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Il résulte de ce texte que le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale. Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l'ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu'ils ont une périodicité supérieure au mois.
La moyenne de salaire mensuel sur les douze derniers mois qui précèdent la rupture du contrat de travail est de 2 798,68 euros brut. Le dernier salaire mensuel de M. X avant le mois où est survenue la rupture du contrat de travail en juin 2018 est celui perçu pour le mois de février 2018, d’un montant de 8 016,78 euros brut, et celui perçu le mois ayant précédé la saisine de la juridiction prud’homale, celui du mois de juin 2018, s’élève à 2 910,72 euros brut.
La requalification des CDD en CDI remonte au 12 février 2002. Compte tenu de la durée particulièrement importante durant laquelle M. X a été employé en CDD, le jugement en confirmé sur le montant de l’indemnité de requalification allouée à M. X de 10 000 euros.
2.13) Sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences
i) Sur la rupture du contrat de travail
La société Z soutient que M. X est à l’origine de la rupture du contrat de travail, laquelle s’analyse en une démission aux motifs qu’il s’est placé en arrêt maladie en pleine mission, n’est pas revenu travailler à l’issue, a fait croire en juillet 2018 qu’il serait de retour pour le défilé femme de septembre suivant mais n’a pas repris le travail à cette époque. Elle soutient n’avoir jamais eu l’intention de le licencier, lui ayant versé des avances sur le salaire du mois de septembre 2018, et invoque que la requête déposée par M. X le 17 juillet 2018 et ses revendications exorbitantes et infondées ont eu pour effet de rompre sa confiance en lui.
La société Y fait valoir que si M. X affirme que la relation de travail a été rompue à compter du 5 juin 2018, aucun élément ne démontre l’arrêt des relations avec la société Z
et en tout état de cause que n’étant pas l’employeur de M. X, elle n’en est pas responsable.
La société Z et M. X s’accordent pour indiquer que ce dernier a été placé en arrêt maladie le 5 juin 2018. Les pièces versées aux débats établissent :
- que le dernier bulletin de salaire de M. X a été établi par la société Z pour la période du 1 au 4 juin 2018 alors que l’arrêt maladie n’a pour e er ffet que de suspendre le contrat de travail et ne dispense pas l’employeur d’établir un bulletin de salaire pour la période correspondante ;
- qu’un échange de mails est intervenu les 11 et 12 juillet 2018 entre M. X et M. Abadie de la société Z aux termes duquel M. X a sollicité une DUE à partir de ce jour “pour déclarer un maximum d’heures sur juillet” et M. Abadie a répondu que la coordination avait décidé de ne plus faire d’acompte, qu’il s’agissait des instructions qu’il avait reçues.
La cour observe de plus qu’il n’est justifié d’aucun versement d’acompte par la société Z après le 4 juin 2018 et que ni la société Z, ni la société Y, co-employeur, ne justifient avoir fait appel à M. X après cette date, ni l’avoir mis en demeure de reprendre le travail.
En considération de ces éléments, il apparaît que la relation de travail à durée indéterminée a cessé à partir du 5 juin 2014, lendemain du dernier jour travaillé et payé de M. X, que celui-ci n’a jamais manifesté sa volonté claire et non équivoque de mettre fin à la relation de travail et qu’au contraire, la rupture du contrat de travail à durée indéterminée est imputable à l’employeur qui n’a plus fourni de travail au salarié, ni délivré le moindre bulletin de salaire.
Dès lors, la rupture s’analyse non en une démission mais en un licenciement.
A défaut de toute lettre de licenciement énonçant les motifs du licenciement, celui-ci est sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé en ce qu’il a statué en ce sens et en ce qu’il a débouté la société Z visant à juger que la rupture en une démission.
2.14) Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
- sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents :
La société Z soutient que compte tenu d’un salaire de référence de 2 798,68 euros brut et d’une ancienneté remontant au 1er septembre 2016, il est dû à titre d’indemnité compensatrice
de préavis la somme de 8 396,04 euros brut et celle de 839,60 euros au titre des congés payés
afférents.
La société Y conclut au rejet de la demande au motif qu’elle n’est pas l’employeur de
M. X.
Ce dernier soutient qu’en sa qualité de salarié en CDI, il aurait dû bénéficier d’une indemnité compensatrice de 3 mois justifiant sur la base d’un salaire de référence de 6 200 euros net une indemnité compensatrice de préavis de 18 600 euros net, outre 1 860 euros net au titre des congés payés afférents, et, à titre subsidiaire, sur la base d’un salaire de référence de 5 378,32 euros brut, la somme de 16 134,96 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 1 613,50 euros brut au titre des congés payés afférents.
En application des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail, de la convention collective applicable, de la qualité de cadre du salarié, de son ancienneté remontant au 12 février 2002 et de l’absence de critique du jugement qui a retenu un préavis de trois mois, M. X est en droit de se prévaloir d’un préavis de cette durée.
L'indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au montant des salaires que le salarié aurait perçus s'il avait travaillé pendant la durée du préavis.
La requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l'entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s'il avait été recruté depuis l'origine dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Il s’ensuit que l'indemnité de préavis doit être calculée au regard des sommes que le salarié aurait perçues en application du statut de travailleur permanent qui lui a été reconnu.
L’indemnité compensatrice est calculée sur la base des salaires et avantages bruts auxquels le salarié aurait pu prétendre et non en fonction du salaire net.
En conséquence, M. X doit être débouté de sa demande fondée sur une rémunération nette. En revanche, ce dernier justifie que la moyenne des trois derniers mois incluant une période de travail qui précèdent la rupture du contrat de travail s’élève à 5 378,32 euros. Le jugement est confirmé en ce qu’il a alloué à M. X la somme de 16 134,96 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 1 613,50 euros au titre de l’indemnité compensatrice des congés payés afférents.
- sur l’indemnité de licenciement :
La société Z soutient que compte tenu du salaire de référence de 2 798,68 euros brut et de
l’ancienneté remontant au 1er septembre 2016, l’indemnité légale de licenciement est de 1
282,73 euros brut.
La société Y conclut au rejet de la demande au motif qu’elle n’est pas l’employeur de
M. X.
Ce dernier qui revendique de 18 ans réclame la somme de 31 868 euros net et à titre subsidiaire celle de 27 644, 56 euros brut.
En application des articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2, M. X, dont l’ancienneté remonte au 12 février 2002 et qui a été licencié le 5 juin 2018, a droit à une indemnité de licenciement égale à un quart de mois de salaire pour les années jusqu’à 10 ans et à un tiers de mois de salaire pour les années à partir de 10 ans, l’indemnité étant calculée proportionnellement au nombre de mois complets.
L’indemnité de licenciement est fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail selon la formule la plus avantageuse entre la moyenne des 12 derniers mois précédant le licenciement et le tiers des trois derniers mois.
M. X ne peut donc réclamer une somme en net fondée sur une rémunération nette de sorte qu’il doit être débouté de ce chef Celui-ci n’ayant pas travaillé, ni été rémunéré des mois de mars à mai 2018, lequel mois précède la rupture du contrat de travail, il convient de tenir compte des 12 ou 3 derniers mois précédant l’arrêt de la fourniture de travail.
La moyenne des trois derniers mois de 5 378,32 euros étant plus avantageuse, l’indemnité de licenciement due est de 25 098,83 euros brut, le jugement étant infirmé en ce sens.
- sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
La société Z s’oppose à la demande de M. X d’écarter le barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail et de ramener à de plus justes proportions cette indemnité, compte tenu d’une ancienneté de 1 an et 10 mois, d’un salaire de référence de 2 798,68 euros brut et de l’absence de tout élément concret prouvant une baisse des revenus du foyer après le 5 juin 2018 La société Y conclut au rejet de la demande au motif qu’elle n’est pas l’employeur de M. X.
M. X soutient que le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est contraire à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT sur le licenciement ratifiée par la France, à l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 ratifiée par la France interprété par le comité européen des droits sociaux et au droit au procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Il fait valoir qu’il est bénéficiaire de l’allocation d’aide au retour à l’emploi depuis le 21 février 2020, qu’il est confronté à de sérieuses difficultés financières. Il réclame une indemnisation correspondant à 18 mois de salaire, soit à titre principal la somme de 111 600 euros nets et à titre subsidiaire celle de 97 000 nets.
Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.
Selon l’article L. 1235-3-1 du même code, l’article 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues à son deuxième alinéa.
Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Enfin, selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l’article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Aux termes de l’article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre
réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une
mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant
un organe impartial. particuliers, qu’elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire.
Le terme “adéquat” signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d’une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et que le barème n’est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. En outre, le juge applique d’office les dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
Enfin, aux termes de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il en résulte que cet article garantit une équité “procédurale” et que l’évaluation d’un préjudice n’entre pas dans son champ d’application.
En conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention de l’OIT et il appartient à la cour d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article.
Compte tenu de l’âge de M. X lors de la rupture (né en 1974), de son ancienneté, de son salaire, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, étant précisé que M. X ne justifie de la perception de prestations Pôle emploi que pour la période du 21 février 2020 au 31 mars 2021 et que les difficultés financières qu’il prouve sont postérieures de nombreux mois à son licenciement, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé en ce sens.
2.15) Sur l’indemnité pour travail dissimulé
M. X sollicite la somme de 32 700 euros à ce titre, en faisant valoir qu’il travaillait à temps complet pour Y mais n’était déclaré qu’un mois par trimestre par la société Z. Il en veut pour preuve qu’il reçevait chaque mois un acompte de la société Z, avec un
décalage par rapport à ses prochains contrats de travail. Il invoque aussi que le caractère
intentionnel du travail dissimulé ressort du fait que la société Z effectuait sur la demande
d’Y des DUE sur des périodes non couvertes par un contrat de travail ou bulletin de paie,
ce afin de pouvoir les transmettre à l’inspection du travail en cas de contrôle, et que parfois une
facture et un contrat de mise à disposition étaient édités par la société Z alors qu’il ne
bénéficiait ni de contrat de travail, ni de bulletin de paie.
La société Z rétorque que les périodes d’embauche et de paie correspondaient et que les
acomptes étaient destinés à lisser les rémunérations, constituant des avances sur salaires, ce que
démontreraient les demandes faites expressément en ce sens par M. X qui était
continuellement à cours d’argent et poursuivi par ses créanciers. Elle conteste tout travail
dissimulé.
La société Y conclut aussi au débouté de ce chef, arguant de l’absence de contrat de
travail la liant à M. X, du fait que le prêt de main d’oeuvre illicite n’ouvre pas droit
pour le salarié prêté à l’indemnité pour travail dissimulé et que la société IM Japon n’a jamais
eu l’intention de dissimuler les heures travaillées par M. X.
L’article L. 8223-1 du code du travail dispose :
En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Aux termes de ce dernier article, dans sa version en vigueur depuis le 10 août 2016, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article
L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli,
si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
En l’espèce, il convient de rappeler d’abord que la cour a jugé que les CDD depuis 2012 sont des contrats de travail à temps plein mais qu’aucun rappel de salaire n’a été accordé au salarié au titre des périodes couvertes par les CDD, ni au titre des périodes intersticielles.
Ensuite, il est exact au vu des relevés de compte et des bulletins de salaire de M. X que la société Z lui a parfois versé des acomptes à des périodes pour lesquelles aucun bulletin de paie n’a été établi (par exemple, le 5 octobre 2017 alors que le prochain contrat de travail est intervenu en janvier suivant). Il résulte aussi des pièces versées aux débats que parfois, la coordination d’Y sollicitait de la société Z l’établissement de DUE. M. X verse un contrat de mise à disposition pour mars 2018 incluant M. X et un contrat de mise à disposition du 1 octobre 2017.
Cependant, ce dernier contrat n’est pas er signé par Y et ne comprend pas M. X.
Celui de mars 2018 n’est pas non plus signé par Y. Ces documents ne sont donc pas probants de la réalité d’une mise à disposition. En outre, les DUE correspondant aux demandes faites par la coordination d’Y ne sont pas produites. Et il résulte des propres pièces de la société Z que celle-ci recevait des demandes d’acomptes de la part de M. X sur des défilés à venir. Ainsi ce dernier ne présente pas d’éléments suffisamment précis quant aux heures et dates où il aurait travaillé sans avoir bénéficié de contrat de travail et sans établissement d’un bulletin de salaire correspondant.
En tout état de cause, le caractère intentionnel requis n’est pas établi.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté M. X de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.
2.16) Sur les débiteurs des sommes dues à M. X
S’agissant d’une situation de co-emploi, les co-employeurs sont solidairement débiteurs des obligations contractuelles à l’égard du salarié. M. X est donc bien fondé à prétendre que les sociétés Z et Y sont in solidum tenues à son égard.
Cependant, après l’engagement de l’instance prud’homale, la société Z a fait l’objet d’un jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Or en application de l’article L.622-21 du code de commerce, le jugement d’ouverture interdit toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent de sorte que la cour doit constater la créance de M. X à l’égard de la société Z et la fixer en son montant, le jugement étant infirmé en ce sens.
2.17) Sur les intérêts
Les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance en cas de confirmation pure et simple et du présent arrêt dans les autres cas.
Pour ce qui concerne la société Z, il convient de rappeler qu’en application des articles L.
622-28 et L. 631-14 du code de commerce, le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations.
Le jugement est infirmé en ce sens.
2.18) Sur la remise des documents de fin de contrat
Il convient d’ordonner à la société Z et à la société Y de remettre à M. X un certificat de travail, un bulletin de paie récapitulatif et une attestation destinée à Pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt sans qu’il soit besoin d’ordonner une astreinte, le jugement étant infirmé en ce sens
2.19) Sur les demandes reconventionnelles de la société Z
Sur le remboursement des avances sur salaires
La société Z prétend que M. X a bénéficié de la somme de 6 340 euros à titre d’avances sur son salaire de septembre 2018 alors que celles-ci n’ont connu aucune contre partie.
M. X ne répond pas sur ce point.
Il appartient à la société Z qui agit en restitution de l’indu de prouver le paiement et son caractère indu. Or, ni le tableau compris dans ses conclusions, ni l’extrait de son grand livre ne justifie d’un solde d’avances de 6 340 euros net en faveur de M. X, lesdites pièces ne prouvant pas le paiement effectif des sommes visées dans le tableau, dont notamment le solde de 10 000 euros net au 31 décembre 2017, alors que les extraits des comptes bancaires de M. X dont la cour dispose par ailleurs ne sont pas complets et ne permettent pas de vérifier l’ensemble des sommes prétendument versées à ce dernier. La société Z est déboutée de sa demande.
2.20) Sur les dommages et intérêts pour rupture brutale et sans préavis du CDD en
cours depuis le 1er juin 2018
Au regard du sens du présent arrêt ayant retenu que M. X a subi un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 5 juin 2018, la société Z ne peut qu’être déboutée de sa demande,
le jugement étant confirmé de ce chef.
2.21) Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral et commercial du fait des
accusations graves et infondées de M. X dans le but de discréditer la société Z
La société Z ne précise pas les accusations graves et infondées dont elle se plaint, ni ne prouve que M. X a agi dans le but de la discréditer alors que la cour a accueilli une bonne partie des demandes de M. X. La faute alléguée contre celui-ci n’est ni caractérisée, ni établie.
La société Z ne justifie pas non plus de la réalité du préjudice moral et commercial invoqué.
Le jugement qui l’a débouté de sa demande est confirmé.
2.22) Sur les demandes de la société Y
Sur l’amende civile
Au regard du sens de la présente décision, l’action en justice engagée par M. X n’est ni dilatoire, ni abusive. Les conditions d’une amende civile ne sont donc pas réunies et la demande formée de ce chef est rejetée.
Sur la restitution de la somme versée au titre de l’exécution provisoire
Le présent arrêt partiellement infirmatif est le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire de sorte qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une quelconque restitution.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les sociétés Z et Y sont in solidum condamnées aux dépens d’appel hormis ceux liés à l’intervention des sociétés FHBX prise en la personne de Me Couturier et Herbaut-Pecou, prise en la personne de Me Herbaut, qui resteront à la charge desdites sociétés. Le jugement est confirmé sur les dépens et frais irrépétibles de première instance. Il n’y a pas lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d’appel.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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