Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu le 8 avril 2014 par la Cour de cassation et qui vient apporter quelques précisions concernant l’action en responsabilité que peut engager un chef d’entreprise à l’encontre du mandataire judiciaire en charge de la procédure collective de sa société.
Les faits sont les suivants : par jugement en date du 29 avril 1992, la société S.A.I.G avait été placée en liquidation judiciaire et un mandataire liquidateur avait été désigné, Me ZEL, devenu par la suite SCP.
Or, dans le cadre du suivi de cette liquidation judiciaire, et par décision du 2 octobre 2001, Madame X a été désignée mandataire ad-hoc, avec comme mission de représenter la société S.A.I.G pour la défense de ses intérêts propres.
Par la suite, un jugement du 16 janvier 2007 a constaté la clôture pour extinction de passif de la procédure de la liquidation judiciaire, et a désigné Madame X afin de recevoir le boni de liquidation et de le répartir entre les associés.
Il convient de rappeler que lorsque la procédure collective est clôturée pour extinction du passif, cela signifie que l’ensemble des créanciers a été désintéressé et que le boni éventuel pouvant revenir à la société est ensuite adressé au liquidateur amiable de la société qui a pour tâche de le répartir entre les différents associés. Le boni de liquidation étant ainsi réparti entre les associés.
La question était alors de savoir si le liquidateur amiable, préalablement désigné mandataire-ad-hoc pouvait, dans le cadre de ses opérations de répartition, envisager engager une action en justice pour obtenir un boni plus important ?
C’est en procédant à cette mission de boni de liquidation de répartition dudit boni entre les mains des différents associés que le mandataire ad-hoc, Madame X a considéré que le mandataire liquidateur avait commis des erreurs dans les comptes de liquidation judiciaire, dites erreurs impactant le boni de liquidation et par là même la répartition à venir au profit des différents associés.
Ainsi, le mandataire ad hoc, en sa qualité de liquidateur amiable, a, par acte du 27 octobre 2009, engagé la responsabilité du mandataire liquidateur de la procédure collective désormais clôturée pour extinction du passif.
Dans le cadre de sa procédure la Cour d’appel d’Agen avait considéré que l’action engagée par Madame X en sa qualité de mandataire ad-hoc, était irrecevable, celle-ci n’ayant pas qualité à agir, pour la simple et bonne raison qu’elle avait eu en premier lieu la qualité de mandataire ad-hoc pour représenter la défense des intérêts de la société S.A.I.G jusqu’au 16 janvier 2007, date de la clôture pour l’extinction du passif.
La Cour précisant alors qu’à compter de cette date, elle avait eu pour mission de recevoir le boni de la liquidation et de répartir ce boni, de telle sorte qu’elle n’était nullement le liquidateur amiable de la société.
La Cour d’appel d’Agen relève encore que Madame X n’ayant pas demandé à être désignée en qualité de liquidateur amiable et n’ayant pas formé de recours contre sa désignation en qualité de mandataire ad-hoc, ne pouvait avoir quelque qualité pour engager une action en responsabilité contre le mandataire liquidateur de la société alors en liquidation judiciaire.
Enfin, et encore, la Cour d’appel d’Agen considère que l’action est d’autant plus irrecevable que le mandataire liquidateur avait établi son compte-rendu de fin de mission, qu’il avait déposé au greffe du Tribunal de commerce le 5 janvier 2007, et que ce compte-rendu ayant été approuvé par le Juge-commissaire le 16 décembre 2007, il n’était guère possible d’engager une action en responsabilité contre le mandataire.
Est-ce que pour autant, la décision du juge commissaire validant la reddition des comptes du mandataire liquidateur pouvait valablement exonérer ce dernier de toute forme de responsabilité.
Fort heureusement non.
La Haute juridiction casse, et annule dans toutes ces dispositions, l’arrêt rendu le 21 novembre 2012 par la Cour d’appel d’Agen, en considérant que la Cour d’appel d’Agen avait méconnu la portée du jugement du 2 octobre 2001.
En effet, le jugement du 16 janvier 2007 ayant désigné Madame X pour recevoir le boni de liquidation judiciaire, n’avait pas mis fin à la mission du mandataire ad-hoc, dont elle avait été investie le 2 octobre 2001, pour représenter les intérêts propres de la société S.A.I.G.
En considérant le contraire, la Cour d’appel a méconnu la portée de ce jugement et a donc violé le texte susvisé.
Il est bien évident que le mandataire ad-hoc n’est pas désigné pour une tâche précise, mais dans la mesure où il représente les intérêts propres de la société, il peut parfaitement engager une action en responsabilité contre le mandataire liquidateur, si ce dernier, dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire, a commis des fautes.
Ainsi, quand bien même la société ait fait l’objet en liquidation judiciaire et tant bien même la procédure collective ait été clôturée pour extinction du passif, celle-ci existe encore bel et bien, et ses représentants légaux, mandataire ad hoc, et, ou, liquidateur amiable
Rien ne peut donc empêcher ou interdire cette société, dont la personnalité morale subsiste pour les besoins de sa liquidation judiciaire et qui n’est donc plus dessaisie, d’exercer par l’organe de son liquidateur amiable une action nouvelle, afin d’augmenter l’actif à partager.
Dès lors, au terme de l’article L237-24 du Code du commerce, le liquidateur amiable peut de plein droit agir en justice dans l’intérêt de sa société.
Par voie de conséquence, il peut engager la responsabilité du mandataire liquidateur au titre des fautes et manquements qu’il aurait pu commettre dans le cadre de l’exorcise de ses fonctions.
Le document dit de reddition des comptes permet à ce titre au débiteur, ou au liquidateur amiable d’analyser l’ensemble des entrées et sorties comptables et financières effectuées sur le compte de la liquidation judiciaire auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations – CDC.
Cette mission incombe au liquidateur amiable lorsque la société a fait l’objet d’une clôture pour extinction de passif et qu’un boni ait vocation à être redistribué entre les différents associés.
Ainsi, le mandataire ad-hoc, qui représente la défense des intérêts propres de la société qui, à compter du 16 janvier 2007, date de la clôture pour extinction de passif, a donc bien qualité et compétences pour recevoir le boni de liquidation.
Il est parfaitement en mesure de représenter les intérêts propres de la société, ainsi que d’engager toute action visant non seulement à engager la responsabilité du mandataire judiciaire, mais surtout par ce biais-là, à faire grossir l’actif devant être réparti entre les différents associés.
Il est bien évident qu’engager une action envers le mandataire liquidateur est une action indemnitaire, ladite indemnité devant par la suite être reversé aux différents associés.
Dans la mesure où le mandataire ad-hoc avait vocation à défendre les intérêts de la société en liquidation judiciaire, il faisait bien partie de ses pouvoirs d’engager toute action nécessaire à la réalisation de l’actif afin justement de recevoir et de répartir le boni de liquidation judiciaire.
Dans le cas visé par l’espèce, dans la mesure où le mandataire ad-hoc avait été désigné par un jugement du 2 octobre 2001 pour défendre les intérêts propres de la société en liquidation judiciaire, ladite décision du 2 octobre 2001 qui ne fixait aucune durée à ce mandat et, dans la mesure où par jugement du 16 janvier 2007, prononçant la clôture pour extinction du passif, ce même mandataire ad-hoc avait été désigné pour recevoir le boni de liquidation, il était bien évident que l’analyse juridique de ces deux décisions de justice cumulées montrait bien que le mandataire ad-hoc n’avait pas fini sa mission de représentation des intérêts propres de la société et qu’il pouvait donc parfaitement engager une action en responsabilité.
Cet arrêt rappelle que dans le cadre d’une liquidation judiciaire clôturée pour extinction du passif, le dirigeant, ou le liquidateur amiable peut engager la responsabilité du mandataire liquidateur.
Dans le cadre de la clôture de la liquidation judiciaire la reddition des comptes est un document qui éclaire tant le juge commissaire que le dirigeant de l’entreprise de la gestion de la procédure collective par le mandataire judiciaire.
Ceci est d’autant plus utile qu’il n’est pas rare de constater en pratique que durant le temps de la liquidation judiciaire, le mandataire liquidateur se garde bien de communiquer au dirigeant qui le réclame les comptes de la liquidation.
L’analyse de la reddition des comptes du mandataire liquidateur permet bien souvent de comprendre le sort des actifs perçus par ce dernier et le sort de leur affectation.
Dans les deux cas, qu’il s’agisse de la réalisation des actifs, ou qu’il s’agisse de la répartition des fonds perçus au profit des créanciers suivant leur admission et suivant leur privilège, le mandataire judiciaire peut engager sa responsabilité.
Il appartient au mandataire liquidateur de faire face à ces responsabilités, et ce, que la procédure soit clôturée pour insuffisance d’actif ou pour extinction du passif.
Une des avancées notables de la loi du 26 juillet 2005 est directement liée à la notion de dessaisissement du débiteur en cas de liquidation judiciaire.
Une distinction a été faite puisqu’initialement, lorsque la société était en liquidation judiciaire, celle-ci n’avait plus de dirigeant lequel n’avait plus vocation à intervenir ou à représenter la société, cette tâche était confiée, de par la Loi au mandataire liquidateur.
Le dirigeant n’avait donc plus aucune qualité à agir ni même pour engager quelque action que ce soit, fût-elle contre le mandataire liquidateur lorsque ce dernier se rendait compte d’un certain nombre de manquements pouvant exposer ce dernier à sa responsabilité.
Le dirigeant pouvait à ce moment-là engager une action en sollicitant la désignation d’un mandataire ad-hoc.
Fort heureusement, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que cela n’était pas suffisant et que la législation devait permettre au dirigeant de conserver la direction de son entreprise et d’être en mesure de prendre toute mesure qui pouvait être utile aux intérêts propres de la société.
Désormais, la Loi prévoit que lorsque le débiteur est une personne morale, les dirigeants, en fonction lors du prononcé du jugement demeurent en fonction, sauf disposition contraire des statuts ou décision de l’assemblée générale.
Ainsi, lorsque la liquidation judiciaire est clôturée pour extinction du passif, le liquidateur amiable, fut ce t’il initialement désigné mandataire ad hoc, peut engager la responsabilité du mandataire liquidateur si celui-ci a commis des fautes ou des manquements dans le cadre de l’exorcise de sa mission,
La reddition des comptes, fut-ce t’elle validée par le juge commissaire, n’exonère en rien la responsabilité du mandataire liquidateur qui se doit de rendre des comptes tout au long de la procédure collective tout comme lorsque celle-ci est finalement clôturée.
Bien au contraire, elle doit permettre au débiteur, au dirigeant de l’entreprise, au mandataire ad hoc, ou au liquidateur amiable d’appréhender avec exactitude l’ensemble des opérations de vérification du passif, de réalisation des actifs et de répartition des fonds créancier par créancier suivant leurs montants et privilèges.