Le 24 septembre 2014, la Cour de cassation a jugé que l'indemnité due en raison de l'occupation privative d'un immeuble indivis par un époux doit être déterminée en considération de la valeur locative de la totalité du fonds occupé et celle-ci commence à courir à partir de la date de l'assignation en divorce (régime antérieur à la loi du 26 mai 2004).
Pour mémoire, l'article 815-9, alinéa 2, du code civil dispose que :
«L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité ».
De plus, l’article 262-1 du Code civil ajoute que :
« Le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens :
- lorsqu'il est prononcé par consentement mutuel, à la date de l'homologation de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce, à moins que celle-ci n'en dispose autrement ;
- lorsqu'il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute, à la date de l'ordonnance de non-conciliation.
A la demande de l'un des époux, le juge peut fixer les effets du jugement à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce. La jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge ».
Il arrive fréquemment que des époux acquièrent, en cours d’union, un immeuble de manière indivise, et ce indépendamment de leur régime matrimonial ou de l’éventuelle existence d’un contrat de mariage prénuptial.
La propriété sur ce bien est donc en indivision.
Or, le sort de l’immeuble indivis se révèle être l’une des difficultés auxquelles sont confrontés les juges chargés de la liquidation et du partage des intérêts matrimoniaux lorsque le couple divorce.
En effet, pendant la procédure de divorce, il est fréquent que l’un des époux occupe seul, parfois avec les enfants communs, l’immeuble indivis.
Il est acquis, aujourd'hui, que si l’un des époux, divorcé ou en instance de divorce, continue de jouir privativement d’un immeuble indivis acquis par le couple, il est redevable envers l’autre, sauf convention contraire, d’une indemnité d’occupation. (article 815-9, al. 2 du Code civil ; CA Paris, 8 avril 1986).
L’indemnité d’occupation s’entend comme étant la somme mensuelle, déterminée par le juge, que l’époux jouissant exclusivement d’un immeuble indivis est tenu de verser à l’autre pour compenser son absence de jouissance du bien acquis indivisément.
En l’espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient acquis un bien immobilier durant leur union.
Cet immeuble était composé d'une parcelle avec maison et d'une parcelle de terrain.
Le jugement prononçant leur divorce et ordonnant la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux avait octroyé à l’épouse l'occupation non-gratuite de ce bien.
La Cour d'appel avait considéré :
- d’une part, que l'indemnité due par l'épouse pour jouissance privative de l'immeuble indivis devait être calculée à partir de la valeur locative de la seule parcelle avec maison, à l'exclusion de la parcelle de terrain, au motif que cette dernière n'aurait pas trouvé de preneur pour être louée séparément
- d’autre part, que le point de départ du paiement de l’indemnité d’occupation est celle de la date à laquelle le mari avait effectivement quitté le logement, c'est-à-dire à la date à laquelle la jouissance privative du bien indivis par l'épouse a réellement débuté.
Or, l’époux soutenait qu’il convenait de prendre en compte la valeur locative de l’ensemble immobilier pour calculer l’indemnité d’occupation due par son ex-épouse et non pas la seule parcelle construite.
Par ailleurs, selon l’épouse, la date à partir de laquelle l’indemnité d’occupation est due devait être celle de l’assignation en divorce.
La Cour de cassation a cassé la décision des juges du fond en considérant:
D’une part :
« Viole l'article 815-9 du Code civil la cour d’appel qui, pour fixer l'indemnité due par l’ex-épouse au titre de l'occupation de l'immeuble indivis composé d'une parcelle avec maison et d'une parcelle de terrain, se fonde sur la valeur locative de la première, à l'exclusion de celle de la seconde, au motif que celle-ci n'aurait pas trouvé preneur pour être louée séparément, alors que l’intéressée avait la jouissance privative des deux parcelles ».
Et, d’autre part :
«qu'en l'absence de dispositions contraires, un époux séparé de biens, qui jouit privativement d'un immeuble indivis, est redevable d'une indemnité d'occupation à compter de la date de l'assignation en divorce, qui fixe le point de départ des effets de la décision de divorce dans les rapports patrimoniaux des époux ».
Cette décision est intéressante en ce qu’elle permet de :
- déterminer le montant de l’indemnité d’occupation due par un époux pour jouissance privative d’un immeuble indivis (1)
- fixer le point de départ de l’indemnité d’occupation due par un époux pour jouissance privative d’un immeuble indivis (2)
1°) La détermination du montant de l’indemnité d’occupation due par un époux pour jouissance privative d’un immeuble indivis
L’indemnité d’occupation pour jouissance privative est due même en l’absence d’occupation privative effective des lieux, dés lors qu’il y’a impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’en user. (Cass. Civ. I, 29 juin 2011, n° 10-15.634)
En l’absence d’accord entre les parties, il incombe au juge de déterminer le montant de l'indemnité pour jouissance privative d'un bien indivis, en cas de divorce.
Le juge ne saurait déléguer cette mission au notaire liquidateur, lequel peut seulement donner un avis de pur fait sur les éléments d'évaluation de l'indemnité. (Cass. Civ. I, 2 avril 1996, n° 94-14.310)
Le choix de la méthode de calcul destinée à fixer le montant de l'indemnité relève du pouvoir d'appréciation des juges du fond (Cass. civ. I, 25 juin 1996).
Toutefois, la Cour de cassation fournit quelques indications générales notamment:
- le juge peut naturellement avoir égard à la valeur locative du bien (Cass. civ. III, 16 mars 1983).
- La valeur locative n’est pas, cependant, un élément de référence automatique. En effet, rien n’interdit au juge de prendre en considération d'autres éléments propres à l'espèce (Cass. Civ. I, 13 décembre 1993, n° 92-20.780)
- Les juges du fond peuvent opérer une « réfaction » de la valeur locative du bien. Cette réfaction peut varier de 15 à 30 % d'un loyer normal (Cass. civ. II, 4 mai 1994).
- Il faut noter que dans la mesure où l'indemnité est assimilée aux fruits et revenus, elle est due à l'indivision et non aux autres indivisaires (Cass. civ. I, 14 novembre 1984).
- La Cour de cassation considère que lorsque l'un des époux a joui exclusivement du logement familial avec ses enfants, l'indemnité d'occupation mise à sa charge peut être diminuée, voire dans certains cas supprimée (Cass. civ. I, 7 juin 1989).
- Il ressort, enfin, de notre arrêt d’espèce, que l'indemnité d'occupation doit être déterminée sur la base de la totalité du bien dont un des indivisaires s'est fait accorder le bénéfice de la jouissance privative.
Enfin, l’indemnité d’occupation est comparable à un loyer mais ne lui est pas assimilable.
En effet, l’indivisaire occupant n’est pas dans la situation d’un locataire et ne bénéficie pas de sa protection.
La précarité de son titre justifie donc une contrepartie financière moindre qu’un loyer.
2°) Le point de départ de l’indemnité d’occupation due par un époux pour jouissance privative d’un immeuble indivis
En principe, l'indemnité est due dès que la jouissance privative commence.
C’est-à-dire à partir de la date où le bien ne pouvait plus être considéré comme étant à l’usage commun des époux.
La Cour de cassation considérant que l’indemnité d’occupation pour jouissance privative d’un immeuble indivise est due par l’époux occupant en cours de procédure, depuis le moment où l’on doit considérer que le divorce a pris effet en ce qui concerne leurs biens (Cass. Civ. I, 19 avril 2005, n° 02-10.985).
Selon l’article 262-1 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 11 juillet 1975, applicable en l’espèce, le point de départ des effets de la décision de divorce dans les rapports entre époux correspond à la date d'assignation en divorce.
La Cour de cassation considère, en espèce, que l'indemnité d'occupation est due, sauf clause contraire, à compter de la date de l'assignation en divorce qui fixe le point de départ des effets de la décision de divorce dans les rapports entre époux.
Cette solution est classique s'agissant des textes antérieurs à la loi du 26 mai 2004.
Ainsi il a été jugé que l'époux qui a formé une demande d'indemnité d'occupation dans le délai de cinq ans suivant la date à laquelle le jugement de divorce a acquis force de chose jugée est en droit d'obtenir une indemnité depuis la date de l'assignation en divorce. (Cass. Civ. I, 7 juin 2006, n° 04-12.331)
Depuis la loi du 26 mai 2004, le point de départ des effets du divorce dans les rapports entre les époux en ce qui concerne leurs biens est la date de l'ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales qui fixe les mesures dites provisoires.
En effet, l'article 262-1 du code civil indique, dans sa rédaction issue de cette loi, que le jugement de divorce prend effet, dans les rapports entre époux et en ce qui concerne leurs biens, lorsqu'il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute, à la date de l'ordonnance de non-conciliation.
Il ressort donc de cet article que l'indemnité d'occupation due par un des époux pour jouissance privative d'un bien indivis est en principe due à compter de la date de l'ordonnance de non-conciliation, ceci quand bien même la jouissance privative par l'époux occupant n'aurait pas encore débuté à cette date.
Pour conclure, il convient de noter que l'action en paiement de l'indemnité d'occupation est prescrite par cinq ans, conformément à ce que prévoit l'article 815-10 alinéa 3 du Code civil pour les recherches relatives aux fruits et revenus de l'indivision (Cass. Civ. I, 17 février 1987, no 85-10.988).
Cependant cette prescription, qui n'est pas un délai préfix, peut être conventionnellement allongée ou écartée (Cass. Civ. I, 4 octobre 2005, no 03-19.459).
La prescription court dès lors que les conditions de naissance du droit sont constituées ; peu importe qu'elle n'ait pas encore été officiellement reconnue dans son principe ou que son montant n'ait pas été liquidé (Cass. Civ. I, 15 mai 2008, no 06-20.822).
Pour mémoire, même si une décision de Justice définitive fixe le principe d’une indemnité d’occupation pour le passé et pose le principe d’une indemnité d’occupation pour l’avenir jusqu’au partage effectif, les mois d'occupation non encore échus car postérieurs au prononcé de la décision sont frappés d'une prescription de 5 ans ; obligeant le bénéficiaire de cette indemnité d'assigner l'occupant du bien dans ce délai pour ne pas perdre ses droits sur les échéances mensuelles à venir.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
27 bd Malesherbes - 75008 Paris
01 40 26 25 01
abem@cabinetbem.com