Un accident sur le lieu de travail est assez largement réputé accident de service. Cette règle était pensée pour la période pré-covid, pendant laquelle tous les agents publics travaillaient en présentiel. Mais comment appréhender cette règle maintenant que le lieu de travail est parfois aussi le lieu de vie du fonctionnaire ou du contractuel ?
Voilà la question à laquelle sont confrontées les juridictions administratives -et ce n’est que le début, probablement.
Reprenant les statuts, la règle de l’article L.822-18 du Code Général de la Fonction Publique est assez simple : est présumée imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service.
Pour résumer, l’accident survenu sur le lieu de travail est imputable au service, sauf faute personnelle ou circonstance particulière détachable du service.
Or, le fait d’être à domicile multiplie les circonstances particulières qui peuvent être considérées comme détachables du service.
Ainsi, dans un jugement du Tribunal Administratif de Paris du 12 mai 2023, une fonctionnaire, qui suivait une formation en télétravail, a reçu sa planche à repassage sur un pied en ouvrant son placard pour se chausser.
L’accident intervient bien sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail ; néanmoins, le Tribunal administratif de Paris ne reconnaît pas l’imputabilité au service au motif que « les circonstances de cet accident ne peuvent être regardées comme constituant le prolongement normal ou relevant de l’exercice de ses fonctions ». Le Tribunal considère donc l’accident comme un événement détachable du service (TA Paris, 9 novembre 2023, n° 2124405).
Mais il est des circonstances dans lesquelles le doute est permis. L’exemple par excellence est la pause méridienne.
Cette pause déjeuner n’entre pas, a priori, dans la définition du temps de travail effectif, au sens des dispositions du droit du travail, qui, en matière de télétravail, trouvent à s’appliquer aux fonctionnaires et contractuels. En principe, il ne s’agit pas de temps de travail effectif car le fonctionnaire peut vaquer librement à ses occupations personnelles. A contrario, s’il ne peut pas vaquer à ses occupations personnelles pendant la pause déjeuner, cette période est considérée comme du temps de travail effectif.
Or c’est bien là toute la question, et la frontière est parfois ténue. Un simple exemple pour bien comprendre : si un agent est dans sa cuisine en train de faire chauffer son repas, mais que son téléphone risque de sonner à n’importe quel moment, est-il considéré comme vaquant à ses occupations ou non ? Il est difficile d’apporter une réponse toute faite à cette interrogation.
Ainsi, dans un jugement du Tribunal Administratif de Rennes du 21 novembre 2023, une fonctionnaire s’était coupé un doigt en manipulant un couteau à pain lors de la pause déjeuner. Le Tribunal considère que rien ne démontrait en l’espèce qu’elle n’exerçait de fonctions spécifiques à cet instant nécessitant qu’elle puisse être jointe à tout moment afin d’intervenir immédiatement pour assurer son service. Par ailleurs, l’accident avait eu lieu à 12h05 alors que la plage de travail déclarée s’arrêtait à 11h55 (TA Rennes, 21 novembre 2023, n°2200546).
Mais dans une autre affaire, le Tribunal administratif de Paris reconnaissait l’imputabilité au service d’un accident intervenu au domicile pendant la pause méridienne.
L’accident dramatique avait coûté la vie à la fonctionnaire, laquelle avait oublié d’éteindre ses plaques vitrocéramiques, ce qui avait entraîné l’inflammation de matériaux plastiques et un incendie dans lequel elle avait succombé.
Ce jour-là, cette fonctionnaire ne disposait que de 45 minutes pour déjeuner. Dès lors, au vu de la brièveté de ce laps de temps, le Tribunal conclut que le déjeuner à domicile doit être regardé comme constituant un « prolongement normal » de son activité en télétravail (TA Paris, TA Paris, 12 mai 2023, n° 2127166).
Tout est donc affaire de cas par cas. Gageons que la jurisprudence administrative va fortement évoluer sur cette question avec la généralisation du Télétravail… et des problèmes qui l’accompagnent.
Mon cabinet se tient à votre disposition pour toute question
Me Sylvain Bouchon
Avocat au Barreau de Bordeaux
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