Attention, virage glissant. L’objectif du « virage domiciliaire » des pouvoirs publics consiste, à permettre aux plus âgés et aux personnes handicapées de rester chez elles le plus longtemps possible. Un esprit grincheux affirmerait que cet objectif camoufle la volonté de ne plus financer d’EHPAD et autres institutions qui coûtent fort cher au budget de l’Etat. Mais ce serait un point de vue réducteur, à coup sûr : toutes les enquêtes démontrent une volonté de rester chez soi le plus tard possible, et la société va dans le sens de l’inclusion, en témoigne l’engouement pour l’habitat inclusif (https://www.legavox.fr/blog/maitre-sylvain-bouchon/habitat-inclusif-saad-integre-30083.htm). Le moment de l’abandon du tout-domicile semble choisi.
En ce sens, les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) constituent la pierre angulaire du virage domiciliaire. Encore faut-il pour cela que l’offre SAAD tienne la route, sous peine de transformer le virage domiciliaire en chicane ultra dérapante.
C’est tout là le problème : comment garantir une offre d’aide à domicile à la hauteur alors que le secteur manque cruellement de personnel, peine à recruter, et connaît un taux record d’absentéisme ? Le métier est aujourd’hui considéré comme peu attractif, rude, et mal payé.
L’avenant 43 de la BAD
C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics ont initié une large revalorisation des salaires via l’avenant 43 de la Convention collective de la branche de l’aide à Domicile (BAD). L’ensemble des métiers-repères mentionnés dans la Convention est remplacé par un système d’emplois génériques, et un salaire minimal supérieur au SMIC est garanti au plus bas de l’échelle. L’ancienneté et la formation permettent de grimper les échelons et degrés, avec augmentation de salaire à la clé à chaque évolution. Le salaire de base est en outre complété par un système d’Eléments Complémentaires de Rémunération, comme les diplômes ou les astreintes. Le salarié y gagne donc. Certes, il existe un risque pour certains salariés de perdre des avantages fiscaux comme la prime pour l’emploi ou de dépasser des plafonds d’éligibilité pour certaines aides. Il n’en reste pas moins que l’objectif qui consiste à augmenter les salaires sera bien atteint.
Cet avenant ne s’applique qu’aux salariés d’employeurs qui appliquent la BAD, à savoir le secteur privé non-lucratif. Les salariés des secteurs privés lucratifs et publics ne sont pas concernés.
Un employeur est tenu d’appliquer la Convention collective à l’ensemble de ses salariés à partir du 1er octobre 2021.
Sur le principe, donc, tout paraît simple.
C’est au moment du passage à la caisse que la situation pourrait nettement se compliquer, comme toujours. Le montant de l’avenant 43 est évalué à plus de 600 millions d’euros.
Le financement prévu
La véritable question est donc celle des compensations financières pour les SAAD.
Le Département est l’institution compétente en matière de SAAD, tarifie, et paye. Dans le cadre d’une tarification administrée, la valorisation du plan d’aide est individuelle ; pour les SAAD non habilités à l’aide sociale, le plan d’aide est valorisé par un tarif standard départemental. In fine, c’est donc le Département qui va payer.
Une aide de 200 millions d’euros par an est prévue par la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie) « pour les Départements finançant un dispositif de soutien à ces professionnels », selon l’article 47 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2021.
L’article 1 du décret d’application publié le 8 septembre précise que la CNSA versera une aide dans la limite de 50 % des coûts (70 % pour 2021). Le reste à charge pour le Département est donc de 50 % (30 % pour 2021).
Pour 2021, la CNSA versera un acompte de 80 % du montant prévisionnel dans les 3 mois suivant la parution du décret d’application, soit au plus tard le 8 décembre).
Des risques financiers très importants
Pour le Département
L’avenant 43 va donc coûter fort cher aux dépenses publiques des Départements, déjà, pour la plupart, en situation d’inconfort budgétaire. Rappelons que ces derniers sont désormais privés des ressources fiscales des droits de mutation et de la taxe d’habitation. Comment les Départements vont pouvoir financer une telle augmentation ?
En vertu de l’article L.414-6 du Code de l’Action Sociale et des Familles, les conventions collectives agréées s’imposent aux autorités compétentes en matière de tarification : les Départements seront obligés de tenir compte de l’effet de l’avenant 43 sur les salaires en ce qui concerne les SAAD habilités.
Rien ne l’oblige en revanche à tenir compte des augmentations sur les SAAD non-habilités. C’est probablement la raison pour laquelle, en ce qui concerne ces derniers, l’Etat annonce un tarif socle national de 22 euros, de manière à garantir une valorisation un minimum élevée pour l’ensemble des SAAD.
Dans tous les cas de figure, le Département va payer fort cher. La compensation de la CNSA sera-t-elle à même de financer la moitié de cette hausse ? Sur le papier, tout est prévu, mais le diable se niche dans les détails : l’enveloppe de la CNSA est-elle perpétuelle ? Est-elle, dans les faits, limitative, est-elle un plafond, ce qui signifierait que les surcoût seront immanquablement supportés par le Département à moye terme ? L’exemple de l’APA 2, qui devait également être financé à égalité, a de quoi faire frémir les exécutifs départementaux…
Pour les SAAD
Pour les SAAD, il y a également de quoi être préoccupé.
A partir du 1er octobre 2021, il va falloir augmenter considérablement les salaires.
Or, si l’employeur doit appliquer les augmentations de l’avenant 43 à l’ensemble de ses salariés, seules les heures correspondant aux prestations APA/PCH/Aide-ménagère feront l’objet d’une compensation : pour le reste, l’employeur devra assumer seul les surcoûts.
En outre, quelle garantie y-a-t-il de recevoir les financements à partir d’octobre 2021 ?
La Loi de Financement pour la sécurité sociale et le décret d’application n’obligent pas les Départements à financer immédiatement les surcoûts, si tant est que ceux-ci aient déjà fait l’objet d’une évaluation de la part des SAAD eux-mêmes.
Certes, ils seront tenus de financer les SAAD habilités via le tarif pour les SAAD habilités, mais cette obligation ne prendra effet que dans plusieurs mois, dans le cadre de la procédure habituelle de tarification.
Quant à l’aide de la CNSA, elle n’interviendra que pour les Départements qui financent le dispositif… Autrement dit, pour les Départements qui ne jouent pas le jeu de compensation des hausses, il n’y aura pas d’aide de la CNSA… et donc pas d’argent pour les SAAD.
En résumé,
- Les SAAD habilités seront forcément financés, mais pas forcément tout de suite si le Département est récalcitrant au regard de ses propres finances, et à condition naturellement de rester habilités. Ils ne pourront pas augmenter leurs tarifs, ceux-ci étant administrés par le Département. Le risque d’écrêtage à terme est également important.
- Les SAAD non habilités ne seront pas forcément financés, et s’ils peuvent augmenter leurs tarifs, encore faut-il que celui-ci reste abordable pour l’usager…. Et qu’il reste des fonds au Département une fois le tarif fixé pour les SAAD habilités pour régler le tarif socle de 22 euros.
Bref, si l’idée de départ est louable, l’application concrète risque de faire quelques dégâts et, à tout le moins, pose de nombreuses interrogations.
Pour les SAAD, il va probablement falloir se montrer imaginatifs.
Mon cabinet se tient à votre disposition pour toute précision ou question.
Me Sylvain Bouchon
Avocat au Barreau de Bordeaux
Droit des SAAD
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