Assurer la sécurité des personnes âgées en EHPAD et des résidents handicapés des MAS et FAM tout en leur garantissant le respect de la vie privée et la liberté d’aller et venir revient à vouloir concilier l’inconciliable.
C’est pourtant ce qu’imposent les textes.
Ainsi, l’article L.311-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) dispose que
« L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés :
1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement […] »
Naturellement, nul ne songerait à priver un résident des droits fondamentaux ainsi énumérés.
Le droit à la liberté d’aller et venir, par exemple, est également garanti à l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à l’article 8 de la Charte des Droits et Libertés de la personne accueillie.
Néanmoins, en pratique, les soignants doivent au quotidien arbitrer entre sécurité / liberté d’aller et venir et entre sécurité / respect de la vie privée.
L’équilibre est des plus ardus et les questions soulevées des plus concrètes : faut-il enfermer en permanence un résident atteint de la maladie d’Alzheimer pour le protéger ? Peut-on surveiller 24h/24 un résident au nom de sa sécurité ? Quelle dose de risque est jugée acceptable ?
La position de la Justice est également placée sous le sceau de l’équilibre. Le raisonnement est le suivant : face à des droits fondamentaux de même valeur, ceux-ci doivent être conciliés.
Le droit à la sécurité, le droit d’aller et venir librement –autrement appelé la sûreté- et le droit à l’intimité de la vie privée ne sont donc pas absolus.
Par conséquent, l’obligation de sécurité à la charge de l’établissement médico-social ne peut être qu’une obligation de moyens.
L’EHPAD, la MAS ou le FAM sont tenus de tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité des résidents, mais leur responsabilité ne peut être mise en jeu qu’en cas de faute dans la surveillance du résident.
Deux situations illustrent ce principe : le cas des dommages subis par le résident et le cas des dommages causés par le résident
En ce qui concerne en premier lieu les dommages subis par le résident, comme une chute ou les dommages consécutifs à une fugue, la charge de la preuve de la faute de surveillance de l’établissement incombe à la victime ou à ses ayant-droits.
Ainsi, la responsabilité partielle d’un centre d’accueil et de soins a été reconnue dans le cas d’un jeune majeur infirme cérébral, dont l’état de santé rendait l’équilibre instable, qui a chuté d’un pont suspendu alors que son moniteur, qui le précédait, ne pouvait pas surveiller sa progression (C.cass. civ. 1e, 16 avril 1996, n° 94-14.660).
De même, la Cour d’Appel de Montpellier a retenu la responsabilité d’un EHPAD spécialisé suite à une fugue mortelle d’une résidente le soir même de son arrivée alors que les besoins avaient été mal évalués (CA Montpellier, 8 avril 2014, n° 12/05267).
Pour autant, la caractérisation d’une faute de l’établissement est loin d’être automatique.
Ainsi, dans le cas d’un résident décédé suite à une défenestration volontaire, la Cour d’Appel de Montpellier n’a pas retenu l’existence d’une faute de l’EHPAD dans la mesure où le psychiatre n’avait formulé aucune alerte sur un risque suicidaire ni préconisé aucune surveillance particulière (CA Montpellier, 25 novembre 2014, n° 12/06581).
Aussi, le régime juridique applicable est-il différent des établissements hospitaliers psychiatriques, lesquels peuvent recourir à la contrainte sans respecter les droits énumérés à l’article L. 311-3 du CASF (CA Aix-en-Provence, 15 février 2012, n°2012-79)
En ce qui concerne en second lieu les dommages causés par le résident à un autre résident, comme une agression, la victime ou ses ayant-droits ne peut se fonder sur le régime de responsabilité de plein droit de la garde dès lors qu’un contrat de séjour a été conclu entre le résident et l’établissement.
Cette position peut paraître surprenante au regard du célébrissime arrêt Blieck (C. cass, Ass Plen, 29 mars 1991, n° 89-15.231), qui consacrait le principe de responsabilité du fait d’autrui fondé sur la garde en droit civil français et érigeait un principe de responsabilité de plein droit, sans nul besoin de rapporter la preuve d’une quelconque faute.
On rappellera d’ailleurs que les faits à l’origine de l’arrêt Blieck (un jeune handicapé mental pensionnaire d’un CAT –aujourd’hui ESAT) se déroulaient précisément dans un établissement médico-social.
Aujourd’hui, la portée de cet arrêt est réduite à la portion congrue en ce qui concerne l’accueil des résidents majeurs.
La Cour de Cassation a jugé que l’existence d’un contrat exclut purement et simplement l’application de la responsabilité de plein droit de l’article 1384 al 1 du Code Civil, alors que le pourvoi prétendait que « une maison de retraite médicalisée accueillant des patients atteints de la maladie d’Alzheimer soumis à un régime comportant une liberté de circulation doit être considérée comme ayant accepté la charge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie des pensionnaires et doit répondre des dommages qu’ils ont causés ». (C. cass. civ 1e, 15 décembre 2011 n° 10-25.740).
L’EHPAD échappe alors à la responsabilité délictuelle.
En l’espèce, un résident atteint de la maladie d’Alzheimer avait frappé à mort un autre pensionnaire pendant la nuit.
Il est à noter que même dans le cas de résidents mineurs, la jurisprudence Blieck a pris du plomb dans l’aile, puisque le contrat exclut également la garde (CA Grenoble, 22 mai 2012, n°10/00760).
Dans cette espèce, un IME n’a pas été reconnu responsable de l’agression d’un résident par un autre mineur résident, aucune faute de surveillance n’ayant pu être imputée à l’établissement.
Me Sylvain BOUCHON
Avocat au Barreau de Bordeaux
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