L’arbitre, c’est la police. Police administrative bien sûr : juridiquement, il est le titulaire principal du pouvoir de police administrative dans le cadre d’un match organisé par une fédération délégataire.
I) L’arbitre, le Service Public et le Juge
En effet, c’est à l’Etat que revient la tâche d’organiser les championnats sportifs en France. Il délègue cette mission à des fédérations, personnes morales de droit privé, qui assurent néanmoins une mission de service public, quitte à subdéléguer la partie professionnelle à une autre personne morale de droit privé. L’exemple tout trouvé est celui du football : la Fédération délégataire est la FFF, et la subdélégataire est la LFP. Idem pour le rugby avec la FFR et la LNR, par exemple.
Le Code du Sport charge les fédérations et ligues d’édicter leurs propres règlements.
L’arbitre, dont le statut et les missions sont prévus par ces règlements, exerce donc concrètement le pouvoir de décision pendant les compétitions (siffler une faute, exclure un joueur, reporter la rencontre, arrêter le match, par exemple). C’est ce qu’on appelle le pouvoir de police administrative. Notons que dans certains cas, ce pouvoir est partagé avec d’autres autorités titulaires de la police administrative, notamment le Préfet, en ce qui concerne la question de la reprise des rencontres des matchs de football.
Donc, une décision arbitrale de police administrative dans le cadre de l’exécution d’un service public peut-elle être contestée devant la Justice, au même titre, par exemple, qu’un refus de permis de construire, d’un retrait d’un agrément d’accueillant familial ou un refus de détachement ?
La réponse est positive mais se heurte à un premier obstacle : l’épuisement des voies de recours internes. Cette règle, indiquée pour le football à l’article 2 des règlements de la FFF, impose de tenter d’abord tous les recours devant les commissions internes à la Ligue/fédération avant de saisir la justice administrative, étant précisé que dans de nombreux cas le CNOSF (Comité national olympique du sport français) doit être saisi au titre du recours administratif préalable obligatoire.
Mais, une fois ce parcours du combattant réalisé, il est possible de saisir le Tribunal Administratif. Simplement, il n’est pas saisi de l’annulation de la décision de l’arbitre en question, mais de la décision de la Ligue / Fédération / CNOSF qui entérine un classement suite au rejet du recours interne.
Néanmoins, une fois ces précisions établies, on peut donc considérer qu’il est possible de saisir la justice administrative d’une erreur d’arbitrage.
II) L’office limitée du Juge administratif
L’action est recevable mais quel est le rôle du Juge administratif ?
En matière de sport, le rapport à la règle est particulier. La règle sportive n’a pas vocation à œuvrer dans l’intérêt général (comme organiser le stationnement dans une ville ou le ramassage des poubelles), et est pour l’essentiel objectivement parfaitement loufoque : pourquoi un but de football mesure-t-il 7,32 m X 2,44 m et non pas 6,89 m X 1,98 m, pourquoi au rugby ne peut-on pas de faire de passes à la main en avant, pourquoi en cyclisme un coureur ne peut être ravitaillé que dans certaines zones de course, etc ??
Ces règles burlesques obéissent à des logiques purement sportives mais pas à une logique d’intérêt général. Aussi est-il évident que le Juge administratif doit se positionner sur un contrôle un peu plus léger que dans les autres matières. D’autant que de nombreuses règles ne sont absolument pas l’œuvre des autorités françaises. Difficile donc de demander à un juge administratif de déterminer six mois plus tard si l’arbitre a commis une faute s’il s’est trompé de 10 centimètres sur un hors-jeu alors qu’il lui fallait en décider en dix secondes ou s’il n’a pas fait reprendre un match dans lequel un joueur s’était fait violenter par un supporter.
Logiquement, le Juge administratif exerce donc un contrôle restreint sur les décisions arbitrales.
Historiquement, ce dernier les considère comme des mesures d’ordre intérieur, c’est-à-dire des mesures touchant l’organisation d’un service public, de peu d’importance, et donc non-susceptibles de recours.
Dans un arrêt du 26 juillet 1985 dans lequel un arbitre avait déclaré impraticable un terrain de football de promotion d’honneur de la Ligue d’Alsace, le Conseil d’Etat indique que « considérant que les décisions que les arbitres sont amenés à prendre à l’occasion d’une compétition sportive afin d’assurer les règles techniques du jeu, ainsi que les décisions prises, en cette matière, par les organes de la fédération sur réclamation des intéressés ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».
Le juge administratif ne met donc pas son nez dans les décisions concernant les règles techniques du jeu.
Dans la même veine, il a été jugé que les règles du temps-mort concernant un match de handball échappait à son contrôle car concernait les règles techniques du jeu (Conseil d’Etat, 29 septembre 2003).
L’office du Juge consiste donc à ne surtout pas rentrer sur le terrain ni dans les vestiaires, laissant le sport aux sportifs et aux instances internes compétentes.
III) Un rôle plus actif à l’avenir pour le Juge ?
Les enjeux colossaux liés au sport évoluant au fil des années, peut-on s’attendre à un changement de paradigme du Juge administratif, qui se muerait en une sorte de super VAR ?
Probablement pas, mais des frémissements sont néanmoins à l’œuvre.
Tout d’abord, si le Juge ne contrôle pas l’application des règles techniques du jeu, s’agissant d’un service public, il doit tout de même s’assurer du respect des principes et règles qui s’imposent aux auteurs de tout acte accompli dans une mission de service public.
Dans un arrêt FFSA du 16 mars 1998, le Conseil d’Etat a ainsi estimé qu’il devait contrôler, au nom de ces principes et règles, le respect de l’égalité de traitement des usagers du service public que sont les concurrents. En l’espèce, les circonstances dans lesquelles avait été organisée la pesée des véhicules avaient porté atteinte à ce principe d’égalité de traitement. Le Conseil d’Etat annulait ainsi l’exclusion d’un participant dont le poids du véhicule était inférieur au minimum exigé.
En outre, le sport étant un reflet de notre société, les tentations de recours se multiplient : ainsi, des parieurs de PMU mécontents ont contesté l’absence de disqualification d’un cheval qui aurait contrevenu aux règles du jeu (Cour de Cassation, civile 2, 1- juin 2011), et un parieur qui avait 13 résultats sur 14 sur sa grille a tenté de démontrer que le hors-jeu d’un joueur de foot lillois qui lui faisait perdre une chance de valider le 14e résultat constituait une faute de sa part (Cour de Cassation, civile 2e, 14 juin 2018)…
Ces recours ont été rejetés mais traduisent une certaine judiciarisation du sport.
Me Sylvain Bouchon
Avocat au Barreau de Bordeaux
bouchonavocat@gmail.com
https://www.bouchon-avocat.fr/
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