Droit du foot : peut-on licencier un entraîneur pour faute grave ?

Publié le 11/08/2024 Vu 324 fois 0
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De très nombreux entraîneurs sont licenciés pour faute grave au cours d’une saison en raison de mauvais résultats. Cette pratique est illégale la plupart du temps. Ce qui n’est pas forcément très grave.

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Droit du foot : peut-on licencier un entraîneur pour faute grave ?

Nantes, son château des Ducs de Bretagne, ses machines de l’Ile… et sa valse des entraîneurs (11 en 8 ans et trois rien que pour la saison 2023-2024 : Pierre Aristouy, Jocelyn Gourvennec et Antoine Kombouaré). 

Cela dit le limogeage exprès des techniciens n'est pas l'apanage des bords de l'Erdre, puisque l'Olympique de Marseille se rapproche ce de record, et que les provisions d'indemnités à la charge des Girondins de Bordeaux pèsent lourd à chaque passage devant la DNCG. 

L’entraîneur d’une équipe de football, quel que soit le niveau, a donc une espérance de banc fort limitée.

Le hic, c’est que juridiquement, il est tout sauf simple de se débarrasser d’un entraîneur d’un claquement de doigt.

En effet, l’entraîneur dispose d’un CDD un peu spécial par rapport au CDD de droit commun, mais, sur la question du licenciement, ce CDD est tout ce qu’il y a de plus commun.

Or, la particularité du CDD est que le salarié ne peut pas démissionner, et que l’employeur ne peut pas rompre le CDD de manière anticipée pour une faute qui ne serait pas considérée comme grave.

Impossible donc, pour un club, de rompre le CDD d’un entraîneur pour une faute « simple ».

On parlera d’ailleurs de « rupture anticipée du CDD », et non de licenciement, le licenciement étant l’apanage des salariés en CDI.

En réalité, l’enjeu juridique concret est le suivant : des mauvais résultats constituent-ils une faute grave ? Si oui, le club peut rompre le CDD pour faute grave, après avoir mis à pied l’entraîneur à titre conservatoire, et économisera les indemnités de licenciement et de préavis. Si non, le club est coincé et ne peut pas se séparer de son coach.

La réponse est au demeurant fort simple : non, les mauvais résultats ne constituent pas une faute grave. Les mauvais résultats peuvent entrer dans la catégorie de l’insuffisance professionnelle, qui peut éventuellement constituer une faute simple, mais certainement pas une faute grave.

Le droit protège donc l’entraîneur, titulaire d’un contrat de travail précaire, ce qui n’est juridiquement pas incompatible avec un salaire à cinq ou six chiffres. Cela semble normal : l’entraîneur, salarié ultra qualifié et au profil rare, n’a braqué personne pour signer son contrat, a priori.

Cette protection du technicien semble en outre assez justifiée : qu’est-ce qui prouve, au sens de preuve rigoureusement établie telle que l’envisagent les textes juridiques, que les mauvais résultats sont imputables à l’entraîneur et à lui seul ?

Mais si on se place du côté du club, la situation est intenable.

Au vu des enjeux économiques, il n’est pas possible de laisser filer une saison droit dans le mur. Comment réagir ? Rompre le CDD de tous les joueurs et en acheter d’autres ? Impossible. La seule solution, c’est de remercier l’entraîneur et de prier tous les saiints du Monde pour l’avènement du fameux choc psychologique.

Oui mais comment faire puisque ce n’est pas envisageable, comme on vient de le voir ?

Eh bien c’est très simple : un bon dribble des dispositions juridiques et tout devient possible.

Tout d’abord, c’est l’employeur lui-même qui décide ce qu’il considère comme faute grave.

Si un club décide qu’avoir sorti son meilleur joueur à la 75e minute d’un match alors qu’il était perclus de crampe constitue une faute grave, il peut le faire, s’il est prêt à indemniser l’entraîneur en suivant.

Cet exemple est volontairement caricatural, mais on a bien vu un club licencier son entraîneur notamment pour avoir fait tourner son équipe en coupe de la Ligue…

Donc les clubs vont essayer de dénicher une faute grave.

Un club historique de Ligue 2 aujourd’hui en perdition avait ainsi reproché à son technicien d’avoir une attitude arrogante et détachée avec l’ensemble du club et de n’avoir pas terminé un déplacement dans le bus de l’équipe. Que nenni, a dit la Cour d’Appel de Poitiers dans un arrêt du 16 juin 2022 : il s’agit d’une faute simple, certes, mais pas d’une faute grave. L’entraîneur a donc gagné le paiement des indemnités de licenciement et de préavis.

Concrètement,  les clubs licencient pour faute grave sachant que cette pratique est totalement illégale. Mais comment blâmer un président de club devant le spectre de la relégation, du redressement judiciaire et du dépôt de bilan et qui n’a pas d’autre marge de manœuvre ?  Le match retour se joue devant le Conseil de Prud’hommes, ou par un arrangement à l’amiable.

La pratique a donc créé ce licenciement illégal mais qui demeure la meilleure solution. On est tentés de dire que si le club et l’entraîneur s’arrangent à l’amiable – il y a encore des gentlemen dans ce sport-  l’esprit de la Loi est respecté. L’esprit du jeu également.

Cela dit, l’entraîneur n’a certainement pas un totem d’immunité. Il reste susceptible de licenciement pour faute grave décorrélée des mauvais résultats.

Ainsi, un membre du staff d’un club oscillant régulièrement entre la Ligue 2 et le national a-t-il été licencié pour faute grave après avoir terrorisé un stagiaire du club qui avait du s’enfuir par la fenêtre. Dans un arrêt du 6 avril 2023, la Cour d’Appel de Rouen a donné raison au club.

Enfin, les développements de cet article sont valables pour les joueurs eux-mêmes, et pour les entraîneurs professionnels des autre sports. 

 

Me Sylvain Bouchon

Avocat au Barreau de Bordeaux

sylvain.bouchon@avocat.fr

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