Après avoir rappelé les faits de l’affaire (1), nous rappellerons les différences juridiques qui existent entre la révocation d’un fonctionnaire et le licenciement d’un salarié (2). Enfin, nous analyserons la motivation du Conseil de discipline ayant conduit à prononcer à l’unanimité une simple suspension d’un mois contre notre client (3).
1) Rappel des faits de l’affaire à l’origine de la délibération rendue le 1er avril 2011 par le Conseil de discipline de Versailles
Facebook est un site communautaire en principe « fermé », où la plupart des informations sont en théorie destinées à ses propres « Amis ».
Cependant, il n’est, en principe, pas fait obstacle à ce que les messages qui y sont publiés soient utilisés par une entreprise afin de justifier le licenciement d’un salarié (« Les caractères privé et public des propos et messages diffusés sur les « murs » de Facebook »).
En l'espèce, un fonctionnaire d’une petite commune française, après une dure journée de travail et des tensions avec son supérieur hiérarchique, Monsieur le Maire, s'en est allé surfer sur le mur de son profil Facebook pour y publier des propos diffamatoires à l'encontre de ce dernier.
Dans l’affaire Alten précitée, deux salariés disaient faire partie d'un «club des néfastes» et respectant un rite consistant à se « foutre de la gueule » de leur supérieure hiérarchique. Deux autres employées avaient répondu : «Bienvenue au club».
En l’espèce, alors que ce fonctionnaire avait indiqué sur son profil Facebook le nom de son employeur, à sa voir la commune qui l’embauchait, il écrivait sur son mur : « Enfin les vacances pour deux semaines ! 2 semaines pour ne plus voir les gueules de cons du maire et de la chef qui ne sont que des incompétents, et qui se venge sur les ouvriers ! Une phrase qui résume là où je bosse : au royaume des putains les enculés sont rois »
Monsieur le Maire a donc fait établir un constat des propos à caractère diffamatoire tenus à son encontre par ce fonctionnaire (« La preuve d’un contenu litigieux ou d’un fait sur internet strictement encadrée par la jurisprudence »).
2) Révocation du fonctionnaire et licenciement du salarié : les sanctions disciplinaires des fautes les plus graves
La révocation d'un fonctionnaire relève du droit public alors que le licenciement d'un salarié relève du droit privé et des articles L1232 et suivants du code du travail.
Selon la jurisprudence, la faute « grave » est une violation des obligations du contrat de travail qui empêche le maintien du salarié dans l'entreprise pendant l'exécution du préavis (Cour de cassation, Chambre sociale, 21 janvier 1972).
La révocation est la sanction professionnelle des fonctionnaires qui réprime les fautes professionnelle les plus graves de ces derniers.
L’article 89 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 en fait d’ailleurs une sanction disciplinaire du quatrième groupe, c’est à dire le dernier dans l’échelle des sanctions définies par l’administration publique.
Elle s’apparente donc à un licenciement.
Mais les conséquences d’une révocation peuvent être plus dramatiques que celles d’un licenciement.
En effet, le fonctionnaire révoqué perd la qualité de fonctionnaire à vie.
En d’autres termes, il est renvoyé de la fonction publique sans pouvoir espérer y retrouver un emploi par la suite.
En effet, un salarié licencié pour faute peut tout à fait être embauché à nouveau dans le secteur privé, dans une autre entreprise, ou de tenter sa chance dans le secteur public s’il le souhaite.
Ce choix n’est cependant pas permis au fonctionnaire révoqué.
Pour cette raison, les conséquences d’une révocation sont plus graves que ne le sont celles d’un simple licenciement pour faute grave ou faute lourde, surtout pour des personnes qui n'ont eu pas d’autres expériences professionnelles ailleurs que dans le public.
L’enjeu était donc important pour ce fonctionnaire d’obtenir au mieux l’annulation du constat d’huissier ayant constaté ses propos ou de limiter la sanction à une simple suspension du contrat limitée dans le temps.
3) Analyse de la décision rendue le 1er avril 2011 par le Conseil de discipline de Versailles prononçant une suspension et non une révocation
Le Conseil de discipline de Versailles constate l’absence de preuve des faits (3.1), reconnait que les faits reprochés à l’agent public constituent une faute professionnelle (3.2) mais donne un avis défavorable quant à la révocation en relevant que le fonctionnaire n’avait pas connaissance du caractère public de son message (3.3).
3.1 L’absence de preuve des propos eu égard aux vices présents dans le constat d’huissier produit par Monsieur le Maire
Pour rapporter la preuve de ces propos litigieux portés à la connaissance du Maire par un autre employé de mairie, Monsieur le Maire a requis un huissier de justice aux fins de faire constater les propos tenus par le fonctionnaire sur le « mur » de son profil Facebook.
Or, il est apparu que le procès-verbal était dépourvu de toute force probante.
L’évolution des contentieux liés à l’Internet a conduit les juges à établir un véritable droit jurisprudentiel relatif aux conditions de validité des constats dressés pour rapporter la preuve d’un contenu litigieux sur Internet.
En effet, il ne suffit pas à l’huissier d’allumer son ordinateur et de réaliser des captures d’écran pour bénéficier d’une preuve irréfutable.
D’une part, les Huissiers de justice ne peuvent pas valablement constater l’existence d’éventuels contenus litigieux sur le site Internet édité par la société Facebook Inc depuis leur profil Facebook personnel (Ordonnance de référé du TGI de Paris du 2 juillet 2007, UDAF de l’Ardèche et autre / Linden Research et autres).
D’autre part, la preuve internet doit respecter un certain nombre de pré-requis techniques qui permettent de s’assurer de sa fiabilité et de « vérifier au moyen du journal de connexion du serveur interrogé les pages réellement consultées pendant les opérations de constat » (Jugement du TGI Paris, 3ème Chambre, 1° Section, 4 mars 2003).
Ainsi, de manière constante, à défaut de respecter les mesures techniques listées ci-après, le constat d’huissier est sanctionné par le défaut de force probante (Jugement du TGI Paris, 3ème Chambre, 1° Section, 4 mars 2003).
C'est dans ce contexte qu'il a été demandé de constater le défaut de force probante du constat compte tenu de :
- l’absence de capacité juridique de la personne ayant requis le constat d’huissier ;
- l’absence de mention de l’adresse URL du site de la société facebook ;
- non-respect des obligations d'impartialité, d'objectivité et de loyauté ;
- l'absence d'informations techniques, de vérification informatique et inhérentes à la navigation sur Internet nécessaires au constat dont l’absence d’indication du fournisseur d'accès et le numéro de client, de la version de la mise à jour de l'antivirus de l'ordinateur, la version de mise à jour de la base de données, de la base de donnée des virus et programmes malveillants, de l'heure des travaux préparatoires et des constatations matérielles, de la purge des cookies, de l'historique, du cache, des pages vierge par défaut, du serveur "proxy", le numéro IP de la machine ayant servi à dresser le constat, de la connexion internet faite depuis un serveur mandataire ou proxy, des URL des pages capturées ;
- des carences et fautes de l’Huissier concernant ses constatations internet en tant que telles ;
- l'absence de description du cheminement effectué par l’huissier pour accéder à la page Internet contenant l'infraction et procéder formellement à la description des conditions d’accès au site cible ;
- l’affirmation de l’huissier selon laquelle la page est « accessible à tous ». Cependant, cette affirmation était erronée puisqu’en réalité il s'est connecté sous son profil Facebook personnel de sorte que les pages litigieuses n’ont pu être visibles que pour les membres de Facebook ou les « amis » Facebook, ce qui exclut le caractère public des propos selon l’interprétation a contrario de l’arrêt rendu par la Cour d'appel de Reims le 9 juin 2010 ;
- l’absence de démonstration par l’huissier du caractère public des propos prétendument diffusés sur Internet.
Par conséquent, le Conseil de discipline de Versailles a considéré que : « les allégations, qui sont contestées pour la plupart, ne sont pas toujours assorties des précisions suffisantes et ne sont pas accompagnées d’éléments de preuve permettant de les tenir pour établies »
La question de la preuve des contenus diffusés sur Internet et sur Facebook en particulier est donc fondamentale afin d’établir la preuve de la faute commise et par voie de conséquence de permettre de prononcer une sanction à l’encontre d’un salarié ou d’un fonctionnaire (« Analyse juridique du jugement sanctionnant le dénigrement de son employeur sur facebook »).
3.2 Les propos diffamatoires publiés sur Facebook sont constitutifs d’une faute professionnelle
Déjà à propos du blog d’un fonctionnaire, le Secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique a déclaré que l'attitude de l'administration « dépend (…) du contenu du blog. Dans ses écrits, le fonctionnaire auteur doit observer (…) un comportement empreint de dignité (…). En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique, dont dépend l'agent, d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire » (rép. min. à QE no 01709). »
De plus, l’article 5 de la loi du 14 septembre 1941, prévoit que « le fonctionnaire doit, dans sa vie privée, éviter tout ce qui serait de nature à compromettre la dignité de la fonction publique »
Ainsi, dès lors que l’on travaille dans le secteur public, la sphère de la vie privée se réduit pour laisser plus de place à la Fonction en elle-même.
En l’espèce, le Conseil de discipline de Versailles a considéré que les écrits du fonctionnaire, objet de la procédure disciplinaire, n’étaient pas emprunt de la dignité suffisante au respect du devoir de réserve.
Surtout, le fonctionnaire a reconnu avoir diffusé les propos diffamatoires, injurieux et dénigrants sur Facebook ce qui a permis Conseil de discipline de dire que ces faits doivent être tenus pour établie ».
L’aveu est en effet « la reine des preuve » dans le cadre d’une procédure.
Le Conseil de discipline a donc considéré que les propos tenus par le fonctionnaire étaient contraires au devoir de réserve qui repose sur tout agent public :
« Les faits reprochés au fonctionnaire constituent une faute professionnelle de nature à justifier une sanction disciplinaire … ces faits constituent un manquement grave de cet agent à ses obligations statutaires ».
Toutefois, le Conseil de discipline tient compte de ce que « il [le fonctionnaire] reconnait ne pas avoir su qu’il pouvait limiter son accès et que cette page personnelle était accessible à tous » et qu’il s’est « excusé » de son comportement.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de discipline a prononcé une simple suspension d’un mois à l’encontre du fonctionnaire qui a conduit le Maire a accepté le maintien de celui-ci à son poste.
Ainsi, cette première délibération rendue à l’encontre d’un fonctionnaire précise ce que risquent les agents publics qui publient des propos injurieux ou diffamants à l’encontre de leur hiérarchie ou de leur employeur sur Internet et les réseaux sociaux tels que Facebook et illustre la différence de traitement susceptible d’exister entre les secteurs public et privé pour des faits similaires.
Sur ce thème, je vous invite à lire les articles suivants :
- « Nouvelle sanction disciplinaire d'un salarié par son employeur pour injures sur Facebook »
- « La validation du licenciement de salariés pour faute en raison de propos tenus sur Facebook »
- « Analyse juridique du jugement sanctionnant le dénigrement de son employeur sur Facebook »
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Anthony Bem
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