Tutelle : rémunération exceptionnelle du tuteur

Publié le 18/01/2021 Vu 17 999 fois 0
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Seul le juge des tutelles détermine, sur requête du tuteur, un émolument exceptionnel en fonction de l'importance du travail accompli.

Seul le juge des tutelles détermine, sur requête du tuteur, un émolument exceptionnel en fonction de l'impo

Tutelle : rémunération exceptionnelle du tuteur

1. Propos liminaire. Il est très difficile pour la famille d'un majeur protégé, et plus encore pour le majeur protégé lui-même, de comprendre comment se calcule la rétribution du curateur ou du tuteur professionnel. 

2. Emoluments classiques.. La rétribution classique, normale, du M.J.P.M. (mandataire judiciaire à la protection des majeurs) est déterminée par un décret et un arrêté ministériel du 31 août 2018 - nous y reviendrons dans un prochain article. 

Indiquons simplement à ce stade que cette rémunération se calcule à partir de plusieurs indicateurs, qui sont fonctions :

- de la nature de la mesure de protection (curatelle simple ou renforcée, tutelle) ;

- du fait que le majeur réside à son domicile ou en établissement médico-social ;

- du revenu du majeur concerné.

Ces indicateurs permettent de déterminer le coût de la mesure de protection (ce que percevra le M.J.P.M., du majeur protégé et de l'Etat). A partir de ce coût, un autre calcul permet de déterminer le montant de la participation directe du majeur. Par exemple : si une mesure coûte 200 euros par mois, le majeur protégé y contribue-t-il personnellement à hauteur de 100 euros, 150 euros ? 

En principe, l'exercice courant d'une mesure de protection par un curateur ou tuteur professionnel est rétribué par cet émolument classique. Par exercice courant, il faut entendre, pour le M.J.P.M. (dans le cadre d'une curatelle renforcée ou d'une tutelle) : notifier la décision, rencontrer régulièrement le majeur protégé, procéder à l'inventaire de ses biens, être présent aux auditions, gérer le budget, payer les dettes, remettre un argent de vie lorsque cela est médicalement et financièrement possible, échanger avec l'ensemble des organismes administratifs et bancaires, rendre compte de sa gestion, déposer des rapports de situation à l'attention du Juge des tutelles). Notamment.

3. Emoluments exceptionnels. Pour qu'un M.J.P.M. puisse recevoir au-delà de cet émolument classique (que le M.J.P.M. prélève chaque mois sur le compte de son protégé), un émolument exceptionnel, il faut que ses diligences soient "particulièrement longues et complexes" (article 419 du code civil), et qu'elles soient autorisés par le Juge.

3.1. Illustrations. Que sont des diligences "particulièrement longues et complexes" ? Il n'existe aucune liste prédéterminée, tout dépend des circonstances. 

Intervenir dans le cadre d'une succession qui revient en tout ou partie au majeur dont on a la charge, peut entrer dans ce cadre. Devoir être systématiquement présent aux auditions et audiences, lorsque le majeur multiplie les requêtes et les déclarations d'appel, devrait en faire partir. Devoir se rendre en plusieurs endroits de France, voire à l'étranger, pour procéder à des opérations d'inventaire ; participer activement à différentes procédures judiciaires (procédures pénales, civiles, familiales, prud'homales, etc.) : à l'évidence, ces diligences sortent de l'ordinaire.

3.2. Condition préalable. Naturellement, un émolument exceptionnel n'est possible que lorsque la situation financière du majeur protégé le permet. Consacrer du temps à aider un majeur protégé dans le cadre d'une procédure de surendettement ou d'une procédure d'expulsion locative fait partie de la mission naturelle du M.J.P.M., puisque la vulnérabilité conduit souvent à des situations de grande précarité.

3.3. Date de la demande. La demande d'émolument exceptionnel faite par le M.J.P.M. au Juge des tutelles se fait toujours après accomplissement des diligences en question : ce n'est jamais en début de mesure qu'un M.J.P.M. peut solliciter un émolument exceptionnel, mais seulement après les avoir accomplies.

3.4. Procédure. Le M.J.P.M. doit adresser au Juge des tutelles une requête, en joignant l'ensemble des justificatifs, ainsi qu'un détail de son temps passé. Le Juge transmet la requête au procureur de la République, pour avis. Le Juge est libre de transmettre la requête également au tuteur à la personne ou au subrogé, dans un souci d'harmonie et de clarté, afin d'éviter des difficultés à rebours.

3.5. Compétence exclusive du Juge des tutelles. Un arrêt récent de la Cour de cassation, rendu le 30 septembre 2020 (pourvoi n° 19-17.620) a rappelé indirectement que seul le Juge des tutelles est compétent pour fixer un émolument exceptionnel. Dans cette affaire, un tuteur familial avait succédé à un tuteur professionnel et contesté devant le tribunal d'instance - devenu depuis tribunal de proximité - sa rémunération. Le tribunal avait estimé qu'au vu des diligences accomplies, la rémunération exceptionnelle que le tuteur s'était versée était justifiée. La Cour de cassation casse et annule le jugement : il n'appartenait pas au tribunal d'examiner si l'émolument versé était justifié en fonction de diligences exceptionnelles, mais seulement d'examiner si cet émolument était conforme à l'émolument classique...

Chaque juge des tutelles a son approche, concernant l'accueil des demandes d'émoluments exceptionnels : quand certains les apprécient au cas par cas, d'autres (par surcharge de travail, idéologie) les refusent systématiquement, de sorte que les M.J.P.M. n'osent plus les leur demander, et de peur d'être déconsidéré par le juge des tutelles qui leur affecte des dossiers, n'osent pas davantage contester les ordonnances de rejet et plaider leur cause devant la cour d'appel... Tout cela ne va pas. La reconnaissance d'un métier passe par un revenu décent : lorsque la paupérisation s'installe, les vocations s'éloignent, et au final les majeurs vulnérables en pâtissent...

4.  Appréciation critique. C'est que, contrairement à une idée reçue, la rétribution classique d'un M.J.P.M. n'est pas très élevée : entre 100 et 350 euros environ, par mois et par dossier... Inutile de préciser qu'avant de pouvoir en vivre décemment, déduction faite des charges professionnelles institutionnelles (écrasantes), des loyers professionnels, des frais de secrétariat, des frais liés aux équipements informatiques, etc., un M.J.P.M. doit avoir plusieurs dizaines de dossiers. Il existe des M.J.P.M. exerçant à titre individuel ayant un esprit d'analyse et de synthèse remarquable, qui reçoivent la confiance des juges et cours d'appel, et gèrent avec leurs équipes deux cents, trois cents dossiers aisément... comme il existe des M.J.P.M. qui sont débordés avec trente dossiers, et qui, du fait de leur isolement professionnel, les traiteront avec difficulté.

Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs est une profession formidable : il s'agit de prendre soin de personnes vulnérables, fragilisées par une maladie, un accident de la vie ou les altérations liées au très grand âge, et qui ne peuvent compter sur une famille présente, bienveillante, et compétente pour veiller à leur bien-être et protéger leurs biens.

La plupart des M.J.P.M. sont des personnes qui viennent à cette profession pour de bonnes raisons : une volonté de mettre sa droiture et sa vaillance au service des autres, le respect des anciens, une confrontation dans sa propre vie avec la vulnérabilité d'un proche, ou tout simplement l'envie d'être utile et d'avoir un métier qui fait sens dans une société en déconstruction.

J'en connais un certain nombre qui jour après jour se donnent entièrement à leur métier - prenant le risque de sacrifier au passage leur santé, leur vie familiale.

La plupart m'indiquent que le seuil de rentabilité est de plus en plus malaisé à atteindre - sauf à être particulièrement structurés (ce qui suppose aujourd'hui d'exercer impérativement à plusieurs dans un même local, d'avoir très vite un(e) assistant(e), de se constituer une équipe, de gagner du temps (et de la sérénité) en ayant des process internes éprouvés, et en travaillant avec des partenaires dans d'autres professions (médecin, avocat, gestionnaire de patrimoine). Ceux-là deviendront les meilleurs, en termes d'efficacité, de réactivité, de stratégie patrimoniale, de dialogue avec des créanciers/débiteurs, de retours positifs des majeurs protégés et de leurs familles, et des juges. 

Mais un métier ne peut être accompli sur la durée avec efficacité que si l'exigence qu'il faut atteindre quotidiennement se compense par une reconnaissance financière. Il faut donc repenser les modes et montants des rémunérations - étant observé que la situation des M.J.P.M. libéraux, auquel le présent article s'attache, diffère des M.J.P.M. exerçant sous forme associative (associations tutélaires), dont les conventions collectives sont particulièrement précaires, et dont les problématiques sont encore différentes (des prouesses s'accomplissent dans certaines associations, tandis que dans d'autres... les dysfonctionnements sont endémiques).

Il est essentiel que la profession de M.J.P.M. soit davantage reconnue, qu'un vrai statut professionnel structurant l'identifie et l'unisse, et surtout que cette profession sur qui pèse une très grande responsabilité, morale, humaine et financière, bénéficie d'une rémunération qui soit à la hauteur de cette responsabilité.

Valéry MONTOURCY - Avocat au Barreau de Paris

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