Juge-commissaire et exception d’incompétence en matière de vérification de créances.

Publié le Modifié le 27/03/2017 Vu 11 505 fois 0
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La Cour de cassation, en marge de la loi, ordonne au juge-commissaire de rendre une ordonnance de constatation d'absence de pouvoir et de sursis à statuer dès qu'une discussion s'élève au fond sur l'existence de la créance. Cette jurisprudence laisse les juges-commissaires et les parties, en particulier les créanciers, désarmés devant la difficulté à mettre cette solution en application.

La Cour de cassation, en marge de la loi, ordonne au juge-commissaire de rendre une ordonnance de constatation

Juge-commissaire et exception d’incompétence en matière de vérification de créances.

Juge-commissaire et exception d’incompétence en matière de vérification de créances.

La Cour de cassation, en marge de la loi, ordonne au juge-commissaire de rendre une ordonnance de constatation d'absence de pouvoir et de sursis à statuer dès qu'une discussion s'élève au fond sur l'existence de la créance. Cette jurisprudence laisse les juges-commissaires et les parties, en particulier les créanciers, désarmés devant la difficulté à mettre cette solution en application.

Selon les articles L 624-1, -2, et R 624-4 et -5 du code de commerce, le législateur régit les ordonnances que peut prendre le juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances, en particulier celles par lesquelles il se déclare incompétent.

Par ailleurs, la Cour de cassation a suggéré une autre catégorie de décisions que doit rendre le juge-commissaire, non prévue par la loi. Il s'agit de la constatation de son absence de pouvoir juridictionnel, ce qui doit le conduire à sursoir à statuer jusqu'à ce que le juge du fond compétent (ou plutôt doté du pouvoir suffisant) tranche la difficulté. Le maniement de ces deux types de décisions, dont la suite à donner n'est pas si évidente, s'avère très complexe, non seulement pour les juges-commissaires, mais aussi pour les créanciers et les mandataires judiciaires.

Ainsi l’article a pour objectif de faire le point sur ces deux types de décisions, en établissant la différence entre l’incompétence et la constatation du défaut de pouvoir.

I.L’incompétence.

  • Régime légal de l'incompétence

Il s'agit d'une exception qui doit être soulevée par l'une des parties in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond. Elle ne sera soulevée par le juge lui-même que si l'incompétence est d'ordre public.

Mais en tout état de cause, le juge n'en a pas l'obligation. Dès lors que le juge-commissaire se déclare incompétent, il se dessaisit entièrement du litige et l'une des parties intéressées dispose d'un mois pour saisir la juridiction compétente, à peine de forclusion, en application de l’article R 624-5 du Code de commerce.

Si aucune des parties n'a saisi la juridiction dans ce délai, non seulement celle-ci n'est pas en mesure de statuer, mais le juge-commissaire, ayant définitivement perdu sa fonction de juger, ne peut non plus statuer sur la créance (Cass. com., 28 avr. 2009, n° 08-12.274  : JurisData n° 2009-048021  ; Act. proc. coll. 2009-10, n° 155).

  • Domaine de l'incompétence

Lorsque le débiteur oppose à une banque qui déclare sa créance la compensation avec une créance de dommages et intérêts pour soutien abusif, la Cour de cassation a opportunément jugé que le juge-commissaire était incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle (Cass. com., 24 mars 2009, n° 07-18.927  : JurisData n° 2009-047591  ; Act. proc. coll. 2009-8, n° 124, obs. J. Vallansan).

En effet, une telle demande est indépendante de la procédure de vérification des créances. C'est la même solution qui doit normalement s'appliquer pour toute demande de compensation qui n'est pas fondée sur une créance certaine du débiteur, mais implique de la part de ce dernier, ne serait-ce qu'implicitement, une demande reconventionnelle, telle une créance indemnitaire pour malfaçons opposée à la créance de prix du marché réalisé. Le juge-commissaire a ici le choix de se dessaisir définitivement de la difficulté et admettre la créance ou de surseoir à statuer pour tenir ultérieurement compte d'une éventuelle compensation. Le juge-commissaire, juge de la vérification de la créance peut également se déclarer incompétent si le débiteur demande la nullité du contrat ou sa résolution.

En revanche, et contrairement à ce que suggère l'article L. 624-2, il est impossible pour le juge-commissaire de se déclarer incompétent au motif que le   est de la compétence exclusive d'une autre juridiction, qu'elle soit judiciaire ou administrative.

Quelques arrêts sont pourtant allés en ce sens.
Par exemple, la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu la solution de l'incompétence lorsque le contrat comportait une clause d'arbitrage, la difficulté relevant alors de la compétence exclusive du tribunal arbitral (Cass. com., 2 juin 2004, n° 02-18.700  : JurisData n° 2004-023924 ; D. 2004, p. 1732, obs. A. Lienhard ; JCP E 2004, 975, note N.S. ; JCP E 2004,1292, n° 9, obs. P. Pétel).

De même a-t-il été jugé qu'il n'entrait pas dans la compétence du juge-commissaire de statuer sur l'arrêté de compte d'un contrat de concession passé avec une société d'économie mixte, qui est un contrat administratif et qui relève de la compétence exclusive du juge administratif (Cass. com., 1er mars 2005, n° 02-16.769  : JurisData n° 2005-027262 ; D. 2005, p. 1020, obs. A. Lienhard. - V. aussi, CE, 24 nov. 2010, n° 328189 ,qui donne compétence au juge administratif tout en affirmant l'exclusivité de la procédure de vérification des créances).

En réalité, il ne s'agit pas d'incompétence, mais bien d'absence de pouvoir. Lorsque l'admission ou le rejet de la créance dépend de l'examen d'une difficulté sérieuse qui dépasse son pouvoir juridictionnel, le juge-commissaire doit renvoyer devant une juridiction du fond pour obtenir la
position de cette dernière sur la difficulté en jeu.

C'est pourquoi, dans ses derniers arrêts, la Cour de cassation, en se détachant totalement des termes de la loi, a initié une procédure de sursis à statuer pour cause d'absence de pouvoir juridictionnel, méthode dont il ne s'agit pas, dans le strict cadre de cet article, de renouveler les critiques qui ont pu lui être adressées (Cass. com., 24 mars 2009, n° 07-21.567 : JurisData n° 2009-047592).

II.L'absence de pouvoir juridictionnel et le sursis à statuer

  • Le principe posé par la Cour de cassation

Dans le cas visé par l'article L. 624-2, et contrairement à ce qu'indique ce texte, la Cour de cassation décide que le juge-commissaire qui constate que la contestation ne relève pas de son pouvoir doit rendre une ordonnance de sursis à statuer et renvoyer les parties à saisir le juge
compétent. Elle précise qu'il ne s'agit pas d'une exception (comme l'incompétence), mais d'une fin de non-recevoir (Cass. com., 24 mars 2009, n° 07-21.567  : Act. proc. coll. 2009-8, n° 124).

En outre, et surtout, le juge doit la soulever d'office, après avoir invité les parties à se prononcer sur ce point. Ce faisant, la Cour de cassation semble bien redonner à l'incompétence de l'article L. 624-2 sa véritable nature. Toutefois, par le régime juridique de ce nouveau type d'ordonnance, elle restreint par principe le pouvoir du juge-commissaire. On doit en déduire que le juge-commissaire qui admettrait ou rejetterait une créance sans surseoir à statuer commettrait un excès de pouvoir.

Contrairement à l'exception d'incompétence, le juge-commissaire, par le sursis à statuer qui lui est imposé, ne se dessaisit pas, mais attend qu'une décision sur le fond soit rendue pour reprendre la main et admettre ou non la créance et en fixer ou constater le montant. En réalité, il se contentera le plus souvent d'entériner la solution admise par le juge compétent, lequel ne pourra que constater l'existence de la créance et en fixer le montant, comme en matière d'interruption des instances en cours (C. com., art. L. 622-22).

  • Le contour de l'absence de pouvoir

En réalité, la Cour de cassation impose au juge-commissaire de décliner son pouvoir dans certaines situations qu'il ne maîtrise pas. Ce n'est pas à lui de décider s'il détient les éléments suffisants pour apprécier l'existence de la créance déclarée et sa nature, et, le cas échéant, en évaluer le montant. Dès lors que le sursis à statuer lui est imposé, il est indispensable qu'il connaisse clairement les limites de son pouvoir.

À ce titre, la Cour de cassation est particulièrement sévère à son égard.

En effet, alors que la loi n'aborde pas la question, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que le pouvoir du juge-commissaire devait se limiter à vérifier l'existence et le montant de la créance lorsque l'obligation du débiteur n'était pas discutable. Elle complète en disant que le juge-commissaire n'est pas le juge du contrat (Cass. com., 16 sept. 2008, n° 07-15.982).

Il en résulte que, dès que la créance vérifiée suppose l'analyse d'une difficulté , le juge-commissaire doit constater que la difficulté dépasse l'étendue de ses pouvoirs, renvoyer les parties à saisir le juge compétent et surseoir à statuer en attendant la réponse du juge compétent.

À la lecture des différents arrêts que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendus en cette matière, on peut constater qu'elle ne laisse au juge-commissaire aucune marge d'appréciation. Qu'on en juge.

Il doit décliner son pouvoi: 

  •  pour analyser la validité d'un contrat (Cass. com., 5 nov. 2003, n° 00-17.773)
  • pour apprécier l'opposabilité d'un cautionnement à une société anonyme (Note 11 Cass. com., 7 févr. 2006, n° 04-19.087 )
  • pour admettre ou non la responsabilité du débiteur pour malfaçons (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-10.868  )
  •  pour déterminer quelle est la partie débitrice des travaux dans un contrat de bail (Cass. com., 16 nov. 2010, n° 09-71.592  : JurisData n° 2010-021624).
  • pour dire quel est le contenu des obligations dans un contrat de mandat de gestion pour calculer le montant du solde débiteur d'un compte courant selon la date des contrepassations résultant de paiements par carte bancaire (Note 15 Cass. com., 20 oct. 2009, n° 08-20.192  : JurisData n° 2009-050042. – Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.335 : JurisData n° 2011-003215).
  • ou enfin pour apprécier la régularité d'une contrainte résultant de la signification d'un jugement réputé contradictoire (Cass. com., 8 nov. 2011, n° 10-24.577  : JurisData n° 2011-025426 ; Act. proc. coll. 2011-20, n° 304).

Il résulte de tous ces arrêts que la moindre contestation de la créance doit conduire le juge-commissaire à surseoir à statuer en renvoyant les parties à saisir le juge du fond. Le pouvoir juridictionnel du juge-commissaire se limite donc à constater l'existence et le montant des créances non contestées, sous réserve, éventuellement d'apprécier la valeur des documents justificatifs.

Joan DRAY

Avocat à la Cour

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