L’action en comblement de passif : passivité du dirigeant constitutif d’une faute de gestion.
L'action en comblement du passif a été créée par la loi du 16 novembre 1940 dans un souci de sévérité à l'égard des dirigeants de sociétés anonymes. Étendue aux gérants de SARL ainsi qu'aux associés ayant effectivement participé à la gestion par le décret n° 53-706 du 9 août 1953(modifiant L. 7 mars 1925, art. 25), elle a été généralisée à tous les dirigeants de personnes morales ayant un objet économique ou poursuivant en droit ou en fait un but lucratif.
L'article 6 de l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée a adapté les dispositions du titre V relatif aux responsabilités et aux sanctions, et les 1° et 2° étendent à l'EIRL soumis à une liquidation judiciaire visant le patrimoine affecté de celui-ci la responsabilité pour insuffisance d'actif encourue par le dirigeant d'une personne morale qui fait l'objet d'une telle procédure.
En l'état actuel des textes, un dirigeant de personne morale ou un EIRL ne peut être condamné à prendre en charge tout ou partie du passif social ou du passif du patrimoine en liquidation judiciaire que si le demandeur établit le dommage qui consiste en une insuffisance d'actif, une faute de gestion commise par le défendeur et le lien de causalité unissant les deux éléments précédents.
Cependant l’article va s’intéresser de plus près à la notion de faute de gestion de l’action en comblement de passif.
I.            La notion de faute de gestion.
L'article L. 651-2 du Code de commerce, tout comme les textes antérieurs, ne donne aucune définition de la faute de gestion à laquelle est subordonnée toute condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif.
S'agissant de la notion de gestion, la terminologie légale semble assimiler gestion et administration. L'article L. 651-2 du Code de commerce évoque la « gestion » fautive, alors que d'autres dispositions emploient le terme d'« administration ».
L’absence de définition et de délimitation est très préjudiciable à la sécurité, et on voit souvent des dirigeants recherchés, et parfois condamnés, pour des actes effectués de bonne foi, avec l'idée qu'ils pouvaient sauver leur entreprise. Il faut absolument faire la part des choses, et discerner le dirigeant qui a tout tenté pour éviter la cessation des paiements, et qui parfois s'est trompé ou a été maladroit, ou a dépassé de bonne foi une limite qu'il ignorait, de celui qui a volontairement poursuivi l'activité dans son intêret personnel ou en tout état en parfaite connaissance de l'anormalité de ces décisions.
Quoi qu'il en soit, on est sur une responsabilité délictuelle classique, et il appartiendra au demandeur de démontrer :
- une faute, c'est à dire l'existence d'un acte qui n'aurait pas du être accompli par un dirigeant normalement dliigent et éclairé.
Les liquidateurs sont parfois tentés dans leur assignation d'énumérer une longue liste de faute dont le cumul est censé alourdir le risque de condamnation du dirigeant: ce n'est pas forcément un bon calcul puisque la réalité de chaque faute, et la démonstration du préjudice qu'elle a distinctement entraîné peut être exigé par la juridiction (Cass com 4 Novembre 2014 n°13-20652). Chaque faute doit être "légalement justifiée" (Cass com 15 décembre 2009 n°08-21906).
De même si plusieurs dirigeants sont poursuivis, les fautes de chacun doivent être détaillées et la juridiction serait mal fondée à les sanctionner solidairement au motif que les "comportements retenus ont constitué autant de fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société" (Cass com 10 janvier 2012 n°10-28067).
- un préjudice subi par les créanciers, c'est à dire l'augmentation de l'insuffisance d'actif entre le jour où la faute a été commise, et l'ouverture de la procédure
- et surtout un lien de causalité entre les deux, c'est à dire que c'est la faute, et elle seule, qui a entrainé le préjudice.
Sans entrer dans des listages dénués de significations compte tenu de l'aléa judiciaire et des différences d'appréciation des juridictions, ce type de démonstration est théoriquement très complexe, et bien souvent éludé, ne serait-ce que parce-que le dirigeant, déjà abattu, se défend mal ou pas.
Pourtant, comme d'ailleurs dans le cas de la confusion des patrimoines, un examen approfondi des actes du dirigeant peut amener au constat d'une créance de la procédure collective (par exemple un bien a été vendu à un prix insuffisant) mais ne devrait pas justifier l'action en comblement.
On peut citer quelques exemples typiques de faute de gestion couramment admis par la jurisprudence: non déclaration de cessation des paiements, investissements hasardeux, réalisation d'opérations étrangères à l'objet social de l'entreprise, défaut de surveillance, poursuite d'une exploitation déficitaire, recours à des moyens ruineux, poursuite de l'activité dans un intêret personnel .... mais encore faut-il que les autres conditions de l'action soient réunies.
II.         Une faute qui ne peut être de "simple négligence": une attitude de mauvaise foi ? une faute évidente ?
Dans le but de faciliter le « rebond » du chef d’entreprise, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (article 146) a complété le premier alinéa de l'article L. 651-2 du code de commerce par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
Ces nouvelles dispositions sont immédiatement applicables, et devraient donc, a priori, être applicable non seulement aux procédures collectives en cours mais également aux actions en comblement en cours au jour de l'entrée en vigueur du texte (11 décembre 2016).
A titre d’illustration, on peut évoquer un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans en date du 05/10/2016, Numéro JurisData : 2006-321712.
En l’espèce, Un gérant d’une SARL tente d’échapper à une action en comblement de passif, en invoquant la vacuité de ses fonctions dans la mesure où la SARL aurait été effectivement gérée par d’autres personnes que lui.
Le gérant en titre invoque en dernier ressort son inaction, « sa qualité de prête-nom, son absence de tout rôle actif ; sa non-immixtion totale dans la gestion sociale et son éloignement géographique, son simple rôle de boîte aux lettres, comme son absence de tout suivi de l'évolution financière de la société ».
Cependant la cour de cassation a considéré que « l'acceptation puis le non-exercice de fonctions de direction par un gérant de « paille » est en soi une faute par abstention ».
Ainsi il s’agit plus d’une faute de simple négligence, puisqu’il ne préoccupait de rien et comme le cite l’arrêt, était « indifférent à tout, il a été incapable de s'apercevoir, alors même que tout le courrier social lui était adressé, que la société ne payait plus ses dettes fiscales et sociales ».
On peut penser que par la réforme, la solution resterait inchangée, car la simple négligence suppose une action non répétée de la part du dirigeant sur une situation dont la société a dû faire face.
Or en l’espèce, ce comportement d’abstention du dirigeant était répété.
D’ailleurs on peut penser que c’est à cause de dirigeants de « paille » que se perpétuent des sociétés non gérées et qu’un tel comportement mérite en soit d’être sanctionné.
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Joan DRAY
Avocat à la Cour
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