Il se peut que lors d’une liquidation judiciaire, le vote de certaines décisions ait un impact sur le patrimoine de l’associé mis en liquidation judiciaire.
Or le débiteur en liquidation judiciaire est dessaisi des droits et actions attachés à sa personne, peu importe que leur exercice puisse avoir des conséquences patrimoniales importantes (ainsi le droit d'accepter ou de refuser une succession, de racheter une assurance-vie, ou les actions liées à l'existence d'un contrat de travail).
En principe, tout actionnaire a le droit de voter aux assemblées générales, mais il existe quelques exceptions.
C’est notamment le cas lorsqu’il possède des actions dites de préférence, dont le droit de vote peut être aménagé voire supprimé en échange d’un meilleur rendement.
Il en est de même pour certains types d’actions (actions au porteur, actions non libérées des versements exigibles, actions d’autocontrôle etc.), mais se pose la question des actions appartenant à une personne en état de liquidation judiciaire.
L’article L 641-9, I al.1 du Code de commerce dispose qu’en cas de liquidation judiciaire, le débiteur se voit dessaisi de l’administration et de la disposition de tous ses biens au profit du liquidateur, et « les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ».
On pourrait en déduire que si des actions figurent au patrimoine du débiteur, les droits qui y sont attachés, et notamment le droit de vote, sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
Le liquidateur judiciaire peut-il exercer le droit de vote de l’associé ?
La Cour de cassation a récemment répondu à cette question par la négative dans le cas du gérant d’une société civile.
Elle opère une distinction entre les droits « pécuniaires » (droit de vendre les titres, de percevoir les dividendes etc.), soumis au dessaisissement, des droits « politiques » (dont le droit de vote, le droit à l’information etc.) (Cass. com. 18 octobre 2011 n° 10-19.647, SCI L7 c/ Raynaud ès qual.).
En l’espèce, il était une SCI dont le gérant, associé à 99 %, se trouvait en liquidation judiciaire.
Les statuts de cette société prévoyant que les sommes figurant en comptes courants d’associés ne pourraient être retirées qu’en accord avec le gérant ou, à défaut, moyennant un préavis d’au moins dix-huit mois, le liquidateur de l’associé prépondérant avait cherché à en accélérer le déblocage en faisant désigner un mandataire ad hoc avec mission de tenir une assemblée des associés appelée à modifier ces stipulations en vue de permettre le remboursement des comptes courants d’associés à première demande.
La SCI et son gérant ayant fait valoir que le liquidateur judiciaire n’avait pas qualité pour former une telle demande, ils ont saisi le juge des référés aux fins de rétractation de l’ordonnance qui avait procédé à cette désignation.
La Cour d’Appel confirme l’investiture du mandataire ad hoc au motif qu’il y avait dans le comportement de l’associé « une volonté délibérée d’entraver l’exercice normal de ses droits patrimoniaux par le liquidateur judiciaire » et identifié un conflit d’intérêts entre la personne morale et l’associé.
De sorte que le seul moyen de surmonter ce conflit d’intérêts était d’assurer la représentation par un mandataire ad hoc de cet associé qui ne pouvait agir « pour la préservation de ses droits patrimoniaux au sein de la SCI, tout en étant le représentant de celle-ci ».
La solution pouvait paraître logique en ce que ce conflit d’intérêt faisait naître un risque d’obstruction.
Mais cet arrêt est cassé par la Cour de cassation. Le liquidateur du patrimoine de l’associé n’a pas la qualité pour exercer les actions liées à sa qualité d’associé.
En effet, selon la cour, la liquidation judiciaire emporte dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, mais ne le dessaisit pas de l'exercice des droits attachés à sa personne.
En l’espèce, le liquidateur du patrimoine du débiteur n'avait donc pas qualité pour exercer les actions liées à sa qualité d'associé ou de gérant de la société civile et concernant le patrimoine de la personne morale, non plus que son droit de participer aux décisions collectives.
Pour la Cour de cassation, les droits et actions liés à sa qualité d’associé ou de gérant, et en particulier son droit de participer aux décisions collectives ne sont pas pour l’associé des droits et actions concernant son patrimoine, si bien qu’en cas de liquidation judiciaire, ils n’ont pas à être exercés par le liquidateur.
En pratique, l'associé gérant d'une société civile mis en liquidation judiciaire conserve donc bien son droit de vote même lorsque la décision soumise à son approbation a des conséquences patrimoniales, ce qui était le cas en l'espèce où étaient en cause les modalités d'exigibilité des comptes courants des associés.
Joan DRAY
Avocat à la Cour
joanadray@gmail.com
75009 -PARIS
TEL:01.42.27.05.32
FAX: 01.76.50.19.67