Vente de fonds de commerce : les obligations du cessionnaire
Afin d’apprécier la portée de cette jurisprudence, il convient de s’attacher au sens qu’attache la justice à la notion de rupture abusive et brièvement de rappeler ce qu’implique la vente d’un fonds de commerce, qui sert de toile de fond à l’arrêt .
La notion de rupture abusive d’une relation établie.
L’article L. 442-6 du Code de commerce interdit à tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, sous peine de voir sa responsabilité engagée, « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Ce texte qui sanctionne la rupture brutale d’une relation commerciale établie ne donne pas plus de précision quant à son champ d’application matériel.
C’est la jurisprudence qui façonne la notion de relation commerciale établie. C’est le point qui sera développé dans cette article, mais avant il convient de voir dans quelle cadre celle-ci peut intervenir.
Il faut donc d’abord déterminer ce qu’est une relation commerciale établie. La réponse à cette question suppose, d’abord, de s’intéresser aux deux parties à la relation : d’un côté, l’auteur de la rupture, de l’autre, la victime de la rupture.
Qui est susceptibles d’être a l’origine de la rupture abusive ?
La loi énumère expressément les auteurs potentiels de la rupture. Il s’agit de tout « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ».
Ce qui exclut les personnes suivantes, sans entrer dans les détails, personne morale de droit public, société civile, association, …
Qui peut en être la victime ?
La loi ne donne aucune définition de la victime de la rupture. Il s’agit de la personne qui entretient une relation commerciale avec un producteur, un commerçant, un industriel ou un artisan, auteur de la rupture, c’est-à-dire une personne qui a noué une relation d’affaires.
La jurisprudence admet aussi qu’un tiers puisse en être la victime, c’est le sens de l’attendu de principe de l’arrêt de la chambre de commerce de la Cour de cassation en date du 6 sept. 2011 (n°10-11.975) qui énonce « qu’un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d’une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice »
En pratique, si un tiers à une relation commerciale établie rompue brutalement estime que cette rupture lui cause un préjudice, il pourrait obtenir des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I 5°. Pour cela, il lui suffira de démontrer l’existence de son préjudice, c’est à dire sa matérialité et le lien de causalité entre ce préjudice et la rupture brutale. En revanche, il ne devrait pas avoir à prouver l’existence d’une faute car celle-ci résulte de la brutalité de la rupture.
La notion de relation commerciale établie.
Une fois que l’existence d’une relation commerciale est démontrée, il convient de rechercher si elle présente bien, en outre, un caractère établi pour que les dispositions de l’article L. 442-6, I 5° trouvent à s’appliquer. Ici encore, c’est l’examen de la jurisprudence qui fournit les éléments d’appréciation de ce critère.
La notion de relation commerciale établie visée par la loi ne s’identifie pas à la relation contractuelle. En d’autres termes, elle dépasse et transcende la cadre traditionnel du contrat. Ainsi les dispositions de l’article L. 442-6, I 5° peuvent s’appliquer à la rupture brutale d’une relation non formalisée et verbale, d’une relation contractuelle ou même post-contractuelle, à une relation à durée indéterminée ou déterminée et même parfois à une relation impliquant des personnes autres que les parties initiales.
La Cour de cassation a défini, dans son rapport annuel pour 2008, la relation commerciale établie comme : « une relation commerciale entre parties qui revêtait avant sa rupture un caractère stable, suivi et habituel, et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial » (rapport p. 306). Elle a précisé que « cette anticipation raisonnable peut être démontrée en s’appuyant sur l’existence d’un contrat dont l’échéance est postérieure à la date de la rupture ou sur une pratique passée dont la partie victime de la rupture pouvait inférer que sa relation commerciale s’instaurait dans la durée ».
L’existence d’une relation commerciale établie repose donc sur la conjugaison de deux critères : la stabilité de la relation et la croyance légitime en sa poursuite.
C’est donc la confiance créée dans l’esprit de la victime de la rupture d’une relation régulière et significative qui va être contrôlée par les juges du fond.
Cette condition sera remplie chaque fois que pourra être rapportée la preuve d’une relation stable, régulière et significative entre partenaires économiques ayant permis à la victime de croire en l’avenir de la relation et donc en sa longévité.
Comment se matérialise une rupture abusive d’une relation commerciale établie ?
Toute relation commerciale peut être interrompue à condition de ne pas l'être de façon brutale
En d'autres termes, les conditions dans lesquelles intervient la rupture ne doivent pas être abusives. En l'absence d'un tel abus, un contractant peut résilier unilatéralement un contrat à durée indéterminée sans avoir à motiver sa décision. L’appréciation de la rupture s’effectue en fonction du type de relation commerciale établie et en fonction de l’objet du contrat. Il peut s'agir d'une rupture totale ou partielle. Il ressort que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.
Dans ce cas, alors la rupture peut être considérée comme fautive.
Avant d’étudier l’arrêt de la Cour d’appel un bref rappel sur la notion de fonds de commerce et de sa vente est nécessaire.
Le fonds de commerce peut être définit comme étant un ensemble de biens mobiliers, corporels et incorporels qu’un commerçant personne physique ou morale affecte à une activité commerciale.
Le fonds comprend notamment le mobilier commercial, le matériel, l’outillage, la marchandise... on parle ici des éléments corporels composant le fonds de commerce. Mais le fonds de commerce ne se résume pas aux seuls éléments mobiliers, puisque l’enseigne, le nom commercial, la clientèle, les droits de propriété industrielle, littéraire et artistique font partis du fonds de commerce en tant qu’éléments incorporels.
La vente du fonds de commerce, obéit aux règles du contrat de vente et doit donc répondre aux conditions de l’article 1108 du code civil, c'est-à-dire répondre aux conditions de consentement, de capacité, et de licéité de l’objet.
Mais la vente du fonds de commerce doit aussi répondre aux conditions posées à l’article 1583 du code civil, il ne s’agit pas ici d’en faire le détail.
La cession d’un fond de commerce peut se résumer comme étant l'acte par lequel un commerçant ou une entreprise cède son fonds de commerce, qui inclut les contrats permettant l'exploitation commerciale et notamment le bail des locaux commerciaux, de bureaux ou industriels ou bien encore sa clientèle.
La question ici sera de savoir si la cession d’un fond de commerce a pour conséquence de voir substituer le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec un tiers.
En s’appuyant sur les éléments précédemment développés, il est désormais possible de saisir pleinement le sens de l’arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 13 février 2014 (n° 12/09668)
En l'espèce une société a confié, sous le régime de la location-gérance, l'exploitation de son fonds de commerce de boisson à une autre société, à laquelle elle a cédé ledit fonds cinq mois plus tard. Une société de transports routiers entretenait des relations commerciales avec la cédante du fonds. Deux semaines après la vente du fonds de commerce, la cessionnaire a fait savoir au transporteur qu'elle utiliserait désormais ses propres camions pour ses approvisionnements et ne ferait appel à ses services qu'occasionnellement. Leurs relations commerciales ayant pris fin trois mois et demi plus tard, le transporteur a fait assigner la cessionnaire pour brusque rupture des relations commerciales.
La cour d'appel de Paris rejette les demandes du transporteur. Elle relève que, si l'opération de vente du fonds de commerce a transféré à la cessionnaire la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas de plein droit substitué cette dernière au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec le transporteur.
Dès lors, s'il est établi que la cessionnaire a, comme le faisait la cédante, confié le transport de ses boissons au demandeur pendant le temps de la location gérance puis après l'acquisition du fonds, jusqu'à ce qu'elle lui fasse connaître qu'elle mettait fin à ces relations, elle ne saurait être considérée, par cette seule circonstance, comme ayant accepté de reprendre à sa charge les obligations découlant, au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce, des relations commerciales précédemment établies.
Il n'en irait autrement que si la cessionnaire avait, directement ou indirectement, manifesté son intention de poursuivre les relations établies par la cédante avec le transporteur et d'assumer l'obligation de préavis en résultant, à concurrence de l'ancienneté de ces relations, au cas où elle voudrait y mettre fin.
Tel n'étant pas le cas, il y a lieu de considérer que c'est à partir de la date du début de la location-gérance que la cessionnaire du fonds et le transporteur ont noué des relations commerciales. La décision d'y mettre fin ayant été notifiée le 14 avril 2006 et ayant été effective au mois d'août suivant, la durée de ces relations -cinq mois et demi- ne justifiait pas d'imposer à la cessionnaire un plus long préavis.
Ainsi si l'opération de vente du fonds de commerce a transféré au cessionnaire la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas de plein droit substitué ce dernier au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec le transporteur, à défaut, pour le cessionnaire, d'avoir manifesté son intention de poursuivre les relations établies par le cédant avec le transporteur et d'assumer ainsi l'obligation de préavis en résultant, à concurrence de l'ancienneté de ces relations.
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements et contentieux.
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Joan DRAY
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