I - En l'absence de toute stipulation contractuelle
En vertu de son pouvoir de direction, posé par une jurisprudence constante en tant condition de reconnaissance d'un contrat de travail, l'employeur peut modifier le lieu de travail dans la limite du secteur géographique.
Ceci relève du pouvoir de l'employeur de modifier les conditions d'exercice du contrat de travail, par opposition à la modification du contrat de travail qui nécessite l'accord du salarié (Cass.soc, 8 octobre 1987). Il y a modification chaque fois qu’il s’agit d’un élément essentiel du contrat (rémunération, lieu de travail, durée de travail, la nature de l’emploi).
Le secteur géographique est traditionnellement apprécié de manière objective par rapport à l'ensemble des salariés (Cass.soc, 4 mai 1999) notamment :
- en ayant recours à la distance kilométrique entre les deux lieux de travail (une distance de 58 km est excessive: Cass. soc, 4 janvier 2000 mais deux implantations distantes de 25 km sont bien dans le même secteur: Cass.soc, 27 septembre 2006)
- ou bien au regard de la facilité des moyens de communication (CA Versailles, 10 mai 2007: jugeant que 1H20 de transport, avec trois changements de lignes, est en dehors de la limite du secteur géographique).
Toute modification en dehors de ce secteur géographique constitue une modification du contrat de travail. Puisque ce dernier, par opposition au changement des conditions du travail, nécessite l'accord du salarié, le refus de ce dernier ne peut justifier aucune sanction.
II - En présence d'une clause de mobilité
Cependant, lorsqu'une clause de mobilité est insérée au contrat de travail, l'employeur peut modifier le lieu de travail en dehors du secteur géographique. La jurisprudence pose toutefois des limites quant à la validité de cette clause et quant à ses effets.
Les conditions de validité du contenu
S'agissant de sa validité, elle ne peut conférer à l'employeur la faculté d'en étendre unilatéralement la portée et donc elle doit être suffisamment précise quant à la zone géographique d'application (Cass.soc, 14 octobre 2008). Elle doit-être conforme aux intérêts légitimes de l'entreprise et mise en œuvre de bonne foi (qui est présumée: même arrêt).
Les conditions afférentes aux effets de sa mise en œuvre
Quant aux effets, elle ne peut être détournée de son objet. Elle n'est donc pas valable si elle opère de manière indirecte une modification du contrat de travail, en contournant l'obligation de solliciter l'accord du salarié. Tel est le cas si elle a pour effet:
- le changement d'employeur (Cass.soc, 23 septembre 2009),
- des répercussions quelconques même positives en termes de rémunération (Cass.soc, 3 mai 2006)
- si elle consiste en un passage d'horaire de jour à un horaire de nuit (Cass.soc, 14 octobre 2008).
- En cas d'atteinte au droit à une vie personnelle et familiale du salarié, sauf justification et proportionnalité par rapport au but recherché (même arrêt)
Les conséquences pour le salarié
- Si toutes les conditions sont remplies, le refus du salarié manifeste l'insubordination du salarié et constitue une faute disciplinaire de nature à justifier la prise d'une sanction, notamment l'engagement d'une procédure de licenciement.
La nature de la faute (simple, grave, dolosive) sera appréciée de manière subjective, par rapport à la situation personnelle du salarié (Cass.soc, 17 octobre 2000: la salarié, devant être présente dans l'entreprise à l'heure du déjeuner, ne pouvait pas s'occuper de ses enfants à bas âge: on retient ici la faute simple et non grave). Ceci est important pour déterminer les indemnités pouvant être réclamées par le salarié.
- En revanche, le salarié peut refuser l'application de la clause de mobilité si une des conditions de validité ou d'effet n'est pas remplie, car celle-ci est nulle. Ce refus va priver de cause sérieuse et réelle tout licenciement conséquent.
Ainsi, par son arrêt récent mentionné au début de cet article, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a rappelé une solution bien établie, selon laquelle "l'acception de tout changement d'affectation géographique pour les besoins de l'entreprise" constitue une clause nulle, faute de précisions quant au lieu géographique d'application. En retenant la validité de cette clause, la Cour d’Appel a donc violé l’article 1134 du code civil et article L1232-1 du code de travail. Puisqu'il s'agit d'une modification du contrat de travail n'ayant pas recueilli l'accord salarié, la Cour d’Appel aurait du retenir l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour faute grave.
Maître DRAY