Conditions de l'indemnisation: dommage réparé par ailleurs

Publié le Modifié le 01/07/2015 Vu 31 804 fois 0
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La Cour de cassation réaffirme constamment que le préjudice, pour être réparable, doit être personnel, direct et certain, peu important l'ordre dans lequel elle délivre ces trois caractères cumulatifs (Cass. 2e civ., 23 oct. 2003). Le préjudice doit donc être certain pour être réparé. Mais quand est-il lorsque le dommage est d’ores et déjà réparé par ailleurs ?

La Cour de cassation réaffirme constamment que le préjudice, pour être réparable, doit être personnel, di

Conditions de l'indemnisation: dommage réparé par ailleurs

La Cour de cassation réaffirme constamment que le préjudice, pour être réparable, doit être personnel, direct et certain, peu important l'ordre dans lequel elle délivre ces trois caractères cumulatifs (Cass. 2e civ., 23 oct. 2003).

Le préjudice doit donc être certain pour être réparé.

Mais quand est-il lorsque le dommage est d’ores et déjà réparé par ailleurs ?

La Cour de Cassation a récemment rappelé que les parties civiles, victimes de dommages à leur véhicule et à leur immeuble, peuvent demander réparation, nonobstant la circonstance qu'elles ont été indemnisées par leur assureur (Cass. crim., 2 déc. 2014).

La victime peut parfois obtenir réparation de son préjudice par d'autres que le responsable (assureur, sécurité sociale, caisse de retraite...), dans ce cas, le dommage conserve-t-il son caractère de certitude ?

La victime peut-elle cumuler les indemnités lorsque son dommage est déjà réparé ou semble l'être ?

I.Secours bénévoles

  • Cumul possible :

La victime peut cumuler l'indemnité réparant son préjudice et l'aide d'une personne charitable.

Tel est le cas notamment lorsque l'assistance provient d'un membre de la famille de la victime, l'entraide familiale ne pouvant en aucune manière justifier une réduction de l'indemnité due par l'auteur du dommage (Cass. 2e civ., 16 nov. 1994 – Cass. ass. plén., 28 nov. 2001 – Cass. 2e civ., 14 nov. 2002 – Cass. 2e civ., 5 juin 2003).

L'aide charitable peut émaner de personnes extérieures au cercle familial.

Le critère est celui du caractère non obligatoire de l'aide ou du secours apporté à la victime.

II.Hypothèses de cumuls d'indemnités

Concernant les sommes versées par les assureurs, la sécurité sociale ou les caisses de retraite, les solutions doivent être nuancées.

1.Assurances

  • Assurances de dommages et assurances de personnes :

Pour savoir si le cumul entre l'indemnité versée par l'auteur du dommage et l'indemnité d'assurance est ou non possible, il faut tout d'abord distinguer les assurances de dommages et les assurances de personnes.

Les assurances de dommages englobent les assurances de choses, garantissant contre la perte d'un bien, et les assurances de responsabilité qui couvrent l'assuré contre les conséquences d'un dommage qu'il pourrait causer à autrui.

Les assurances de personnes couvrent les risques susceptibles d'affecter la personne humaine de l'assuré (vie, décès, accident corporel, maladie, invalidité etc.), elles incluent notamment l'assurance-vie, « contrat par lequel l'assureur s'engage envers le souscripteur, moyennant une prime, à verser une somme déterminée au bénéficiaire désigné, l'exécution de son obligation dépendant de la durée de la vie de l'assuré », et l'assurance contre les accidents corporels, contrat par lequel l'assureur garantie à l'assuré, contre versement d'une prime, qu'il percevra un capital ou une rente lors de la survenance d'un éventuel accident corporel.

  • Caractère indemnitaire des assurances de dommages :

Les assurances de dommages reposent sur le principe indemnitaire, autrement dit, le bénéficiaire de l'assurance ne doit pas s'enrichir en recevant des indemnités supérieures au préjudice dont il a souffert.

La victime indemnisée par l'assureur ne peut donc réclamer une nouvelle indemnité à l'auteur du dommage en faisant jouer à son profit les règles de la responsabilité civile, sauf dans l'hypothèse où l'indemnité versée par l'assureur ne couvrirait pas l'intégralité du préjudice subi par la victime.

Le cas échéant, la victime peut poursuivre l'auteur du dommage pour la portion du préjudice non indemnisée par l'assureur (Cass. civ., 5 mars 1945– Cass. 1re civ., 12 mai 1993).

Quant à l'assureur solvens, il sera subrogé dans les droits de la victime et pourra ainsi poursuivre l'auteur du dommage afin d'obtenir le remboursement de l'indemnité qu'il a versée (C. assur., art. L. 121-12).

  • Principe du caractère forfaitaire des assurances de personnes :

Au contraire des assurances de dommages, les assurances de personnes sont fondées sur le principe forfaitaire, ce qui signifie que les risques garantis, susceptibles d'affecter la personne, s'ils se réalisent, impliqueront un paiement de la part de l'assureur d'une somme prédéterminée dans la police d'assurance.

Cette somme revêt a priori un caractère forfaitaire, c'est-à-dire détachée de tout lien avec l'évaluation du préjudice réellement subi.

Tel est le cas du contrat d'assurance sur la vie qui en cas de décès prévoit le versement d'un capital dont le montant est fixé de manière prédéterminée dans la police d'assurance sans aucune allusion à un quelconque préjudice.

En conséquence, la victime ou ses ayants droit peuvent cumuler l'indemnité versée par l'assureur en exécution du contrat d'assurance et l'indemnisation du préjudice qui sera effectuée par l'auteur du dommage au titre de l'application des règles de la responsabilité civile.

De son côté, « l'assureur après paiement de la somme assurée, ne peut être subrogé aux droits du contractant ou du bénéficiaire contre des tiers à raison du sinistre »(C. assur., art. L. 131-2).

  • Exceptions au caractère forfaitaire des assurances de personnes :

L'article 33, alinéa 3, de la loi du 5 juillet 1985, codifié à l'article L. 211-25 du Code des assurances, permet à l'assureur de personnes d'exercer, lorsqu'il est prévu par le contrat, un recours subrogatoire contre l'assureur de l'auteur du dommage d'un montant égal aux avances sur indemnité du fait de l'accident qu'il a consenties, dans la limite du solde subsistant après paiement des tiers payeurs visés par l'article 29 de la loi.

Par ailleurs, l'article 23 de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992 a généralisé la possibilité pour les assureurs d'insérer une clause subrogatoire dans les assurances de personnes, dès lors qu'est en jeu le remboursement de prestations à caractère indemnitaire, c'est-à-dire celles qui ont leur cause dans le dommage et qui visent effectivement à réparer le préjudice subi (C. assur., art. L. 131-2, al. 2).

L'assurance joue alors le rôle d'une avance sur recours, et le mode de calcul des prestations versées à la victime en fonction d'éléments prédéterminés dans le contrat n'est pas à lui seul de nature à empêcher les prestations versées à la victime de revêtir un caractère indemnitaire.

Pour savoir si la prestation versée par l'assureur a ou non un caractère indemnitaire, la jurisprudence (Cass. ass. plén., 19 déc. 2003) pose deux critères cumulatifs, tout d'abord le contrat doit contenir une clause prévoyant la subrogation et ensuite les modalités de calcul et d'attribution des prestations doivent être celles de la réparation du préjudice selon le droit commun.

Le cas échéant, la prestation versée à la victime aura un caractère indemnitaire et l'assureur de personnes sera subrogé dans les droits de la victime, laquelle ne pourra cumuler l'indemnité d'assurance et le bénéfice d'un recours en responsabilité civile contre l'auteur du dommage.

2.Sécurité sociale

  • Étendue du recours de la sécurité sociale :

Les prestations sociales versées à la suite d'un accident ont un caractère indemnitaire, la victime ne peut donc pas, pour un même préjudice, cumuler l'indemnisation versée par la CPAM et obtenir réparation de son préjudice global auprès du responsable (Cass. 2e civ., 3 févr. 1993).

Cependant, les prestations sociales qui lui sont versées ne réparent que le préjudice consistant en une atteinte à l'intégrité physique de la personne.

La victime demeure donc libre d'agir contre l'auteur pour ses autres chefs de préjudice (dommage aux biens, dommage moral, etc.).

Il ne s'agit pas alors d'un cumul mais de réparations relevant de chefs différents de préjudice.

D'ailleurs, les prestations versées par le tiers payeur à la victime doivent être déduites de l'indemnité à laquelle est tenu le responsable envers la victime pour réparer les atteintes à son intégrité physique (Cass. ass. plén., 31 oct.).

Le tiers payeur verse à la victime des prestations et est ensuite subrogé dans ses droits contre le responsable pour le remboursement des prestations versées.

L'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 a profondément modifié les règles élaborées par la jurisprudence à partir des textes antérieurs.

L'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale comporte la disposition suivante : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel ».

De même pour l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 : “Les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel”.

Une exception est apportée au droit exclusif de la victime sur les préjudices à caractère personnel : “Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice” (CSS, art. L. 376-1 ; L. 5 juill. 1985, art. 31).

La priorité des caisses de sécurité et plus généralement des tiers payeurs est supprimée.

L'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale comporte la disposition suivante : « Conformément à l'article 1252 du Code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée ».

De même pour l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 : « Conformément à l'article 1252 du Code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie ; en ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle ».

  • Interprétation restrictive de la notion de « part d'indemnité de caractère personnel » :

Les indemnités exclus du recours du tiers payeur se sont encore réduites depuis que la Cour de cassation considère que « le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence ».

En conséquence, le recours subrogatoire peut porter sur les indemnités réparant le « préjudice fonctionnel d'agrément »(Cass. ass. plén., 19 déc. 2003 – Cass. crim., 9 mars 2004 – Cass. crim., 6 avr. 2004 – Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, – Cass. 2e civ., 4 mai 2004 – Cass. 2e civ., 3 juin 2004).

Ce préjudice est corrélatif au déficit fonctionnel de la victime, il traduit l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence causés avant la consolidation et correspondant à la perte des joies usuelles de la vie courante pendant la période d'incapacité totale de travail, et après la consolidation par le handicap dans les actes essentiels de la vie courante, dans les activités affectives et familiales et dans celles des activités de loisirs.

La jurisprudence précise par ailleurs que le retentissement professionnel du dommage, étant d'ordre patrimonial et constituant l'une des composantes du préjudice résultant de l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, entre lui aussi dans le champ du recours des organismes sociaux (Cass. 2e civ., 7 oct. 2004).

La notion de part d'indemnité de caractère personnel exclue du recours de la CPAM se cantonne donc au seul préjudice subjectif de caractère personnel, à savoir les souffrances physiques ou morales endurées par la victime et au préjudice esthétique et d'agrément (Cass. crim., 6 avr. 2004).

  • La perte d'une chance ne présente pas un caractère forfaitaire :

La Cour de cassation considère que, déterminée en fonction de l'état réel du malade et de toutes les conséquences en découlant, la réparation du dommage résultant pour celui-ci de la perte de chance d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à une infirmité ne présente pas un caractère forfaitaire, mais correspond à une fraction des différents chefs de préjudice qu'il a subis, de sorte qu'au titre des prestations qu'ils ont versées en relation directe avec le fait dommageable, les tiers payeurs peuvent exercer leurs recours sur la somme allouée à la victime en réparation de la perte de chance d'éviter une atteinte à son intégrité physique (Cass. soc., 17 déc. 1998 – Cass. 1re civ., 18 juill. 2000).

3.Pensions

  • Caractère indemnitaire de la pension :

Lorsqu'un organisme social verse une pension de réversion à l'époux survivant, doit-on en tenir compte dans l'évaluation du préjudice économique qu'il subit par ricochet ? Autrement dit, le dommage économique est-il déjà réparé dans la mesure du montant de la prestation qu'il perçoit ? La jurisprudence considère que la pension de réversion contribue à réparer le dommage subi – bien qu'elle corresponde souvent à un effort de prévoyance de la victime qui a payé des cotisations prélevées sur son propre patrimoine ! –, qu'elle a donc un caractère indemnitaire (Cass. ass. plén., 9 mai 1980 : Bull. civ. 1980, n° 3 ; RDT civ. 1980, p. 572, obs. Durry). Dès lors, le bénéficiaire de la pension de réversion ne peut être indemnisé deux fois. Il faudra, d'une manière ou d'une autre, tenir compte de la prestation perçue lorsque s'effectuera l'indemnisation globale. De là, des distinctions doivent être opérées suivant les méandres imposés par l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

  • Organisme débiteur de la pension ne bénéficiant pas d'un recours subrogatoire :

Lorsque l'organisme qui verse les prestations ne figure pas parmi ceux de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, il ne bénéficie pas du recours subrogatoire qu'elle institue exclusivement au bénéfice de ceux qu'elle vise.

La jurisprudence décide que la pension de réversion constitue un revenu perçu du chef du conjoint décédé, et doit être pris en compte pour déterminer, au vu des revenus revalorisés du ménage, la perte des ressources du conjoint survivant.

La jurisprudence évite de la sorte tout cumul d'indemnité du conjoint survivant en prenant en compte la pension de réversion dans l'évaluation de son préjudice économique (Cass. crim., 15 févr. 1995 – Cass. crim., 22 août 1995 – Cass. 2e civ., 28 févr. 1996 – Cass. 2e civ., 21 mai 1997 – Cass. 2e civ., 31 mai 2000 – Cass. 2e civ., 7 juin – Cass. crim., 13 mai 2003).

  • Organisme débiteur de la pension bénéficiaire d'un recours subrogatoire :

En revanche, lorsque l'organisme débiteur de la pension de réversion jouit d'un recours subrogatoire au titre de l'article 29, 1° de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, alors il convient d'apprécier le préjudice en tous ses éléments, y compris lorsqu'il est réparé en tout ou partie par les prestations déjà versées aux ayants droit.

Sans cela en effet, le tiers payeur verrait l'assiette de son recours subrogatoire amputée du montant des prestations déjà versées (Cass. crim., 4 juill. 1990 – Cass. 2e civ., 26 juin 1996 – Cass. 2e civ., 17 déc. 1997 – Cass. crim., 2 mai 2001).

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Joan DRAY
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