Conséquences de l’inopposabilité au bailleur d’une cession de bail commercial irrégulière
La cession du bail commercial peut être définie comme la transmission du contrat de bail par le preneur actuel, le cédant, à un tiers au contrat de bail, le cessionnaire. Elle est régie par le droit commun des contrats et par des dispositions spécifiques au statut des baux commerciaux.
Le cédant transmet son droit de jouissance sur le local et le cessionnaire devient débiteur, à l'égard du bailleur, des obligations mises à la charge du locataire par le contrat de bail.
Le cessionnaire devient locataire au lieu et place du cédant, ce qui engendre des rapports directs de droit entre lui et le bailleur et fait, en principe, disparaître tout lien de droit entre le cédant et le propriétaire (Cass. 3e civ., 18 juill. 1979).
A/inopposabilité de la cession du bail au bailleur en cas de défaut de signification de la cession à celui-ci
La cession doit être impérativement signifiée au bailleur soit par voie d’huissier ou, si la cession est relatée dans un acte authentique, le faire intervenir à l’acte. (Art. 1690 du Code civil).
La signification doit prendre la forme d'un acte extrajudiciaire et permettre au bailleur de connaître les dispositions essentielles de l'acte de cession. La jurisprudence est assez souple sur le moment où elle doit intervenir car il suffit qu'elle soit faite en cours de bail.
Le manquement à l’un de ces deux principes entraine l’inopposabilité de la cession au bailleur.
La Cour d’appel de PARIS a jugé que le seul encaissement des loyers par les bailleurs, sans autre manifestation positive et non équivoque d'acquiescement, ne suffit pas à rapporter la preuve de l'acceptation des bailleurs à la cession du bail. (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 3 juillet 2008, n° 07/13340, M. Loïc Thoux c/ M. René Charles Beurio)
Dans cette affaire, l'acte de cession n'avait pas été porté à la connaissance des bailleurs et avait dénoncé cette irrégularité au liquidateur judiciaire en considérant que la cession du fonds lui était inopposable.
Il faut noter que seul le bailleur peut invoquer le caractère irrégulier de la cession, celle-ci entraine des conséquences préjudiciables à l’égard du cédant et du cessionnaire.
Une des plus graves est que la jurisprudence estime que le bailleur peut considérer le cessionnaire comme un occupant sans droit ni titre et légitimement demander son expulsion des locaux. (Cass. 3e civ., 6 févr. 1979)
La cession devient, en effet, inopposable au bailleur (Cass. civ. 3ème, 13 mai 1998)
Le cessionnaire qui occupe les locaux loués devient occupant sans droits ni titre et son expulsion peut être demandée par le bailleur
Elle peut aussi entrainer la résiliation judiciaire du bail, c’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 23 novembre 2005.
En effet selon elle l'absence d'agrément préalable du bailleur, tel que stipulé contractuellement «constitue une infraction grave justifiant la résiliation judiciaire du bail sans qu'il y ait lieu de tenir compte du préjudice éventuellement occasionné qui n'est susceptible d'être pris en compte que pour apprécier la gravité de l'infraction. »
Une cession de bail irrégulière, peut entraîner une dénégation du statut des baux commerciaux, ce qui peut rendre impossible une demande de renouvellement de bail par le locataire actuel.
Un arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 15 mai 1996, illustre parfaitement cette idée :
En l’espèce un locataire qui n’est plus immatriculé au registre du commerce et des sociétés et qui a cédé son bail sans pour autant rendre la cession opposable à son bailleur, ne peut soutenir que la confusion de son patrimoine avec celui du cédant, effectivement constatée en justice, lui confère des droits vis-à-vis des tiers au motif que le cessionnaire bénéficie d'une immatriculation régulière.
L'inopposabilité du bail peut aussi avoir comme conséquence que le cessionnaire ne soit pas reconnu comme titulaire du contrat de bail.
En effet, dans un arrêt du 9 septembre 1998 la cour d’appel d’Agen, a estimé que la violation d'une clause instituant le concours du bailleur à la cession de bail ne justifiait pas la résiliation du bail mais dès lors que la cession avait été notifiée dans les formes prévues par l'article 1690 du Code civil, cette violation rend la cession inopposable au bailleur ; par conséquent, seuls les cédants sont débiteurs des loyers depuis la cession
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 juin 2013, a estimé que « faute d'avoir donné son accord, le bailleur pouvait s'opposer à cette cession peu importe qu'il ait fait connaître son opposition deux mois après la notification de l'acte et que la cessionnaire ait entrepris des travaux dans les lieux durant cette période. »
En cas de violation d’une clause stipulant l’accord expresse du bailleur à la cession, et même si la cession lui a été signifié de façon régulière, le bailleur a le droit de la faire reconnaître comme lui étant inopposable.
La cession irrégulière d’un bail commercial peut aussi être considérée comme un motif suffisamment grave et légitime justifiant le refus de renouvellement du bail aux yeux des juges (CA Rouen, 2e ch., 24 avr. 2008)
Cependant, le bail sera opposable au bailleur, même en l'absence de cession, s'il a accepté cette dernière sans équivoque. .
La jurisprudence considère que l'attitude passive du bailleur qui ne conteste pas immédiatement la cession ou qui accepte les loyers du cessionnaire ne suffit pas à caractériser cette acceptation (. La jurisprudence exige d'autres "indices" permettant de conclure à cette acceptation. Il faut que le bailleur se comporte à l'égard du cessionnaire comme s'il était le locataire (quittances à son nom, demande de révision qui lui soit directement adressée, proposition de renouvellement faite au cessionnaire...).
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Joan DRAY
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