Contrat et informations sensibles : une obligation d’en informer le cocontractant ?
Le devoir d’informer apparaît comme un principe, en vertu duquel il appartient normalement à tout contractant de s'instruire par lui-même des circonstances qui sont de nature à influer sur la conclusion ou sur l'exécution du contrat.
Il est admis en jurisprudence que la qualité de profane n'a pas pour effet de créer a priori une dispense définitive de l'obligation de s'informer – même dans les rapports avec un professionnel (Cass. 1re civ., 19 mars 1985).
Il appartient également à un preneur normalement diligent de se renseigner sur le sens d'une clause du bail (Cass. 1re civ., 4 juin 2009).
Enfin, aucun texte n'oblige une entreprise à informer son cocontractant du fait qu'elle fait l'objet d'un redressement judiciaire (Cass. com., 24 sept. 2003).
Dans cette dernière affaire, la société Socavol avait conclu en avril 1993 avec la société Valouest un marché de travaux portant sur une installation industrielle. Or, sur le montant du marché, la société Socavol versa un acompte et remit une lettre de change endossée par la Société de banque occidentale.
Par la suite, considérant qu'au titre des travaux exécutés, un solde restait dû, le liquidateur judiciaire de la société Valouest et la Société de banque occidentale réclamèrent en justice paiement à la société Socavol.
Mais cette dernière demanda alors reconventionnellement l'annulation du marché pour dol de la société Valouest au motif que cette dernière lui avait dissimulé lors de la signature de ce contrat qu'elle avait été mise quelque temps auparavant en redressement judiciaire.
La CA avait débouté la société Socavol de ses prétentions, et la Chambre commerciale de la Cour de cassation l’approuve en énonçant : « ayant relevé qu'aucun texte n'oblige une entreprise à informer son co-contractant du fait qu'elle fait l'objet d'un redressement judiciaire, la cour d'appel, qui a constaté qu'il n'était pas établi que la société Socavol n'aurait pas contracté si elle avait connu la situation de la société Valouest et qu'elle ne rapportait pas la preuve que celle-ci se serait livrée à des manœuvres dolosives à son égard, a légalement justifié sa décision ».
La Cour de cassation ne referme donc pas l’opportunité du dol.
Il faudra que le contractant établisse d’une part l’importance qu’il attachait à la santé financière de l’entreprise co-contractante.
D’autre part, qu'il rapporte la preuve de la part de cette dernière de manœuvres frauduleuses, telles que la production d'un faux bilan ou de fausses pièces laissant entrevoir des possibilités financières ou des relations d'affaires qui, en réalité, n'existaient pas.
Plus récemment, la Cour d’appel de Paris a pu se prononcer sur l’opportunité d’une clause intuitu personae, eu égard notamment à une situation de dol et de manœuvres permettant de cacher la situation financière réelle de l’entreprise co-contractante (CA Paris 30 janvier 2008).
En l’espèce, un franchiseur avait conclu un accord avec une société pour la distribution exclusive de montures aux opticiens franchisés de son réseau. L'accord précisait qu'il avait été conclu en considération de la personnalité des associés du distributeur.
La Cour d'Appel de Paris a annulé cet accord en raison du dol commis par le distributeur : il n'avait à aucun moment informé le franchiseur qu'il était en cessation des paiements et avait été mis en redressement judiciaire avant la conclusion de leur accord.
L’insertion d’une clause intuitu personae démontrait que la sélection des distributeurs avait été fondée, non seulement sur des impératifs d'ordre économique relatifs à la surface financière de l'entreprise choisie, mais également sur les relations de confiance établies avec ses dirigeants.
L'arrêt rapporté constitue donc une illustration intéressante du principe posé par la Cour de cassation en 2003.
Les rédacteurs de contrats devront veiller à insérer une clause minutieuse précisant que la bonne santé financière de chaque partie est un élément déterminant de leur consentement.
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Joan DRAY
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