CORONAVIRUS ET BAIL COMMERCIAL
Afin de lutter contre la propagation de l’épidémie de coronavirus les autorités ont imposé brutalement à de nombreux commerces de fermer boutique, sans possibilité aucune de production de chiffre d’affaires.
En effet, par un arrêté du 14 mars 2020, complété par arrêté du 15 mars 2020, il a été décidé, en substance, de la fermeture, à compter du 16 mars 2020 jusqu’au 15 avril 2020, de tous les commerces considérés « non indispensables », soit en réalité l’ensemble des commerces de distribution au détail, à l’exception de certaines branches d’activité dites essentielles, comme évidemment la distribution alimentaire, mais également les stations-services, magasins de réparations informatiques, etc, etc…
Cet arrêt brutal de l’exploitation, mêlé à la crise économique générale lié à l’épidémie, se traduit évidemment par une absence totale de chiffre d’affaires.
En outre, au jour de la rédaction du présent article, 23 avril 2020, il est acquis que l’ensemble de ces mesures de fermeture et de confinement ne prendront pas fin avant le 11 mai 2020 au minimum…soit presque deux mois d’arrêt, si ce n’est bien plus pour certaines branches d’activités comme la restauration par exemple. Et il est acquis qu’il faudra encore plusieurs semaines supplémentaires avant que l’activité économique reprenne un rythme normal.
Dans ces conditions, un grand nombre de commerçants se demandent légitimement s’ils sont en droit de prétendre à une exonération pure et simple des loyers et charges exigibles pendant la période d’indisponibilité des locaux et pas seulement à un simple report d’échéance.
En effet, d’un point de vue économique, un tel report d’échéance n’aurait aucun sens pour l’entreprise qui ne rattrapera jamais sa perte actuelle de chiffre d’affaires et pour laquelle cela reviendrait à « reculer pour mieux sauter ».
Aussi, selon nous, cette situation relève d’un cas de force majeure qui empêche le bailleur d’exécuter son obligation de délivrance d’une chose conforme à sa destination et de jouissance paisible des lieux (I). Dès lors, le locataire est fondé à ne plus lui assurer la contrepartie financière de la mise à disposition des locaux et, le cas échéant, à lui opposer le principe de l’exception d’inexécution (II).
I/La force majeure et l’obligation de délivrance
Au préalable, il convient de préciser que ce n’est pas tant l’épidémie de coronavirus elle-même mais plutôt la mesure administrative contraignante, exceptionnelle et inédite prise en vue de lutter contre la propagation de cette épidémiequi constitue un cas de force majeure.
La force majeure est aujourd’hui définie au nouvel article 1218 du code civil lequel stipule :
Article 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
En vertu de ce texte, la force majeure est caractérisée par le fait que l’événement survenu réponde à 3 critères, à savoir qu’il doit être extérieur à la volonté du débiteur, imprévisible et irrésistible.
En l’espèce, la condition d’extériorité du cas de force majeure ne peut faire débat dans la mesure où ni le Bailleur, ni le locataire ne sont évidemment à l’origine de la mesure administrative contraignante ci-dessus rappelée.
La condition d’imprévisibilité du cas de force majeure ne peut non plus faire débat dès lors que la conclusion du bail est antérieure à la survenance d’une telle mesure, laquelle ne pouvait absolument pas être prévue par les Parties, en tout cas pas dans ses effets actuels et inédits.
La condition d’irrésistibilité du cas de force majeure est également acquise incontestablement puisque les Parties ne peuvent absolument pas faire obstacle à une telle décision administrative portant obligation de fermeture immédiate d’un local commercial dont la destination ne rentre pas dans la catégorie des commerces autorisés à ouvrir.
Enfin, la force majeure a pour caractéristique d’empêcher l’exécution de son obligation par le débiteur.
A cet égard, aux termes de l’article 1719 du Code civil, le Bailleur est notamment tenu à l’égard de son locataire de deux obligations essentielles, à savoir une obligation de délivrance des lieux conforme à leur destination, d’une part, et une obligation de jouissance paisible des lieux, d’autre part.
Au cas d’espèce, si la mesure administrative en question n’empêche pas directement le paiement du loyer par le Locataire (même si, en réalité, se voit privé de son outil exclusif de production du chiffre d’affaires, condition indispensable au règlement de ses charges), il apparait en revanche qu’elle empêche objectivement le Bailleur de satisfaire à ses obligations légales de délivrance et de jouissance paisible des lieux conformément à leur destination.
En effet, il convient de rappeler que le bail commercial, comme tout bail, est, tant pour le bailleur que pour le locataire, un contrat à exécution « successive ».
Ainsi, de même que le locataire doit périodiquement payer son loyer, le bailleur doit, tout au long du bail, accomplir de façon continue ses obligations de délivrance et de jouissance paisible des lieux loués conformément à leur destination contractuelle. Il n’en est pas déchargé à la remise des clefs au locataire.
II/Le non-paiement du loyer et l’exception d’inexécution
Il est certain que le loyer n’est que la contrepartie périodique de la mise à disposition continue des locaux au locataire en vue de leur exploitation conformément à leur destination contractuelle.
Si cette mise à disposition des locaux est rendue administrativement impossible ou interdite par l’effet d’un cas de force majeure, par voie de conséquence, le locataire se trouve empêché d’en assurer la contrepartie.
Dans ces conditions, et sauf clause dérogatoire expresse prévue à son contrat de bail, le locataire pourra se prévaloir du bénéfice du principe de l’exception d’inexécution aujourd’hui prévu à l’article 1219 du code civil dans les termes suivants :
“Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.”
Par conséquent, selon nous, l’ensemble de ces moyens légaux permettent aux commerçants de suspendre leur obligation au paiement des loyers et charges rétroactivement depuis la date du 16 mars 2020 jusqu’à l’expiration de la période d’impossibilité de jouissance des lieux.
Etant rappelé que la suspension n’est pas un simple report d’échéance mais une exonération des obligations contractuelles sur une période donnée.
A cet égard, pour s’opposer à la demande d’exonération des loyers de leurs locataires et leur proposer à la place un simple report, les bailleurs se livrent actuellement à un véritable détournement des termes de l’Ordonnance n°2020-316 du Président de la République en date du 25 mars 2020, laquelle, en son article 4, a décidé que la plupart des TPE :
“ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.”
Pour résumer ce texte : du 12 mars 2020 jusqu’au 24 juillet 2020 (2 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire décrété jusqu’au 24 mai) le non-paiement des loyers et charges locatives des TPE exigibles durant cette même période ne pourra donner lieu ni à l’application de pénalités ou intérêt de retard, ni à l’acquisition de la clause résolutoire du bail.
Sur ce, les bailleurs croient pouvoir détourner ce texte de son sens en prétendant que l’Etat aurait ordonné simplement un report des loyers, ce qui sous-entendrait que les loyers resteraient, quoi qu’il en soit, exigibles, faisant ainsi obstacle à toute demande de suspension, donc d’exonération des loyers laquelle n’aurait pas été ordonnée.
C’est là une interprétation parfaitement inexacte dans lequel les commerçants ne doivent pas se laisser emporter.
En effet, cette Ordonnance d’Etat ne vaut ni report de plein droit des loyers, ni suspension de plein droit des loyers. De même, elle n’emporte pas davantage exigibilité absolue et définitive des loyers pendant cette période.
Ainsi, elle n’interdit absolument pas la suspension ou le report des loyers, convenue de façon amiable ou bien ordonnée judiciairement.
Elle ne prive aucun locataire (quelle que soit sa taille ou sa solidité financière et pas seulement les TPE) de sa faculté de demander une suspension de son loyer sur les fondements légaux existants, en l’occurrence la force majeure et l’exception d’inexécution.
En réalité, par cette Ordonnance, le pouvoir exécutif a seulement pris en urgence une mesure provisoire de protection des locataires les plus fragiles en décrétant notamment qu’ils ne pourront risquer la résiliation de leur bail, ou se voir appliquer des pénalités de retard pendant la période d’état d’urgence sanitaire augmentée de deux mois, ce qui n’est qu’un « gel » temporaire de l’action des bailleurs, et ce, dans l’hypothèse où le bailleur n’accepterait ni l’annulation des loyers, ni le report des loyers.
En revanche, ne souhaitant pas s’ingérer dans la discussion propre à chaque relation locative entre bailleur et locataire au sujet du sort définitif des loyers afférent à la période en question, l’Etat laisse donc à chaque locataire, si bon lui semble, le soin de faire valoir ses droits directement avec son bailleur en faisant appel aux moyens légaux existants tirés du Code civil.
Par conséquent, tout commerçant locataire reste encore et fort heureusement libre de se prévaloir de ses droits tirés de la Loi et auxquels l’Etat n’a apporté aucune dérogation.
A cet égard, il convient de préciser que le locataire qui entend se prévaloir d’un tel cas de force majeure et de l’exception d’inexécution doit impérativement notifier au préalable au Bailleur sa décision de suspendre le paiement des loyers et charges pendant la période critique, et ce, par lettre recommandée AR qui pourra émaner de lui-même ou de son avocat.
Aussi, notre Cabinet se tient à votre entière disposition pour étudier votre dossier et établir, moyennant une rémunération forfaitaire convenue d’avance, une telle lettre recommandée avec AR à votre bailleur pour lui notifier votre décision de suspendre le règlement de vos loyers et charges.
JOAN DRAY
Avocat
MANDATAIRE EN TRANSACTIONS IMMOBILIERES
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