Crédit immobilier : raccourcissement du délai de prescription.
La 1ere chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt du 28 novembre 2012, précisé le délai de prescription applicable au crédit immobilier conclu entre un professionnel et un consommateur.
Les faits étaient les suivants, M. V souscrit en 2003 deux emprunts auprès d’un établissement bancaire en vue de l’achat d’un bien immobilier.
À la suite d’impayés, la déchéance du terme du crédit est prononcée le 10 février 2006.
Un peu plus de quatre années plus tard, le 12 juillet 2010, M. V se voit délivrer un commandement de payer aux fins de saisie immobilière.
Entre le moment où M. V souscrit ces prêts et le moment où la banque lui signifie le commandement, une nouvelle loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a modifié le délai de prescription en matière de crédit à la consommation.
M. V, va donc contester la validité du commandement en invoquant le délai de prescription de 2 ans prévu par l’article 4 de la loi du 17 juin 2008 (art. L 137-2 du Code la consommation).
La Cour d’appel va rejeter son argumentation sur deux points. Selon elle, cette loi ne s’applique pas aux crédits immobiliers et de surcroît elle ne s’applique que pour les crédits souscrits à compter de son entrée en vigueur (elle n’a donc pas d’effet rétroactif).
M. V, fait se pourvoir en cassation et demander à la Haute juridiction de se positionner sur le fait de savoir si les crédits immobiliers peuvent être considérés comme des crédits à la consommation.
Celle-ci va répondre par l’affirmative en considérant que les crédits immobiliers consentis aux particuliers consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels (Cass. 1re civ., 28 nov. 2012).
Cette décision qui modifie le délai de prescription en matière de crédit immobilier (I) entraîne des conséquences sur l’action de l’emprunteur en recouvrement (II), à condition que cette dernière ait été engagée après la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 (III).
I/ Délai de prescription en matière de crédit immobilier
Traditionnellement en matière de crédit immobilier, l’action en recouvrement du prêteur était soumise à la prescription décennale (L 110-4 du Code de commerce).
Cette action pouvait être soumis à un délai de prescription plus court en vertu de dispositions spéciales (Cass. com., 12 déc. 2006).
Le principe était donc la prescription décennale et le débiteur d’une obligation née d’un contrat de prêt immobilier devait s’en satisfaire.
La loi du 17 juin 2008 a dans un premier temps rapporté ce délai à 5 ans (L 110-4 Code de commerce).
La loi du 17 juin 2008 instaurait également un délai de prescription de deux ans pour les actions des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs (L 137-2 Code de la consommation).
Il y avait donc deux délais de prescription concurrents en matière de crédit immobilier.
Le premier résultait du code de commerce.
Celui-ci disposant que « les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes » (L 110-4 Code de commerce).
Le second résultait du code des articles L 312-2 et L 137-2 du Code de la consommation qui disposent respectivement que :
« L'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».
« Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux prêts qui, quelle que soit leur qualification ou leur technique, sont consentis de manière habituelle par toute personne physique ou morale en vue de financer les opérations suivantes :
1° Pour les immeubles à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation :
a) Leur acquisition en propriété ou la souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à leur attribution en propriété, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d'amélioration ou d'entretien de l'immeuble ainsi acquis ;
b) Leur acquisition en jouissance ou la souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à leur attribution en jouissance, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d'amélioration ou d'entretien de l'immeuble ainsi acquis ;
c) Les dépenses relatives à leur réparation, leur amélioration ou leur entretien lorsque le montant du crédit est supérieur à 75 000 € ;
d) Les dépenses relatives à leur construction ;
2° L'achat de terrains destinés à la construction des immeubles mentionnés au 1° ci-dessus ».
Cette ambiguïté tenait essentiellement au fait de savoir si l’opération de crédit immobilier en faveur d’un particulier entrait ou non dans le champ d’application du code de la consommation.
La Cour de cassation a statué en faveur du consommateur en décidant que les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels et que par conséquent, l'action en recouvrement qui en naît est soumise au délai biennal de prescription de l'article L. 137-2 du Code de la consommation.
Cette solution a bien évidemment des conséquences sur l’action en recouvrement exercée par l’établissement bancaire.
II/ Conséquences sur l’action en recouvrement
La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a pour objet de raccourcir le délai de prescription des actions en recouvrement pouvant être engagées par des organismes professionnels.
Le Code de la consommation dispose à présent que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans (L 137-2 Code de la consommation).
Ces dispositions protectrices du consommateur sont d’ordre public, ce qui signifie que le juge doit relever d’office, sans attendre une demande en ce sens des parties, la prescription du délai biennal.
De plus, en vertu de cette disposition, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d'un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni rien ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de celle-ci (art. L. 137-1 Code de la consommation).
À l’origine, le délai de prescription biennale était essentiellement applicable en matière de vente entre marchand et consommateurs (art. 2247 Code civil).
Elle n’était pas d’ordre public et ne s’appliquait pas expressément à la fourniture de services financiers.
Désormais, ce délai est applicable en matière de fourniture de service entre professionnels et consommateurs et constitue un moyen devant être soulevé d’office par le juge (L 141-4 du Code de la consommation).
Cette décision de la Cour de cassation étend donc la protection reconnue aux consommateurs par le code de la consommation et doit conduire les prêteurs de deniers à gérer les contentieux nés de la défaillance de leurs clients dans un délai raccourci de dix à deux ans (Cass. 1re civ., 28 nov. 2012).
III/ Entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et conséquences sur les instances en cours.
Les dispositions législatives qui réduisent la durée de prescriptions s’appliquent à compter du 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (art. 26, II de la loi du 17 juin 2008).
Pour clarifier cette disposition, reprenons l’exemple du cas qui était donné à juger aux magistrats de la haute juridiction.
Dans cette affaire, l'emprunteur s’était vu opposé la déchéance du terme de son crédit le 10 février 2006.
La banque lui avait délivré un commandement de payer aux fins de saisie immobilière le 12 juillet 2010.
En vertu de l’ancien délai de prescription décennal, la banque disposait d’un délai de dix ans pour délivrer ce commandement de payer, soit jusqu’au 10 février 2016.
Entre temps, la loi du 17 juin 2008 est entrée en vigueur le 19 juin 2008 en instituant un nouveau délai de 2 ans.
La banque avait donc jusqu’au 19 juin 2010 pour faire délivrer le commandement de payer, ce qu’elle a fait qu’un mois après, agissant ainsi hors délai.
Le délai de prescription biennal pouvait donc être opposé par l’emprunteur.
Il en aurait été différent si le débiteur s’était engagé à payer ses dettes ou aurait effectué un paiement partiel avant l’entrée en vigueur de la loi.
Cette solution nouvelle sanctionne l’inaction prolongée de l’emprunteur dans sa démarche de recouvrement, elle est clairement protectrice de l’emprunteur-consommateur.
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Joan DRAY
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