Lorsque la notification d'une décision statuant sur l'admission d'une créance au passif est irrégulière en raison d'un défaut de mention du délai d'appel, le créancier peut-il faire indéfiniment appel ?
La jurisprudence s'est prononcée par l'affirmative, dans un arrêt du 11 avril 2013. La deuxième chambre civile affirme en effet que l'absence de mention dans une notification de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours (Cassation, 2ème civile, 11 avril 2013, N° 12-14.567).
En l'espèce, un appel contre l'une ordonnance d'un juge-commissaire, qui avait statué en faveur d'un rejet partiel d'une créance déclarée, a été formé plus de dix ans après l'ordonnance en question. La notification de l'ordonnance était irrégulière car elle n'indiquait pas le délai d'appel, ce qui a eu pour effet de ne jamais faire courir le délai d'appel. C'est ainsi que la juridiction de renvoi va devoir statuer sur un litige né il y a plus de dix ans, alors que le sort de l'entreprise sujet de la procédure collective est peut-être déjà scellé depuis longtemps.
Cette solution aborde la sanction d'une irrégularité dans la notification d'une décision de justice, appliquée en matière de procédure collective.
En droit commun, l'article 680 du Code de procédure civile impose de faire mention dans l'acte de notification du jugement de la voie de recours applicable, son délai et ses modalités.
Cet article dispose en effet que :
"L'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l'auteur d'un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d'une indemnité à l'autre partie".
L'article 693 du Code de procédure civile aborde la sanction en cas de non-respect des mentions obligatoires. Il dispose que :
"Ce qui est prescrit par les articles 654 à 659, 663 à 665-1, 672, 675, 678, 680, 683, 684, 686, 689 à 692 est observé à peine de nullité".
Il faut également noter l'article 694 du Code de procédure civile, qui aborde la nullité des notifications de jugement. Il renvoie alors au régime de nullité existant pour les actes de procédure, soit les articles 114 et 117 du CPC. L'article 114 du CPC aborde la sanction pour vice de forme d'un acte. Il dispose que :
"Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public".
Par conséquent, l'omission d'indication de la voie de recours dans la notification du jugement, ou une erreur concernant le délai ou les modalités pour l'exercer ne peut être sanctionnée que par la nullité de la notification (et non l'inexistence). En revanche, cette nullité est conditionnée par la preuve d'un grief apportée par le destinataire.
Cependant, la jurisprudence a jugé à plusieurs reprises que la notification irrégulière d'un jugement avait pour conséquence de ne pas faire courir le délai des voies de recours (Cour de Cassation, 2ème civile, 3 mai 2001, N° 99-18.326).
Il semble que pour la jurisprudence, il existe une alternative entre la nullité pour vice de forme et l'absence de délai pour faire appel.
En matière de procédures collectives, la chambre commerciale a consacré les deux analyses de la deuxième chambre civile. Elle a tantôt jugé qu'une telle irrégularité de la notification encourait la nullité pour vice de forme à la condition de démontrer l'existence d'un grief (Chambre commerciale, 17 décembre 2003, N°01-02.155), tantôt elle a consacré la solution selon laquelle la notification irrégulière ne faisait pas courir le délai d'appel, et ce abstraction faite de tout grief (Chambre commerciale, 29 mai 2001, N°98-17.469).
La seconde solution est reprise par l'arrêt du 11 avril 2013 rendu par la deuxième chambre civile. Si elle concerne spécifiquement l'omission du délai pour faire appel, cette solution vaut pour toute irrégularité de la notification, c'est-à-dire pour une absence totale d'indication de la voie de recours possible à la décision notifiée (appel, pourvoi en cassation, recours extraordinaire) ou pour une absence ou une erreur quant aux délais et modalités d'exercice de la voie de recours.
On peut souligner l'harmonie jurisprudentielle que ces solutions illustrent, mais en pratique, cela engendre des conséquences considérablement néfastes.
En effet, en matière de procédures collectives, remettre en cause une décision d'admission ou de rejet d'une créance au passif plus de dix ans après ladite décision est un danger car cela pourrait remettre en question toute la procédure qui a pu suivre l'état des créances, notamment l'adoption d'un plan de continuation. En effet, il semble que le créancier victime d'un vice de procédure puisse remettre en cause tout le succès que peut potentiellement avoir connu un plan de redressement. Si les mentions de la voie de recours, du délai et des modalités sont effectivement essentielles, permettant d'assurer le droit au procès équitable, il n'en reste pas moins que les conséquences pratiques d'une telle décision peuvent être extrêmement dangereuses.
De plus, les mentions obligatoires devant figurer à la notification de l'acte ont vocation à protéger le destinataire. Or, en l'espèce, la cour d'appel semblait relever la mauvaise foi du créancier appelant. Elle avait déclaré irrecevable l'appel aux motifs que l'irrégularité de la notification, en ce qu'elle ne prévoyait pas le délai utile du recours, n'a pas été la cause de la tardiveté de l'appel, d'autant que la caisse (créancier) est une partie institutionnelle au fait des procédures et délais applicables, qu'il est peu probable en effet que celle-ci ait attendu dix années si sa volonté avait été d'interjeter appel de la décision déférée.
La Cour de cassation n'a pas choisi de suivre l'argumentation de la Cour d'Appel. Elle choisit de faire primer le formalisme protecteur sur toute autre considération pratique.
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Joan DRAY
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