Il existe de nombreux cas où la désignation d’un administrateur provisoire peut se révéler utile et parfois même indispensable pour éviter la déconfiture d’une société.
Cette mesure doit rester exceptionnelle car il s’agit d’une mesure grave pouvant entrainer le dessaisissement des organes de direction.
L’administrateur provisoire est un mandataire de justice qui est chargée en cas de graves crises sociales résultant d'un dysfonctionnement des organes de gestion ou d'un conflit entre associés mettant en péril les intérêts de la société, d'assurer momentanément la gestion de la société au lieu et place des dirigeants.
La jurisprudence exige la réunion de deux conditions cumulatives : l’atteinte au fonctionnement normal de la société et l’existence d’un péril imminent.
Cet article est l’occasion de rappeler les conditions, la procédure et la mission de l’administrateur provisoire.
Quelles sont les conditions à remplir pour la désignation d’un administrateur provisoire ?
La Cour de cassation a eu l’occasion de rappelé à plusieurs reprise que la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire était une mesure exceptionnelle subordonnée à la réalisation de plusieurs conditions.
Ainsi, dans un arrêt du 6 février 2007, la chambre commerciale rappelle qu'un tel état de crise « suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent »
- L’existence d’un péril imminent :
La Cour de cassation a rendu un arrêt le qui rappelle l’une de ses conditions puisqu’elle précise «La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire de la société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent ». (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.838, F-D, Scetbun c/ Bectarte : Juris-Data n° 2010-006636)
- L’atteinte au fonctionnement normal de la société :
Le requérant devra démontrer que le fonctionnement de la société est perturbé dans des conditions susceptibles de mettre en péril les intérêts sociaux.
Il en sera par exemple ainsi en cas :
- absence de toute information par le défaut de compte rendu de gestion annuel et d'approbation des comptes sociaux,
- en cas de gérance vacante suite à la démission du dirigeant…
- absence durable de quorum ou de majorité, deux blocs égalitaires d'associés se trouvant en conflit et paralysant tous les processus de décision. Dans ce cas, il faut que le blocage soit caractérisé et durable et non purement occasionnel.
- incertitude ou impossibilité momentanée de déterminer une majorité
Quelles sont les modalités pour demander la désignation d’un administrateur provisoire ?
- La procédure de nomination d’un administrateur provisoire :
Tout d’abord, la nomination d'un administrateur provisoire peut a priori être demandée dans une instance au fond, devant un tribunal de grande instance ou un tribunal de commerce.
Toutefois, le plus souvent la demande est portée à titre principal et elle l'est alors selon une procédure rapide, devant un juge du provisoire, par la voie du référé ou de la procédure sur requête.
Les conditions de nomination d'un administrateur provisoire correspondent assez largement à celles qui fondent la compétence du juge des référés : urgence, prévention d'un dommage imminent, trouble manifestement illicite (NCPC, art. 808, 809, 872 et 873).
La nomination d'un administrateur provisoire peut aussi demandée par la voie d'une procédure sur requête.
La requête doit alors être portée devant le président du tribunal de grande instance (NCPC, art. 812) ou du tribunal de commerce (CPC, art. 874 et 875).
La procédure sur requête suppose que les circonstances exigent que des mesures urgentes ne soient pas prises contradictoirement.
En effet, l’ordonnance du requête ne peut être prononcée que “dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse” (CPC, art. 493).
La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprise que la dérogation au principe du contradictoire doit être spécialement justifiée par le juge.
Une telle dérogation sera par exemple justifier en cas :
- d'impossibilité d'assigner la société ou de la mettre en cause,
- d’absence de tout représentant ou dirigeant social légal ou statutaire
Il convient de rappeler qu’une voie de recours est offerte contre l'ordonnance sur requête, qui peut faire l'objet d'une demande de rétractation présentée au même juge qui l'a ordonnée mais, cette fois, selon la procédure de référé, qui sera nécessairement contradictoire (Cass. 2e civ., 6 avr. 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 85)
- Les personnes ayant intérêt à agir :
L'action n'étant pas légalement réservée à des personnes déterminées, on doit considérer a priori que toute personne invoquant un intérêt légitime peut demander la nomination d'un administrateur provisoire.
Toutefois, le demandeur devra avoir un intérêt personnel et légitime à agir.
Ainsi, la demande peut émaner de la société elle-même en étant présentée par ses représentants légaux
De même, un associé ou un adhérent d'un groupement a nécessairement un intérêt à agir lorsque les conditions de fond de la nomination d'un administrateur provisoire sont invoquées.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l'intérêt de l'adhérent ou de l'associé à demander la nomination d'un administrateur provisoire “doit être apprécié au jour de l'introduction de la demande et ne peut dépendre de circonstances postérieures que le rendraient sans objet” (Cass. 2e civ., 9 nov. 2006 : Juris-Data n° 2006-035767)
Le créancier est recevable à agir s’il est en mesure d'établir à la fois la légitimité de son intérêt personnel à agir et la réunion des conditions requises pour la nomination d'un administrateur provisoire (a contrario : Cass. com., 14 févr. 1989 : Bull. civ. 1989, IV, n° 66).
Ainsi, la Cour d'appel de Paris a ainsi pu admettre la recevabilité de la demande présentée par une banque créancière d'une société en commandite, en relevant que “la désignation d'un administrateur provisoire à l'initiative d'un créancier de la société en commandite est possible lorsque le non-remboursement du crédit relais par le dirigeant social entraîne des obligations à la charge de cette société susceptibles d'être aggravées et de mettre ses intérêts en péril sans le contrôle des agissements de son dirigeant et ce, au-delà du seul intérêt personnel du créancier à préserver ses droits” (CA Paris, 28 mai 1993 : Juris-Data n° 1993-600508).
Quelle est l’étendue de la mission de l’administrateur provisoire ?
L’étendue de la mission de l’administrateur provisoire est déterminée par le juge et peut être variable.
Cette mission a normalement une portée de principe très générale, portant sur l'un ensemble des fonctions d'administration courante, et elle emporte dessaisissement des organes sociaux.
Beaucoup de décisions se limitent à une définition très générale de sa mission en ne précisant parfois que sa durée et son objet.
Ainsi, la cour de cassation a-t-elle notamment jugé que l’administrateur dispose des "pouvoirs les plus étendus pour gérer la société et son établissement commercial" (Cass. com., 5 nov. 1971 : Bull. civ. 1971, IV, n° 261)).
De même, la Cour de cassation a eu plusieurs fois l'occasion de rappeler la nature essentiellement conservatoire de l'administration provisoire, pour limiter les pouvoirs de l'administrateur provisoire aux seuls actes d'administration courante.
Il doit préserver la conservation de l'entreprise, en assurant sa marche habituelle et en accomplissant les actes courants et banaux de gestion et seulement ceux-là.
Sauf décision précise du juge, l'administrateur provisoire doit normalement s'abstenir de tout acte qui engagerait l'avenir de façon irréversible ou supposerait un choix politique qu'il ne lui appartiendrait pas de prendre.
C'est ainsi que par un arrêt rendu le 27 octobre 1969, la chambre commerciale de la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que “le pouvoir discrétionnaire conféré au conseil d'administration par les statuts d'agréer ou de refuser un acquéreur de parts sociales étranger à la société sort du cadre de la mission confiée à un administrateur provisoire” seulement chargé de gérer la société et qui “n'a pas à prendre les responsabilités qu'implique la mise en œuvre (d'une clause d'agrément)” (Cass. com., 27 oct. 1969 : Bull. civ. 1969, IV, n° 314)
Il ne pourrait pas non plus prendre des actes graves de disposition, comme des réalisations d'actifs non spécialement autorisés, même si ces actes lui paraissaient indispensables à la survie de l'entreprise en difficultés financières. Il lui faudrait préalablement solliciter une autorisation spéciale.
Cependant, l'administrateur provisoire doit s'acquitter des obligations légales ou contractuelles courantes d'un chef d'entreprise.
A cet égard, il a été jugé que l’administrateur provisoire qui omettrait de procédure aux déclarations sociales annuelles auprès de l’URASFF commettrait une faute. (Cass. 2e civ., 21 juin 2005 : pourvoi n° 04-30150, aff. URSSAF du Hainaut : Juris-Data n° 2005-029259)
De même, il doit accomplir les obligations légales de l'organe de gestion dessaisi dès lors que les conditions en sont remplies et que l'urgence le commande.
L'administration générale confiée à l'administrateur provisoire recouvre enfin la conclusion des actes juridiques courants nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entreprise et à la réalisation de son objet social, comme une commande de matières premières indispensables à la bonne marche de l'entreprise (Cass. com., 26 janv. 1981 : Rev. sociétés 1981, p. 606, note Sibon).
Enfin, le juge peut ajouter à la mission générale de l’administration des missions plus précises.
Par ailleurs, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a récemment rappeler le principe du dessaisissement de l'organe de représentation de la société, qui est l'effet automatique de toute nomination d'un administrateur provisoire chargé d'une mission générale d'administration et de gestion d'une société .(3e civ., 25 oct. 2006 : Juris-Data n° 2006-035539).
En conclusion, l'administrateur provisoire ne doit pas être confondu avec le mandataire ad hoc.
Ces deux mandataires de justice se distinguent, en principe, par la nature et l'étendue de leurs missions respectives.
En effet, contrairement à l’administrateur provisoire, le mandataire ad hoc est chargé d'une mission très ponctuelle, sans dessaisissement d’un ou plusieurs organes sociaux. .
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Joan DRAY
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