La déspécialisation totale d'un bail commercial

Publié le Modifié le 15/07/2015 Vu 6 515 fois 0
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Un jugement de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a été rendu le 21 janvier 2014 sur l'autorisation de la déspécialisation totale. En l'espèce, il s'agissait d'une locataire d'un bail commercial qui avait comme activité principale la location de vidéo DVD ainsi que toutes autres activités connexes ou complémentaires sous forme de distribution automatique. Elle a formé une demande de renouvellement avec changement d'activité d'alimentation générale. La bailleresse a notifié son acceptation de principe de renouvellement mais s'est opposé à la déspécialisation totale.

Un jugement de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a été rendu le 21 janvier 2014 sur l'autorisation de la dé

La déspécialisation totale d'un bail commercial

Un jugement de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a été rendu le 21 janvier 2014 sur l'autorisation de la déspécialisation totale.

En l'espèce, il s'agissait d'une locataire d'un bail commercial qui avait comme activité principale la location de vidéo DVD ainsi que toutes autres activités connexes ou complémentaires sous forme de distribution automatique.

Elle a formé une demande de renouvellement avec changement d'activité d'alimentation générale.

La bailleresse a notifié son acceptation de principe de renouvellement mais s'est opposé à la déspécialisation totale.

La Cour d'Appel a jugé que la déspécialisation totale devrait être autorisée au regard des critères économiques et commerciaux et elle s'est référée à la compatibilité avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble.

En effet selon la Cour d'Appel, la locataire a démontré l'importance baisse au plan général et personnel de l'activité de location de vidéo DVD au vu de son chiffre d'affaires en continuelle baisse et des pertes qui n'ont cessé d'augmenter depuis 2004 jusqu'en 2010 alors que le commerce de proximité d'alimentation générale présente un caractère compatible et concurrentiel avec les exigences afférentes à l'immeuble.

Elle a estimé que la reprise des lieux par la bailleresse, après acquisition des effets de la clause résolutoire du bail prive cependant d'objet la demande d'autorisation et ne laisse subsister que la demande d'indemnisation.

Toutefois la locataire a été débouté de ses demandes d'indemnisation, car ces demandes sont devenues caduques, en raison d'une part pour la première promesse de cession de la défaillance de la condition suspensive d'obtention du pret d'acquisition par le cessionnaire et d'autre part pour la deuxième promesse de la non-réalisation de la condition suspensive de l'accord du propriétaire sur cette déspécialisation totale.

La déspécialisation totale permet de modifier fondamentalement l'activité exercée dans le local loué par un bail commercial.

Cette forme de déspécialisation pourra être réalisée, notamment, à l'occasion d'une transformation.

                           I. L'autorisation de la déspécialisation totale

Pour la déspécialisation plénière, l'article L145-48 du Code de commerce exige une demande d'autorisation de la part du preneur et non simplement une procédure d'information.

Eu égard l'article L. 145-48, 1er alinéa du Code de commerce, "le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier."

La demande du preneur peut tendre à l'exercice dans les lieux "d'une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail".

Aucune restriction ne limite la demande du preneur.

L'article L. 145-49, 1er alinéa dispose que la demande faite au bailleur doit comporter l'indication des activités dont l'exercice est envisagé.

Elle est formée par un acte extrajudiciaire et dénoncée en la même forme aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce.

Ces derniers pourront demander que le changement d'activité soit subordonné aux conditions de nature à sauvegarder leurs intérêts.

A défaut, cette demande sera nulle.

Par ailleurs, le refus du bailleur doit être signifié par acte extrajudiciaire (Cass. 3e civ., 11 juin 2008).

          Nécessité d'une demande d'autorisation préalable

Les conditions de forme sont :

– la demande doit être notifiée par acte extrajudiciaire ;

– elle doit comporter l'indication des activités revendiquées.

L'inobservation de cette dernière exigence est sanctionnée par la nullité (TGI Seine, 22e ch., 21 mai 1966).

        La notification aux créanciers inscrits

La demande doit également être dénoncée par un acte extrajudiciaire aux créanciers inscrits sur le fonds.

Le défaut de notification est susceptible d'être sanctionné de deux manières:

- soit une simple inopposabilité aux créanciers inscrits, par analogie au régime des résiliations amiables.

- soit une nullité de la demande, absolue et non relative, susceptible d'être invoquée par le bailleur lui-même.

          L'attitude du bailleur:

Selon l'article L. 145-49, 3e alinéa du Code de commerce, à défaut le bailleur doit avoir notifié dans les trois mois de la demande son refus, son acceptation ou encore les conditions auxquelles il subordonne son accord ainsi il sera réputé avoir acquiescé à la demande.

Cet acquiescement ne fait pas obstacle à l'exercice des droits prévus à l'article L. 145-50 du Code de commerce.

Le délai accordé au bailleur pour fixer son attitude est de trois mois.

Il est considéré que par son silence le bailleur est simplement réputé avoir accepté le principe du droit à déspécialisation plénière et son acquiescement sur le principe ne fait pas obstacle à l'exercice des droits prévus à l'article L. 145-50 du Code de commerce et notamment du droit de demander une indemnité.

La loi ne déroge à la règle que dans le seul cas du silence, auquel la loi attache les effets d'une acceptation implicite du principe de la demande.

En dehors de ce cas précis et sauf acceptation expresse, le propriétaire reste donc recevable à poursuivre en tout état de cause le paiement tant d'une indemnité que d'une majoration de loyer alors surtout que ces deux domaines, loin d'être inconciliables, sont parfaitement complémentaires.

                               II. Les éléments de la validation de la déspécialisation totale

        Eléments intrinséques de la validation

L'article L. 145-52, 1er alinéa dispose que "Le tribunal de grande instance peut autoriser la transformation totale ou partielle malgré le refus du bailleur, si ce refus n'est point justifié par un motif grave et légitime."

    Ces éléments sont les suivants:

- nécessité de la conjoncture économique et de l'organisation de la distribution (article L. 145-48 du Code de commerce).

La Cour de cassation a précisé cette notion dans un arrêt du 24 janvier 2001 (Cass. 3e civ., 24 janv. 2001) en estimant que le preneur devait prouver la nécessité de sa reconversion et l'inadaptation de son exploitation.

Pour la nécessité économique, il faut que la conjoncture économique est défavorable au commerce exercé.

Les preneurs établissent que le commerce est très peu rentable, le résultat d'exploitation est en diminution constante, par exemple (CA Orléans, ch. com. éco. et fin., 10 juin 2010).

Le locataire doit établir que l'activité initialement exploitée n'est plus rentable, mais également que la ou les nouvelles activités sont pertinentes compte tenu des nécessités de l'organisation de la distribution dans le quartier (CA Grenoble, ch. com., 22 janv. 2015).

En ce qui concerne l'organisation rationnelle de la distribution, il faut que soit substituer au lieu et place d'un commerce inadapté sans débouchés et qui périclite, une activité nouvelle qui correspond aux besoins de la clientèle appréciés compte tenu de la densité d'implantation de la branche revendiquée dans le secteur considéré.

Cette satisfaction des besoins de la clientèle est retenue dans différentes hypothèses :

     _ absence ou éloignement excessif d'une exploitation similaire ;

     _ augmentation de la qualité des prestations accessoires ;

     _ enfin, même dans l'hypothèse de préexistence d'une activité similaire.

- la compatibilité avec la destination de l'immeuble (article L. 145-48 du Code de commerce).

Les activités revendiquées doivent être compatibles avec la destination de l'immeuble et avec ses caractères, notion qui se confond dans une très large mesure avec la destination de l'immeuble (Cass. 3e civ., 4 mars 1992).

Le propriétaire peut s'opposer à l'implantation de commerces susceptibles pour diverses raisons de modifier le caractère d'un immeuble même de catégorie moyennen notamment le débit de boissons.

La compatibilité avec la destination de l'immeuble peut aussi être appréciée en fonction des nuisances prévisibles.

L'article L. 145-48 vise également des activités compatibles avec l'ensemble immobilier.

                      Motifs graves et légitimes

Le bailleur peut s'opposer à la demande en invoquant des motifs graves et légitimes.

Il ne suffit pas pour le bailleur d'établir que la transformation projetée lui cause un préjudice, car dans ce cas il a droit à l'indemnité réparatrice prévue à l'article L. 145-50 du Code de commerce.

Il doit établir l'existence d'un préjudice suffisamment appréciable pour que celui-ci puisse caractériser le motif grave et légitime visé par la loi.

                     Eléments personnels de la validation

L'article L. 145-48, alinéa 2 du Code de commerce a restreint le champ d'application de la déspécialisation plénière une restriction en excluant de son bénéfice le premier locataire d'un centre commercial.

Ceci lui interdit de former une demande de déspécialisation plénière pendant les neuf premières années de jouissance.

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Joan Dray

Avocat à la Cour

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