1/ Les conditions d’existence de l’obligation de mise en garde :
L’existence d’un risque anormal :
L’obligation de mise en garde n’existe qu’en présence d’un risque mais par n’importe quel risque : un risque anormal.
C’est ce qu’a réaffirmé la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 novembre 2009 dans lequel elle a jugé qu’il n’existait une obligation de mise en garde que s’il y a « un risque d’endettement excessif ».
Pour apprécier l’existence de ce risque d’endettement excessif, il convient de prendre en compte les revenus et l’ensemble du patrimoine de l’emprunteur et les comparer à l’ensemble de ces charges financières.
Ainsi, il a peu être jugé « qu’il appartient à l’organisme de crédit de vérifier les capacités financière de remboursement des emprunteurs » (Cass 1ère civ 25 avril 2007 n°06-12.379, 06-11.804 : dans les deux espèces était invoquée l’insanité d’esprit de l’emprunteuse) .
De même, la Cour de cassation considère qu’il faut prendre en compte les revenus tirés de l’opération financée dans le cadre d’une entreprise à la condition que les chiffres soient fondés sur une recherche sérieuse.
Ainsi, avant d’octroyer un crédit, l’établissement de crédit doit recueillir tous ses renseignements pour évaluer le risque.
Un emprunteur non averti : Depuis deux arrêts rendus en chambre mixte le 29 juin 2007, la jurisprudence opère une distinction entre l’emprunteur non averti et l’emprunteur averti pour savoir si l’établissement de crédit avait ou non une obligation de mise en garde (Cass Ch mixte 29 juin 2007, n° 06-11.673 et 05-21.104 Bull civ chbre mixte n°8 et 7).
Ainsi, en principe l’obligation de mise en garde n’existe qu’à l’égard de l’emprunteur non averti.
Toutefois, cette obligation existera à l’égard de l’emprunteur averti dans l‘hypothèse où la banque avait sur la capacité financière de l’emprunteur averti ou sur le risque inhérent à l’opération envisagée des informations que ce dernier ignorait.
On retrouve ici l’hypothèse de la réticence dolosive.
Pour distinguer les deux, les juges prennent notamment en compte l’expérience et les connaissances de l’emprunteur afin de déterminer s’il était en mesure d’apprécier le risque de l’opération.
Il convient de noter que cette distinction ne correspondant pas nécessairement à la distinction professionnel/non professionnel.
Ainsi, un non professionnel peut être un emprunteur averti et un professionnel c'est-à-dire quelqu’un qui contracte pour les besoins de sa profession peut être non averti.
D’ailleurs, dans l’une des espèces, l’une des parties est un agriculteur, donc un professionnel, l’autre institutrice, est assimilable à un consommateur. Dans une autre affaire, un pharmacien est assimilé à un emprunteur non averti (Cass 1ère civ 6 déc 2007 n°06-15.258 JCP E 2008, IV n°1073).
La qualité d’emprunteur averti ou non averti ne peut se faire qu’en tenant compte des seules qualités de l’emprunteur sans qu’il soit possible de prendre en considération la possibilité d’être conseillé par un conjoint, un professionnel,….
La nature professionnelle du prêt ne permet donc pas de présumer que l’emprunteur est averti.
Néanmoins, la profession va être un élément qui va être pris en compte pour déterminer si l’emprunteur est averti. Certains arrêts se sont légitimement appuyés sur la profession de l’emprunteur pour estimer qu’il était un emprunteur averti.
Les qualités personnelles pourront aussi reposer sur ses capacités intellectuelles, sa formation, son âge, sa connaissance générale de la vie des affaires, la complexité de l’opération de crédit, ses difficultés à mesure les chances de remboursement ou non remboursement.
Dans tous les cas, il appartiendra au juge du fond, dans chaque affaire, de préciser en quoi l’emprunteur peut être qualifié d’averti ou non averti.
2/ Le régime de l’obligation de mise en garde :
La nature juridique du devoir de mise en garde :
Aux termes des deux arrêts de la chambre mixte du 29 juin 2007, la nature du devoir de mise en garde est contractuelle, l’article visé dans les deux cas étant l’article 1147 du Code civil.
Le fondement contractuel vient d’ailleurs d’être réaffirmé dans un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 11 décembre 2007 (Cass com 11 déc 2007 n°03-20.747) en visant à nouveau expressément l’article 1147 du Code civil : « Vu les articles 1147 (…) du Code civil »
La charge de la preuve de l’exécution de l’obligation de mise en garde.
En application des principes du droit de la preuve, la chambre mixte de la Cour de cassation précise que la charge de la preuve de l’exécution du devoir de mise en garde incombe au prêteur.
En effet, en vertu de l’art 1315 du Code civil c’est celui qui se prétend libérer d’une obligation de le prouver.
En conséquence, les l’établissement de crédit doivent donc prendre garde à se ménager la preuve de l’exécution de l’obligation de mise en garde même si elle peut être apportée par tous les moyens.
Techniquement, il devra être en mesure de prouver qu’il s’est renseigné sur la capacité financière de son client, qu’il l’a averti des risques de l’opération et que le crédit n’était pas excessif.
L’incidence de la bonne foi ou de la déloyauté sur le devoir de mise en garde :
La banque tenue d’un devoir de mise en garde n’est responsable de la non exécution de celui-ci qu’autant que l’emprunteur non averti ne s’est pas montré déloyal.
Ainsi, la Cour de cassation vient de juger que la déloyauté de l’emprunteur ne permet pas à l’emprunteur non averti d’imputer au prêteur un manquement à son devoir de mise en garde (Cass 1ère civ 30 octobre 2007 n°06-003 JCP E 2007 note Legeais D), dès lors que l’emprunteur dissimule au prêteur l’existence de prêts en cours de remboursement et que l’EC n’est pas en mesure de la déceler.
En l’espèce, la dissimulation de ces prêts faisait que l’établissement de crédit avait octroyé une ouverture de crédit compatible avec les informations qu’il possédait sur la situation financière de son client.
De la même façon, la déloyauté des emprunteurs est caractérisée lorsqu’ils communiquent sciemment à l’établissement de crédit des informations erronées sur leur patrimoine immobilier (Cass 1ère Civ 25 juin 2009 n°08-16.434 Bull civ I n°139).
Joan DRAY
Avocat à la Cour
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