Le dirigeant peut engager la société à l'égard des tiers sous réserve de respecter certaines conditions. Notamment, il doit avoir la qualité de représentant légal ou, à défaut, être titulaire d'une délégation de pouvoirs. Une fois la société engagée par son représentant légal, celui-ci n'est pas tenu des engagements pris au nom et pour le compte de la société (Cass. com. 3 avril 2007).
L’arrêt rendu par la Cour de Cassation en date du 29 septembre 2015 précise quant à lui que le dirigeant de fait ne peut se prévaloir du pouvoir de représentation légale de la société pour faire juger que les dépenses qu'il a engagées, à son seul profit, l'ont été au nom de la société. Il doit restituer les sommes qu'il a fait assumer à la société, dès lors qu'elles ne correspondaient pas à l'intérêt propre de celle-ci.
Un dirigeant qui voudrait faire assumer ses dépenses personnelles aux frais de la société se verrait ainsi opposé l’intérêt social de cette dernière…
L’intérêt de la société : épée de Damoclès sur le dirigeant
En l’espèce, une vérification fiscale de la comptabilité d'une SARL a révélé qu'elle avait réglé des dépenses personnelles de son directeur commercial qui avait exercé la gérance de fait de la société. Celle-ci ayant été mise en liquidation judiciaire le 31 mars 2003, le liquidateur a assigné le directeur commercial en restitution des sommes reçues.
Le directeur commercial avait, audacieusement en vain, fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande sur le fondement de la répétition de l'indu. Dans son pourvoi, il s'était fondé sur les règles attachées à la répétition de l'indu, cette dernière n’étant ouverte qu'à celui qui a payé par erreur et se trouvait exclue en cas d'intention libérale. Or le dirigeant de fait soutenait que la société avait, d’une part, délibérément réglé les factures émises à son nom personnel et, d’autre part, avait donc implicitement engagée une intention libérale au regard de ces sommes.
La Cour de Cassation rejette (logiquement) son pourvoi, consacrant l’appréciation souveraine des juges du fonds qui avaient retenu que la société n'avait pas délibérément payé les sommes litigieuses.
Elle justifie en premier lieu que le gérant de fait ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 223-18, alinéa 5, du code de commerce.
En second lieu, après avoir constaté que la plupart des factures avaient été établies au nom du directeur commercial pendant que celui-ci était le gérant de fait de la société, l'arrêt relève que leur prise en charge, non justifiée par les intérêts propres de l'entreprise, résulte de l'intervention du gérant de fait auprès des fournisseurs et a eu lieu sans qu'un autre que lui ne s'en aperçoive, puisque le paiement réclamé était justifié en comptabilité par une pièce comptable cohérente.
La Cour de Cassation retient donc que les paiements litigieux n'ont pas été faits délibérément par la société mais par son dirigeant de fait.
La Cour de Cassation rappelle donc que l’intérêt social de l’entreprise prime avant toute chose. En l’espèce, les dépenses engagées semblaient évidemment découler du contraire, les juges faisant fi des prétentions douteuses du dirigeant de fait.
Il convient néanmoins de préciser que dans l’hypothèse où les dépenses auraient été justifiées par l’intérêt de la société, la solution aurait pu être différente, déchargeant le directeur commercial d’une restitution des sommes au liquidateur.
Il faudra donc être attentif et identifier la finalité des dépenses engagées par les dirigeants de fait.
Le refus d'étendre aux dirigeants de fait les dispositions applicables aux dirigeants de droit
La décision n’est pas surprenante et confirme une certaine logique juridique. Elle tendrait donc à s’appliquer à toutes les sociétés dès lors qu'aucun des textes régissant les pouvoirs des représentants légaux ne vise les dirigeants de fait.
En droit commercial, le commerçant de fait non immatriculé au RCS ne peut prétendre aux avantages attachés à la qualité de commerçant et en subit de facto les inconvénients.
Cette règle trouve son corolaire en droit des sociétés puisque le même principe aboutit à interdire au dirigeant de fait de tirer bénéfice des règles attachées au statut de dirigeant de droit, lui faisant ainsi supporter les conséquences des actes qu'il a accomplis.
Ainsi, lorsque la lettre de la loi ne le prévoit pas, ce qui est le cas de l'article L 223-18, al. 5 du Code de commerce, qui dispose que, dans les rapports avec les tiers, le gérant d'une SARL est investi du pouvoir d'engager la société, la Cour de cassation refuse d’étendre aux dirigeants de fait les dispositions applicables aux dirigeants de droit.
Une constance jurisprudentielle
La Haute Juridiction avait déjà jugé que l'action en responsabilité exercée par les associés contre le gérant en réparation d'un préjudice subi par la SARL (C. com. art. L 223-22) ne pouvait pas être intentée contre un dirigeant de fait, censurant la décision d'une cour d'appel qui avait estimé qu'en l'absence de précision du texte les gérants de droit et de fait étaient concernés (Cass. com. 21 mars 1995).
Cette décision confirmait une position jurisprudentielle plus ancienne qui précisait que le dirigeant de fait ne bénéficiait pas du régime de responsabilité aménagé pour les dirigeant sociaux (Cass. com., 6 oct. 1981).
De même, les dirigeants de fait ne peuvent pas bénéficier de la prescription triennale applicable à l'action en responsabilité formée contre les administrateurs et le directeur général d'une société anonyme sur le fondement de l'article L 225-254 du Code de commerce (Cass. com. 30 mars 2010).
Par ailleurs, celui qui a qui exercé de manière continue une activité positive de direction, en toute liberté et indépendance, sans avoir été nommé pour ce faire, peut engager sa responsabilité fiscale, pénale aussi et se voir infliger les sanctions du droit des procédures collectives.
Il va ainsi des infractions résultant du travail dissimulé (Cass. crim., 17 juin 2014), mais également du délit de violation d'interdiction de gérer (Cass. crim., 25 juin 2013. – Cass. crim., 9 févr. 2011).
Le dirigeant de fait engage néanmoins la société auprès d’un tiers de bonne foi à certaines conditions
Le dirigeant de fait n’étant pas légalement habilité à représenter la société, il ne peut se prévaloir d'un quelconque pouvoir de représentation légale à l'égard des tiers.
Néanmoins, il ne faut pas en déduire que le dirigeant de fait ne puisse pas engager la société.
La théorie de l'apparence conduit à reconnaître la possibilité pour le contractant de réclamer l'exécution de l'engagement pris au nom de la société par celui qui présentait tous les attributs d'un dirigeant. Le tiers qui a pu croire que l'intéressé était dirigeant de droit pourra aussi demander à être indemnisé d'un fait fautif sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (CA Versailles, ch. 13, 3 avr. 2014).
Le tiers devra dans un premier temps prouver l’apparence via la fourniture de documents (lettres, mails, contrats) qui laisseront à penser que le dirigeant s’est accommodé du flou juridique autour de son rôle dans la société.
Le tiers de bonne foi qui voudra également être indemnisé devra réunir les trois conditions essentielles de l’article 1382 du Code civil qui sont un dommage qu’il aurait subi, un fait générateur imputable au fautif, ainsi qu’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.
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Joan DRAY
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