Même au sein de l'entreprise, le salarié bénéficie de droits et libertés que l'employeur ne peut pas remettre en cause sauf circonstances exceptionnelles.
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (L.1121-1 Code du travail).
L'un des droits dont bénéficie le salarié est celui du respect de sa vie privée. Ce droit constitutionnel a pour fondement les article 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Il est alors nécessaire de distinguer ce qui relève de la vie professionnelle du salarié de ce qui relève de sa vie privée. En effet, l'employeur n'aura pas les mêmes prérogatives en fonction de la qualification retenue. Il ne pourra pas se fonder sur des éléments relevant de la vie privée d'un salarié pour le sanctionner. Son pouvoir disciplinaire est encadré.
L'utilisation par un salarié des outils informatiques mis à sa disposition par l'employeur pose le problème de la frontière entre vie professionnelle et vie privée.
- Le régime applicable
Par principe, l'ordinateur mis à la disposition du salarié par l'employeur est présumé servir à l'exécution du contrat de travail. Tout document créé ou échangé à l'aide de cet outil est considéré comme professionnel et appartient à l'employeur.
Cependant, le salarié peut identifier les fichiers, documents ou messages comme étant personnels. Dans ce cas, l'employeur ne peut pas les ouvrir sans sa présence.
La chambre sociale de la cour de cassation l'a rappelé à plusieurs reprises et notamment dans un arrêt du 18 octobre 2006 : « Mais attendu que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence ».
Néanmoins, dans certaines circonstances, l'employeur pourra consulter les fichiers. La chambre sociale qualifie ces circonstances de « risque ou événement particulier » (Sociale 17 mai 2005 n°03-40.017).
Les messages échangés par un salarié bénéficient d'une protection supplémentaire car le secret des correspondances leurs est applicable.
C'est ce qu'a prévu la chambre sociale dans l'arrêt Nikon du 2 octobre 2001 (n°99-42.942) « l'employeur ne peut, sans violation du secret des correspondances, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ».
Le non respect du secret des correspondances constitue un délit prévu à l'article L.226-15 Code Pénal.
Contrairement aux fichiers, lorsque le message a un caractère personnel, l'employeur ne peut pas y avoir accès même si le salarié a donné son accord et s'il y a un « risque ou événement particulier ».
Si l'employeur souhaite y avoir accès, il peut bénéficier de l'article 145 du Code de procédure civile « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Il pourra accéder aux messages personnels du salarié dans le cadre d'une instruction pénale ou par une décision de justice. Un huissier pourra alors être désigné.
De plus, la cour de cassation a admis qu'un règlement intérieur prévoit des règles plus strictes à l'égard de l'employeur. Elle a notamment considéré qu'une disposition prévoyant la présence du salarié pour l'ouverture de tout message, même ceux identifiés comme personnels, était valable (sociale 26 juin 2012 n°11-15.310).
L'employeur ne peut pas s'appuyer sur des documents, fichiers ou messages personnels pour sanctionner un salarié.
- L'appréciation du caractère personnel
Dans un premier temps, la chambre sociale a précisé que, pour bénéficier de la protection, le fichier devait avoir « été identifiés comme personnels par le salarié » (Sociale 30 mai 2007 n°05-43.102).
Elle a également admis la dénomination « privée » ou « confidentielle » pour caractériser le caractère personnel du fichier.
Par contre, la chambre sociale a refusé d'admettre les initiales du prénom du salarié (« JM » - Sociale 21 octobre 2009 n°07-43.877) ou son prénom (« Alain » - sociale 8 décembre 2009).
La chambre sociale a récemment précisé qu'un fichier nommé « Mes documents » ne peut pas être considéré comme personnel. L'employeur peut donc y avoir accès sans la présence du salarié (Sociale 10 mai 2012).
La cour de cassation a une interprétation différente lorsqu'il s'agit de messages électroniques.
Un employeur ne peut pas licencier un salarié en se fondant sur un message ouvert qui s'avère relever de sa vie privée, lorsque le salarié s'est contenté de le conserver dans sa boîte de messagerie (sociale 5 juillet 2011 n°10-17.284).
Néanmoins, la cour de cassation a refusé de l'appliquer et a rejeté le caractère privé de mails échangés entre salariés du fait de leur contenu. En effet, elle a considéré que le contenu agressif et irrespectueux à l'égard d'un supérieur hiérarchique était en rapport avec l'activité professionnelle. De plus, le message était intitulé « pour info » et avait été envoyé à un autre salarié (sociale 2 février 2011 n°09-72.449).
Joan DRAY
Avocat à la Cour
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