Lorsque le locataire d’un bail commercial connait des difficultés financières avec son fonds de commerce, il se peut qu’il soit amené à cesser le paiement des loyers.
Dans cette situation, le bailleur voudra faire prononcer la résiliation judiciaire du bail pour récupérer son local.
Ce qui aura pour conséquence logique de fortement déprécier le fonds de commerce du preneur, le conduisant potentiellement vers la liquidation judiciaire.
Quels sont alors les droits des créanciers du bailleur, pour lesquels le fonds de commerce constitue un gage ?
Le Code de Commerce dispose que « le bailleur qui poursuit la résiliation du bail de locaux dans lesquels est exploité un fonds de commerce grevé d’inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits » (C. com. art. L 143-2).
Cette notification préalable aux créanciers a pour but de leur faire savoir qu'ils disposent d'un délai d'un mois pour se substituer au débiteur afin de sauvegarder leur gage. (Cass. 3e civ. 4-3-1998)
En effet ,les créanciers pourront préférer accomplir les obligations inexécutées par le débiteur et justifiant la résiliation du bail (comme le paiement des loyers) pour ainsi l’empêcher, plutôt que de risquer une mise en liquidation du fonds.
C’est pourquoi le propriétaire qui, méconnaissant ainsi ses obligations, s’abstient de procéder à cette notification commet une faute civile de nature à engager sa responsabilité dans les conditions prévues par les articles 1382 et 1383 du Code civil s’il en résulte un préjudice pour le créancier inscrit.
Cette situation est illustrée par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 juillet 2006. (Cass. com. 11 juillet 2006 n° 917 F-PB, Sté le Crédit Touristique (C2T) c/ Sté Sopadev)
Un prêt avait été consenti par une banque pour le financement de l'achat d'un fonds de commerce d'hôtel-restaurant.
Ce prêt était garanti par un nantissement inscrit au greffe du tribunal dans le ressort duquel se trouvait ce fonds.
L’exploitant du fonds, connaissant des difficultés, a cessé de payer ses loyers.
La banque avait poursuivi en dommages-intérêts le propriétaire des locaux dans lesquels le fonds de commerce était exploité en invoquant la faute qu'il avait commise pour s'être abstenu de lui notifier la demande tendant à faire constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers par l'exploitant, mis ensuite en liquidation judiciaire.
Le propriétaire des locaux dans lesquels le fonds de commerce était exploité demanda la constatation de la résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers par l’exploitant, qui fut mis en liquidation judiciaire.
Or après une cessation d’activité d’une année consécutive à la résiliation du bail, l’hôtel avait été immédiatement rouvert et exploité par le propriétaire lui-même, dégageant des résultats positifs.
La banque avait ensuite poursuivi en dommages-intérêts le bailleur en invoquant la faute qu’il avait commise pour s’être abstenu de lui notifier la demande en constatation de la résiliation du bail.
La Cour d’appel, pour rejeter la demande de la banque, avait retenu que, compte tenu de l'importance de la créance de loyers, il n'était pas patent que cette dernière aurait eu, à l'époque de la résiliation du bail, un intérêt à régler la dette de loyers pour maintenir l'activité saisonnière de son débiteur
Mais la Cour de cassation, après avoir énoncé que « les créanciers, non tenus d'exploiter directement (ce qui implique qu’ils peuvent faire procéder à celle-ci par un tiers), ont la possibilité de faire exécuter les obligations nées du bail », a censuré la décision de la cour d'appel qui n’avait pas recherché, comme elle y était invitée par la banque, si les résultats positifs dégagés par l'exploitation du bail ne démontraient pas que celui-ci avait conservé son existence et sa valeur en dépit de son absence d'exploitation dans l'intervalle.
Lorsqu’il existe, ce préjudice s’analyse dans la perte d’une chance pour le créancier de recouvrer sa créance, préjudice dont la Cour de cassation a fixé le mode d’évaluation par l’arrêt Cass. com. 13-11-2003.
Joan DRAY
Avocat à la Cour
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