Par un arrêt du 15 janvier 2015, la Cour de cassation rappelle que l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits.
L'action paulienne est une voie de droit qui permet à un créancier d'attaquer un acte fait par son débiteur lorsque ce dernier a agi en fraude de ses droits.
Aux termes de l'article 1167 du Code civil : "[Les créanciers] peuvent , en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits".
L'action paulienne est une action fondamentale pour un créancier souhaitant préserver son droit de gage général.
I - Le domaine de l'action paulienne
En principe, tous les actes juridiques effectués par le débiteur peuvent être attaqués par son créancier.
Il peut s'agir de contrats à titre onéreux ou gratuit, ou d'actes juridiques unilatéraux, telle que la renonciation à une succession (Cass. 3e civ., 4 févr. 1971, no 69-11.046).
L'acte attaqué peut être une opération très complexe, mais il peut également s'agir d'un contrat très simple, à l'image d'une vente d'un bien à un prix inférieur à sa valeur vénale (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, no 91-11.871).
Toutefois, certains actes sont exclus du champs de l'action paulienne.
L'article 1167, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi à propos du partage, que les tiers "doivent néanmoins, quant à leurs droits énoncés au titre "Des successions" et au titre "Du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux", se conformer aux règles qui y sont prescrites".
Le partage échappe donc par principe au domaine de l'action paulienne, l'action des créanciers d'un copartageant est prévue à l'article 882 du Code civil.
De même, les droits extra-patrimoniaux sont exclus du domaine de l'action paulienne.
Ainsi, l'action paulienne contre un mariage, un divorce ou la reconnaissance d'un enfant naturel est écartée dans la mesure où les effets de ces actes intéressent la famille, la personne et des intérêts qui par définition ne présentent aucun caractère patrimonial et sont peut-être même, à certains égards, estimés plus importants que les affaires du créancier.
Le paiement de dettes échues échappe également en principe à l'action paulienne, l'action redevenant possible lorsque le paiement concerne une dette non échue, ou lorsque le débiteur s'acquitte de sa dette par des moyens inhabituels et que ce paiement s'avère frauduleux, par exemple une dation en paiement (Cass. com., 1er juin 1960, no 58-10.749).
Enfin, bien qu'il s'agisse d'actes juridiques et qu'ils puissent être obtenus en fraude des droits des tiers, les jugements sont exclus du domaine de l'action paulienne, ceux-ci ne peuvent être attaqués que par le biais de la tierce opposition.
II – Les conditions de l'action paulienne
- La créance du demandeur :
Une personne ne peut attaquer un acte pour fraude à ses droits que si elle a la qualité de créancier, ce droit s'éteint donc faute de déclaration à la procédure de liquidation judiciaire du débiteur (Cass. com., 2 févr. 1999, no 96-18.450).
Cette seule qualité suffit, de sorte que tout créancier, même chirographaire, est en droit de se prévaloir de l'article 1167 du Code civil, l'action n'est pas subordonnée à la constitution antérieure d'une sûreté (Cass. 1re civ., 4 janv. 1995, no 97-17.908).
Cependant, seuls les créanciers disposant d'un droit né antérieurement à l'acte frauduleux reproché peuvent exercer l'action paulienne.
Les créanciers postérieurs ne peuvent donc se plaindre d'un acte frauduleux commis avant que leur patrimoine ne soit entré en relation avec celui du débiteur (Cass. com., 25 mars 1991, no 89-12.267).
Le jeu de l'action sera toutefois admis lorsque le débiteur organise son insolvabilité en prévision d'une créance future, par exemple, une personne donne presque tous ses biens à ses enfants avant d'emprunter (Cass. 1re civ., 15 févr. 1967, no 65-11.785).
Il n'est en revanche pas nécessaire que la créance soit exigible, la fraude paulienne résultant de la seule connaissance que le débiteur a du préjudice causé à son créancier (Cass. 1re civ., 25 févr. 1981, no 80-10.605).
Il n'est pas non plus exigé que la créance soit liquide, ni certaine à la date d'accomplissement de l'acte litigieux ; il suffit juste que son principe le soit (Cass. 1re civ., 17 janv. 1984, no 82-15.146).
- Le préjudice du créancier :
L'action paulienne n'est ouverte que si le créancier a subi un préjudice du fait de la fraude commise par le débiteur, ce qui implique que le débiteur a accompli un acte d'appauvrissement et que cet acte est la cause de son insolvabilité.
Un acte d'appauvrissement est celui qui fait sortir du patrimoine du débiteur un bien sans contrepartie ou presque.
Il s'agit au premier chef des actes à titre gratuit (donation, renonciation à une succession...), mais aussi des actes à titre onéreux conclus à des conditions anormales et dont, par exemple une vente à un prix dérisoire (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, no 91-11.871).
Ce peut être aussi un acte qui ne constitue pas une aliénation mais conduit, en pratique, à diminuer le patrimoine, par exemple un bail de longue durée ou assorti d'un droit au renouvellement.
Lorsque l'acte frauduleux n'est pas un acte d'appauvrissement mais un acte conclu à des conditions normales, comme une vente, la jurisprudence admet l'action paulienne s'il résulte que cet acte avait pour objectif de substituer des biens aisément saisissables par des valeurs aisément dissimulables, comme des espèces (Cass. com., 23 mai 2000, no 96-18.055).
L'acte d'appauvrissement doit ensuite provoquer ou accroître l'insolvabilité du débiteur pour ouvrir droit à l'exercice de l'action paulienne.
Ainsi, si l'actif de ce dernier demeure suffisant pour assurer le paiement des créanciers inquiets, l'action paulienne ne peut être exercée.
C'est en principe au créancier de démontrer, par tous moyens, que l'acte d'appauvrissement conduit à l'insolvabilité totale ou partielle du débiteur (Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, no 86-10.541).
- La fraude du débiteur :
La condition essentielle de l'action paulienne est la fraude reprochée au débiteur qui peut être définie par l'intention de nuire, c'est-à-dire par la volonté délibérée de tenir en échec les droits du créancier.
la jurisprudence a élargi cette définition en considérant que la fraude est établie dès lors que le débiteur a accompli l'acte contesté en ayant conscience du préjudice causé au créancier (Cass. 1re civ., 14 févr. 1995, no 92-18.886).
La fraude du débiteur se prouve par tous moyens (Cass. 1re civ., 11 oct. 1978, no 75-15.406).
La question se pose de savoir si le tiers doit être de mauvaise foi, à savoir complice du débiteur.
Lorsque l'acte attaqué est un acte à titre onéreux, les tribunaux exigent du créancier poursuivant la démonstration que le tiers avait connaissance du préjudice causé au créancier (Cass. com., 1er mars 1994, no 92-15.425).
En revanche, pour les actes à titre gratuit, la complicité du tiers n'est pas nécessaire (Cass. com., 14 mai 1996, no 94-11.124).
III – Les effets de l'action
L'action paulienne a pour résultat l'inopposabilité au créancier de l'acte frauduleux du débiteur, mais elle n'entraine pas la révocation de l'acte.
L'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains du tiers (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, no 02-13.495).
En tout état de cause, le créancier poursuivant ne peut réclamer plus que ce qui lui est dû, l'acte ne lui est inopposable que dans la mesure de sa créance.
Si l'acte attaqué ne tendait qu'à grever le bien de certains droits (bail à long terme, droit d'usage et d'habitation...), l'inopposabilité permettra au créancier de poursuivre la vente forcée du bien libre de tous droits.
Le résultat de l'action paulienne n'est pas la nullité de l'acte, mais son inopposabilité à l'égard du seul créancier poursuivant, dès lors l'acte frauduleux demeure valable entre le débiteur auteur et le tiers complice de la fraude (Cass. com., 14 mai 1996, no 94-11.124).
Ainsi, lorsque l'acquéreur a été obligé de restituer au créancier l'objet frauduleusement acquis, il dispose contre son auteur d'un recours en garantie.
Un décision récente a rappelé la sanction de l'innoposabilité de l'acte en cas de fraude (Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n° 13-21.174, F-P+B).
Un dirigeant s'était porté caution de sa société, envers une banque, cette dernière considèrait comme inopposable à son égard la donation-partage consentie, en fraude de ses droits, par le dirigeant à son épouse et ses enfants.
La Cour de cassation approuve ce raisonnement et juge que : "l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits".
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Joan DRAY
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